Intervention de Thierry Decelle

Réunion du jeudi 17 janvier 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Thierry Decelle, vétérinaire en chef, responsable de la protection animale, Sanofi, représentant le LEEM (Les Entreprises du Médicament) :

Effectivement, il m'a été demandé de faire, en tant qu'industriel, un état des lieux de la place des méthodes alternatives substitutives dans le cadre du développement et de la recherche de nouveaux médicaments et de vaccins.

Je rappelle que le LEEM fédère 260 entreprises de l'industrie pharmaceutique en France, et parmi ses membres, il compte de nombreux acteurs majeurs, PME ou grands groupes comme Sanofi, qui sont engagés en recherche et développement pour le bien des patients. Notre objectif est de développer et de mettre sur le marché de nouveaux médicaments, et d'assurer qu'ils sont sûrs et efficaces.

Pour cette intervention, j'utiliserai uniquement des exemples du groupe Sanofi pour les rendre plus concrets, mais sachez que la stratégie de l'industrie pharmaceutique est globalement similaire. Quelle que soit l'entreprise, les approches sont les mêmes ; viennent ensuite les questions de propriété intellectuelle, car on ne peut évidemment pas tout partager.

J'ai une spécialisation vétérinaire en sciences et médecine de l'animal de laboratoire, une formation reconnue par l'Ordre des vétérinaires, et un DEA de toxicologie. Je l'ai passé en 1993, mon sujet de mémoire portait sur la toxicité rénale d'un médicament utilisé en chimiothérapie sur des modèles in vitro et in vivo – déjà à cette époque, les deux modèles étaient utilisés pour aborder les mêmes questions de différentes manières.

Aujourd'hui, je suis responsable de la protection animale chez Sanofi. Parmi mes activités, je dois m'assurer, au-delà des règles éthiques que l'on met en place dans tous les pays, que notre démarche visant au développement des 3 R soit proactive, quels que soient le domaine et l'environnement réglementaire ou culturel. C'est un axe important de notre démarche d'entreprise. À ce titre, je suis rattaché à la Direction RSE de Sanofi, la responsabilité sociale de l'entreprise. C'est un message fort que nous voulons faire passer : la protection animale va au-delà des aspects scientifiques, c'est la responsabilité des entreprises vis-à-vis des animaux utilisés dans nos cadres de recherche, de développement ou de contrôle qualité.

S'agissant de notre stratégie intégrée de recherche et de contrôle qualité, l'objectif de Sanofi est de développer des médicaments sûrs et plus efficaces. Nous avons de plus en plus de questions légitimes des autorités pour mieux comprendre le mode d'action de ces médicaments, comment ils fonctionnent et quels sont les mécanismes toxiques. Nous devons fournir beaucoup plus de données qu'il y a quelques années, plus complètes, plus mécanistiques. Nous intégrons donc des données plus nombreuses dans tous nos dossiers d'autorisation de mise sur le marché (AMM) auprès de toutes les autorités.

Le modèle animal permet aujourd'hui de récapituler la complexité du vivant. On a besoin de ce modèle animal. Néanmoins, les autres modèles nous permettent d'aller beaucoup plus loin dans la compréhension des mécanismes d'action et de toxicité, et par conséquent de prédire l'efficacité chez l'homme.

C'est la complémentarité qui est recherchée, et pas une opposition entre le in vivo et ce qu'on appelle les nouvelles méthodes. À l'instar de la recherche publique, l'industriel qui prend une décision recherche la convergence d'éléments provenant de différents modèles pour s'assurer qu'ils vont bien tous dans le même sens, qu'ils sont signe d'activité chez l'homme, voire des signaux d'alerte. C'est la convergence des résultats obtenus avec différents modèles qui nous permet d'améliorer et d'affiner la prédictivité de ces modèles chez l'homme.

Nous avons développé une stratégie intégrée de recherche et de contrôle parce qu'aujourd'hui, pour tous nos projets, quelle que soit la thématique, nous avons des approches sur ordinateur, in vivo, sur animaux, de la recherche clinique et des essais cliniques. Et c'est cette approche intégrée, l'ensemble de toutes ces données, qui nous permet d'arriver à la conclusion que telle molécule peut être un médicament.

Pour chaque question scientifique, la question de la pertinence du modèle est posée. Celui qui l'est le plus est retenu – cellules, ordinateur ou animal. Cette approche est privilégiée dans l'industrie pharmaceutique par rapport à une logique de remplacement d'une approche par une autre.

En dix ans, depuis le dernier rapport de l'Office parlementaire, il y a eu des évolutions majeures, techniques ou scientifiques. C'est le cas par exemple des « omics » ou du séquençage, qui nous permettent d'aller beaucoup plus vite, de générer énormément de données, ce qui était impossible il y a dix ans. En une nuit, le génome d'une bactérie peut être séquencé, et aujourd'hui, les données cliniques sont accessibles. Nous sommes entrés dans l'ère du big data. Les développements dans le domaine de l'informatique nous ouvrent aussi le champ de l'intelligence artificielle.

Mes collègues l'ont déjà signalé : nous avons aussi des techniques in vivo de « raffinement » et d'amélioration du recours aux modèles animaux.

Ces dix dernières années, des changements sociétaux sont apparus, qu'il est important de prendre en compte : la place de l'animal et des 3 R dans la société. Nous ne pouvons pas ignorer ce mouvement de fond dont nous faisons partie. Les chercheurs ont une vraie responsabilité sociétale.

Le monde de la recherche voit son paysage changer, avec plus de start-up, de biotech, qui offrent de nouvelles options, de nouvelles alternatives. Le mode de travail change lui aussi : le mode collaboratif – avec les biotech, avec les universités, mais aussi avec les entreprises concurrentes – doit être pris en compte pour gagner en ouverture. Bien sûr, nous protégeons notre propriété intellectuelle, mais la collaboration est tout de même possible, en particulier pour des développements technologiques.

Quels sont les freins actuels ? Certains modèles sont encore trop descriptifs, il faut améliorer leur fonctionnalité. Il est important d'avoir le même niveau d'information via le modèle substitutif qui est choisi.

La notion de validation entre en ligne de compte. On se réfère souvent au modèle animal, ou à l'homme mais un modèle est toujours imparfait, et il est toujours difficile de comparer deux choses imparfaites pour faire une extrapolation sur la population. Il faut vraiment changer de paradigme, c'est-à-dire de repère, cesser de chercher à comparer deux modèles entre eux, et baser les validations sur d'autres références.

Sur l'aspect acceptation par les autorités, un important travail de fond est à faire pour que toutes les autorités, quel que soit le pays ou le domaine, soient ouvertes à ces changements.

Le changement peut s'opérer par des développements technologiques, comme la reconstitution de tissu ou l'intelligence artificielle, qui semble être une réelle opportunité pour la recherche pharmaceutique.

Il s'agit aussi d'un changement culturel, pour que nos chercheurs acceptent ces nouveaux modèles. Cela doit nécessairement faire l'objet d'un travail chez les chercheurs, en interne, mais aussi au niveau des autorités.

Les collaborations scientifiques doivent être renforcées. Des projets comme le projet européen IMI (Innovative Medicines Initiative) voient le jour et constituent de grands modèles de collaboration. Les partenariats public-privé sont aussi très efficaces.

Nous devons également renforcer nos expertises et nos formations en interne. Nous y travaillons régulièrement.

Je pourrais donner beaucoup d'exemples : l'évaluation des impuretés des médicaments qui se fait in silico, la modélisation de la pharmacocinétique, ou des modèles in vitro : Sanofi a acquis la société Vax Design pour réaliser in vitro un modèle de réponse immunitaire complète.

Nous travaillons à différents projets, avec le pôle d'innovation technologique BIOASTER à Lyon par exemple, pour améliorer la prédictivité.

Enfin, il y a la recherche clinique : mieux comprendre ce qui se passe chez l'homme nous aide à mieux anticiper et à mieux comprendre nos modèles précliniques, qu'ils soient in vitro, in vivo, ou mathématiques.

En conclusion, Sanofi a réduit de 25 % le recours aux animaux de laboratoire sur les quatre dernières années et trois animaleries ont été fermées les dix dernières années. Nous avons gagné un certain nombre de prix « 3 R » sur des méthodes de remplacement, en France ou en Allemagne.

La dynamique actuelle est rapide et passionnante. L'environnement change très vite et il y a des opportunités à saisir, pas seulement pour l'industrie pharmaceutique. C'est aussi un enjeu économique pour la France, pour les biotech, pour les start-up et pour l'environnement industriel, dans lequel il faut investir.

Malgré tous ces progrès, expérimenter sur l'animal reste nécessaire avant de passer à l'homme. Cela reste une étape incontournable, pour laquelle nous développons les soins dans nos programmes de recours aux animaux de laboratoire, pour avoir des programmes d'excellence.

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