Le mot « alternatif » est trompeur. Le grand public imagine qu'une méthode dite alternative remplace une expérience sur l'animal vivant. En réalité, environ 80 % des méthodes alternatives concernent la réduction et le « raffinement », plutôt qu'un réel remplacement.
Concernant les méthodes de remplacement proprement dites, plusieurs utilisent des cellules ou des tissus d'origine animale. Il est donc essentiel de faire la distinction entre le remplacement relatif et le remplacement absolu. Pour le cas du remplacement relatif, un animal est sacrifié, donc il ne souffre plus, et ses cellules et ses organes sont utilisés. Dans le cas du remplacement absolu, il n'est fait aucune utilisation d'animal, vivant ou mort, il s'agit par exemple des cellules humaines en culture.
Le Centre européen pour la validation de méthodes alternatives (ECVAM) a validé une cinquantaine de méthodes alternatives depuis sa création en 1991, soit 2 méthodes par an. Le délai de validation d'une méthode alternative peut aller jusqu'à 7 ans, voire plus, et peut coûter jusqu'à 1 million d'euros. Alors, quelles motivations pour les industriels et chercheurs à développer de telles méthodes ?
De surcroît, les autorités n'imposent aucune obligation d'appliquer des méthodes alternatives déjà validées et également acceptées par l'OCDE. Le budget de l'ECVAM est passé de 15 millions d'euros en 2008 à 6 millions d'euros en 2018. Alors que le projet phare de l'Union européenne de recherche et d'innovation Horizon 2020 dispose d'un budget de 80 milliards d'euros, quelle est la situation en France concernant la répartition des fonds publics dans ce domaine ?
Les méthodes dites alternatives doivent suivre un processus rigoureux afin d'être homologuées : trois laboratoires participent et tous doivent obtenir le même résultat. Cependant le modèle animal n'a jamais été validé en tant que modèle scientifique ou prédictif pour l'étude des maladies humaines. Je reformule donc notre demande de création d'une commission d'enquête parlementaire sur la validité du modèle animal.
Par ailleurs, il est souvent plus facile pour un chercheur d'obtenir une autorisation pour expérimenter sur cent souris ou cent rats, que d'obtenir une autorisation pour expérimenter sur des déchets chirurgicaux humains destinés à l'incinération. Il faut donc faciliter l'obtention de l'autorisation à travailler sur des tissus humains.
Il est clair qu'il est impossible de reproduire en laboratoire un système vivant complexe entier. Cependant le modèle animal est moins prédictif pour l'être humain qu'un jeu de pile ou face. J'ai déjà indiqué que selon la FDA, haute autorité de sécurité sanitaire aux États-Unis, le taux de prédiction des tests sur les animaux est de 10 %. A priori, toute méthode dont le pouvoir de prédiction dépasse les 51 % serait plus performante que les tests sur les animaux. Le public attend que les méthodes substitutives atteignent des taux de prédiction de 90 % et au-delà. Aujourd'hui, ce niveau n'est pas atteint. Mais par rapport aux tests sur les animaux, les méthodes associant plusieurs technologies par étape atteignent un taux de prédiction bien supérieur à celui du modèle animal.
On ne dit pas que des cellules en culture ou des ordinateurs peuvent remplacer un système vivant complexe entier. Bien sûr que non. Il faut utiliser plusieurs technologies, de manière à, par étape, élever le taux de prédiction.
Pour finir, je vais évoquer la recherche fondamentale dans les universités. On a principalement parlé aujourd'hui, de la toxicité, de la réglementation dans l'industrie pharmaceutique et cosmétique. J'ai siégé pendant plusieurs années au sein de comités d'éthique en Belgique et en Suisse, malheureusement pas encore en France. Je constate que le R de remplacement dans la recherche fondamentale dans les universités est quasi inexistant. Pourquoi ?
Prenons le cas concret d'un chercheur qui planifie d'utiliser 100 rats à des fins de recherche, pour trouver un nouveau traitement du cancer chez l'homme. Le chercheur déclare au comité d'éthique qu'il pratique la réduction : « au lieu de 120 rats, j'ai utilisé 100 rats » ; qu'il pratique le « raffinement » : « je vais donner des antidouleurs toutes les 8 heures aux rats » ; et concernant le remplacement : « je veux étudier cette maladie dans un système vivant complexe entier et je ne peux pas le faire dans des cellules humaines en culture », ce qui est tout à fait légitime. Lorsque je lui demande de démontrer la pertinence du modèle rat pour le cancer chez l'homme, à ce moment-là, on me répond : « Monsieur Ménache, vous dépassez votre cadre de membre du comité d'éthique. Votre cadre, ce sont les 3 R, et l'on a bien respecté les 3 R. » En définitive, on ne questionne pas la validité du modèle animal. Je dois avouer que cela m'a beaucoup frustré, et je veux partager cette frustration avec vous, parce que je pense que cela se passe également aujourd'hui dans les universités françaises.