Intervention de Angela Sirigu

Réunion du jeudi 17 janvier 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Angela Sirigu, directrice de recherche au CNRS, directrice de l'Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod, CNRS et université de Lyon :

Je vais évoquer le rôle de la recherche pour la compréhension des comportements humains, en particulier la recherche réalisée avec les modèles primates dans les sciences du cerveau actuelles et futures. En neurosciences, depuis les années 1970, les enregistrements sur des singes éveillés nous ont donné une compréhension précise du rôle des différentes régions cérébrales. C'est grâce à la recherche chez les primates non humains que l'on peut investiguer des modèles pathologiques.

Il faut le reconnaître, la recherche chez le primate pose une question éthique. Il est légitime de se demander si l'on peut avancer dans les connaissances du fonctionnement cérébral et ses altérations sans connaître les coûts de la recherche chez les primates.

Les modèles primates ont énormément contribué à la médecine moderne. Il est assez spectaculaire de voir les tremblements d'un patient parkinsonien s'arrêter lorsqu'il appuie sur un bouton, déclenchant une stimulation dans son cerveau. Ce résultat est issu de la recherche chez les primates non humains, des enregistrements qu'une équipe de Bordeaux a pu faire dans les structures profondes du cerveau.

La recherche chez les primates a également contribué aux progrès chez les patients tétraplégiques, en leur permettant de piloter des bras robotisés. Des recherches, porteuses d'espoirs, sont en cours dans ce domaine.

Les militants de la cause animale estiment que les expériences sur la souris ne font qu'augmenter la souffrance animale et qu'elles n'apportent rien, parce que les fonctions cérébrales de la souris sont très différentes de celles de l'homme, ce qui est faux. L'argument contraire, à savoir que les fonctions cérébrales des primates sont proches de celles de l'homme, est utilisé pour bannir la recherche chez les primates.

Les rongeurs représentent 80 % de la recherche fondamentale en neurosciences et les primates seulement 0,1 %. La question éthique se pose, il faut la prendre en considération. Cependant, je veux souligner que les seules espèces de primate utilisées en laboratoire sont des macaques. Il y a un saut évolutif entre les macaques et l'homme ; les grands primates, les plus proches de l'homme, ne sont pas utilisés.

Au niveau réglementaire, que ce soit dans les laboratoires de recherche du CNRS, de l'Inserm ou du CEA, il y a beaucoup de réglementations qui permettent de restreindre la recherche chez les primates et de bien la contrôler. Chaque projet est soumis à un comité d'éthique. Des directives européennes dictent des règles sur la recherche sur les primates. Chaque laboratoire met en place une SBEA – Structure chargée du bien-être des animaux –, pour que les chercheurs échangent entre eux et qu'on puisse intervenir en cas de dysfonctionnement.

Tous les chercheurs s'engagent à respecter le principe des 3 R : Réduction (du nombre d'animaux), « Raffinement » (amélioration des techniques), Remplacement (développement de techniques substitutives). Il y a aussi beaucoup de GDR (groupements de recherche) qui se sont formés pour contrôler l'expérimentation animale chez les primates.

Enfin il faut continuer l'effort de communication avec le public sur les conditions d'expérimentation.

Je terminerai sur l'avenir de la recherche dans le domaine des neurosciences. Existe-t-il des modèles alternatifs pour la compréhension des fonctions cérébrales ?

J'ai évoqué la contribution des modèles primates à la médecine. Dans le domaine des recherches actuelles sur l'autisme, qui est un fardeau pour notre société, je suis convaincue qu'on ne peut pas se passer de la recherche animale si l'on veut comprendre la maladie.

Tout d'abord, des recherches inter-espèces sont nécessaires, de la souris vers le primate et l'homme. Ensuite, des recherches en parallèle sont nécessaires, par exemple, pour comprendre les systèmes de neurotransmission, qui sont altérés dans l'autisme. Il y a des comportements très sophistiqués qu'on retrouve chez les primates non humains, et qui sont en train d'être investigués chez l'homme, dont on ne connaît pas du tout les mécanismes neuronaux.

Je vais vous présenter une vidéo dans le cadre d'un projet de recherche à l'université de Tucson, dans laquelle figurent des macaques. Dans cette vidéo, deux singes se toilettent mutuellement ; le toilettage étant un élément de la vie sociale des singes. Cette vidéo a été présentée à un autre singe, et l'endroit que ce singe observe sur la vidéo est symbolisé par un point, observable sur l'image. La chercheuse a enregistré l'activité électrique des neurones dans une zone du cerveau appelée l'amygdale, via une sonde implantée dans le cerveau du singe observateur. Chaque pic d'activité détecté par la sonde est encodé par un signal sonore, c'est ce que vous entendez dans l'enregistrement audio. Il est possible de remarquer une augmentation de la fréquence des signaux sonores, c'est-à-dire une augmentation de l'activité des neurones de l'amygdale, lorsque le singe regarde les yeux des singes dans la vidéo.

Cet exemple de recherche fondamentale met en évidence le substrat neurologique de certains comportements, par exemple le comportement d'évitement oculaire qu'on retrouve chez les autistes, sujet sur lequel on a très peu de connaissances. On va désormais pouvoir investiguer ce substrat chez l'homme pour voir de quelle manière il dysfonctionne et comment y remédier.

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