Intervention de Christophe Furger

Réunion du jeudi 17 janvier 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Christophe Furger, chercheur en biologie cellulaire, responsable du programme Valitox :

Je vais apporter un exemple très concret d'expérience de dépôt de dossier de validation de méthode alternative auprès des autorités compétentes dans l'Union européenne.

Valitox est un programme de validation scientifique d'un test alternatif pour la mesure de toxicité dans le domaine réglementaire. In fine, nous espérons qu'il s'applique aux règlements européens classiques de type REACH (Registration, evaluation, authorization and restriction of chemicals(8)), qui régule les produits chimiques, la cosmétique, les biocides, la classification étiquetage - emballage, ou encore les pesticides.

Nos objectifs sont d'évaluer le niveau de prédiction de la nouvelle approche en comparant directement des données humaines et des données cellulaires, sans passer par des données animales ; apporter ensuite les démonstrations nécessaires à l'entrée en phase de validation par le Centre européen pour la validation des méthodes alternatives (ECVAM), afin de fournir un test d'évaluation de la toxicité d'un échantillon par une mesure qui soit à la fois simple, robuste, fiable et surtout de haut débit, au vu des demandes de règlements comme REACH, pour lequel 140 000 molécules doivent être testées. À terme, il s'agit de cibler un ou plusieurs domaines d'application réglementaire, la toxicité aiguë (par inhalation, absorption, voie cutanée), mais aussi la sensibilisation, l'irritation et la corrosion, cutanée ou oculaire.

Nous utilisons un test cellulaire car les cellules sont les plus petites unités fonctionnelles du vivant, et à ce titre, elles forment l'approche la plus naturelle de substitution aux essais pour les animaux. À l'heure actuelle, l'essentiel de la quinzaine d'essais qui ont été validés au cours de ces vingt dernières années par l'OCDE sont des tests cellulaires.

L'utilisation de cellules ne pose aucun souci éthique. Les méthodes peuvent facilement être standardisées et sont adaptées au haut débit. Il en existe de très nombreux exemples dans l'industrie pharmaceutique pour le criblage à haut et très haut débit utilisé pour générer de nouveaux médicaments.

Elles sont autant, sinon plus prédictives des effets toxiques, dans notre contexte du moins, que les modèles animaux. Cela est clairement établi dans la littérature scientifique. Les taux de prédiction pour l'espèce humaine sont de 60 à 70 % quand ils sont fondés sur des données animales, et de 55 à 80 % quand ils s'appuient sur des données cellulaires.

Pourtant, il subsiste encore un fort déficit de confiance dans ces modèles cellulaires. On oppose aux tests in vitro un manque de représentativité vis-à-vis de l'organisme humain, un préjugé qui persiste, quels que soient les arguments apportés.

Enfin, les objections classiques aux tests cellulaires sont levées progressivement. Jusqu'à présent, les cellules utilisées étaient souvent des modèles d'origine cancéreuse, peu réalistes vis-à-vis de la physiologie humaine. En effet, les cellules étaient isolées dans leur boîte de culture, leurs capacités métaboliques étaient faibles, voire inexistantes. L'apport de trois approches récemment standardisées a levé progressivement ces objections : les cultures organotypiques (typiquement les modèles de peau reconstitués), les cellules souches (notamment les cellules souches humaines pluripotentes induites), les organes sur puce (ces fameux micro-organes basés sur la microfluidique).

Concernant Valitox, nos liens avec l'ECVAM se sont établis sur un mode de questions-réponses, très basique. Une première version avancée du test a été soumise à l'ECVAM en 2014, basée sur la prédiction des effets sur l'espèce humaine. Elle s'appuie sur des données de toxicité aiguë qui ont été observées chez l'humain à partir d'une base de données issue d'un programme européen qui décrit environ 97 substances, des DL-50 humaines (50 % de la dose létale) qui ont été mesurées à partir de données dans les centres antipoison d'Allemagne et du Danemark sur environ 1 800 cas. Cette base de données est tout à fait adaptée à la situation. À partir de ces données, nous avons établi un modèle de prédiction de notre test cellulaire, qui se révèle être très proche de la normale, avec un coefficient de détermination de 0,7, représentant une valeur de prédictivité de 70 %.

Concrètement, l'étape suivante dans la validation de la technique consiste à fournir des données sur le type de mesure et sur les protocoles opératoires standardisés, qui assurent une transférabilité des technologies vers les autres laboratoires, et à déterminer les contrôles positifs et négatifs.

Dorénavant, il ne suffit plus que le test fonctionne, la base mécanistique du test doit être démontrée, ses limitations doivent être analysées. Nous devons également réaliser une analyse concurrentielle, une analyse de fiabilité, de reproductibilité, et enfin, assurer une transférabilité intra et inter-laboratoires ; tout cela se situant dans les étapes de pré-validation.

L'étape de validation à proprement parler concerne la pertinence, c'est-à-dire tout ce qui a trait à la démonstration de la sensibilité, de la spécificité et de la prédictivité.

Une étude rétrospective a identifié un délai moyen pour les différentes étapes du processus depuis la création d'un dossier à l'ECVAM. Il y a six étapes : recherche, développement, pré-validation, validation, revue, adoption. La phase de recherche, de compréhension des voies de toxicité ou des mécanismes cellulaires a une durée comprise entre 1 et 5 ans. La phase de développement, qui consiste déjà en une nouvelle méthode qui vise une application spécifique, avec une démarche intra-laboratoire, dure de 2 à 5 ans. La pré-validation, au cours de laquelle le protocole est optimisé et transférable, avec une démarche multi-centres, nécessite de 1 à 2 ans. La validation proprement dite, pour laquelle la fiabilité et la pertinence sont établies, nécessite de 2 à 5 ans. La revue, l'évaluation indépendante, par les pairs dure de 2 à 3 ans. Enfin, l'adoption par l'OCDE en Europe, de 1 à 3 ans. Au total, ce processus s'étale a minima sur 9 ans, a maxima sur 23 ans.

Actuellement, les tests cellulaires sont validés au compte-gouttes et relégués à des applications périphériques, voire annexes ou subsidiaires. Pourquoi ? Si l'on reprend l'historique des validations, la première validation a eu lieu au workshop d'Amden en Suisse, en 1990 ; suivie par la création de l'ECVAM en 1995 ; puis trois tests de toxicité, signalés par Mme Marano, ont été validés en 1997 ; puis plus rien jusqu'en 2004 ; un seul test validé en 2004 sur la photo-toxicité (c'est d'ailleurs le seul test qui remplace actuellement un test animal) ; puis un rythme d'environ un test par an jusqu'en 2018.

Concernant Valitox, l'ECVAM a salué sa pertinence pour l'application visée, c'est-à-dire la toxicité aiguë, mais juge les données insuffisantes pour une évaluation complète. Elle reconnaît aussi un intérêt pour l'application en sensibilité cutanée, mais soulève le problème des faux positifs et faux négatifs, qui sont récurrents quelles que soient les méthodes, animales ou alternatives. L'ECVAM demande entre autres une démonstration fine des mécanismes en jeu ; ces résultats ont été publiés en décembre 2017. Nous avons pris l'initiative de monter un programme de transfert de Valitox au modèle 3D en collaboration avec la société bordelaise Poietis, spécialisée dans les imprimantes cellulaires 3D.

En conclusion, les moyens publics alloués à cette problématique du financement sont essentiellement européens, à travers le programme Horizon 2020. Ils vont essentiellement à de très gros consortiums qui ciblent en général une seule application, comme par exemple le projet SEURAT sur la toxicité chronique : 50 millions d'euros sur 10 ans, cofinancés pour moitié par l'Union européenne et pour l'autre par l'industrie cosmétique.

Il existe également l'initiative du CAAT (Center for alternatives to animal testing), un regroupement universitaire qui oeuvre pour les tests alternatifs depuis 1981, dont les dotations s'élèvent à 10 000 euros par projet.

Concernant Valitox, la question du financement a été partiellement résolue par le soutien de fondations et d'associations. Je leur rends hommage pour leurs efforts. Le programme a été coordonné par le comité scientifique Pro Anima et co-financé par la Fondation 30 millions d'amis, la Fondation Brigitte Bardot, la LSCV (Ligue Suisse Contre l'expérimentation Animale), la Fondation Bourdon, la SPA, la SNDA en France.

Ce qui manque dans ce système, c'est une reconnaissance du domaine des méthodes alternatives comme un champ de R&D à part entière, et surtout, il y a un besoin d'appels à projets publics dédiés à cette problématique, notamment sur le développement de tests en vue de leur validation par l'ECVAM. De mon point de vue, c'est ce relais qui fait cruellement défaut aujourd'hui.

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