Intervention de Angèle Préville

Réunion du jeudi 7 février 2019 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Angèle Préville, sénatrice, rapporteure :

– Le stockage de l'électricité constitue un sujet très important. Le Président de la République l'a d'ailleurs évoqué lors de son déplacement d'il y a quelques jours à Souillac.

À l'échelon mondial, le stockage de l'électricité est appelé à se développer dans un contexte de fort essor des énergies renouvelables variables. Les simulations montrent toutefois que les besoins de stockage stationnaire resteront limités dans le cas de la France, du fait de la flexibilité très importante de notre système électrique et de son interconnexion au système européen. C'est seulement après 2035, si devait se mettre en place un mix électrique composé quasi exclusivement de moyens de production renouvelables, que des besoins de stockage significatifs, notamment intersaisonniers, pourraient apparaître.

Par ailleurs, le stockage de l'électricité se trouve au coeur de l'essor de formes de mobilité durable, dès maintenant pour la mobilité électrique, à plus long terme pour ce qui concerne une mobilité de masse à l'hydrogène.

Stocker l'électricité, c'est convertir l'énergie électrique en une autre forme d'énergie, puis transformer cette dernière en électricité.

Il existe de nombreux modes de stockage, qui peuvent être classés en fonction du vecteur énergétique utilisé, de paramètres comme l'énergie, la puissance, le temps de réponse, le rendement énergétique ou encore la durée de vie. Les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), les batteries et l'hydrogène composent les modes de stockage stratégiques.

Les STEP permettent un stockage de masse de l'énergie électrique, offrent une puissance élevée et un très bon rendement, de l'ordre de 70 % à 85 %. Elles constituent le principal mode de stockage de l'électricité dans le monde. Leur principe de fonctionnement est d'utiliser de l'électricité quand celle-ci est peu chère pour pomper de l'eau qui se trouve dans un bassin inférieur pour la remonter dans un bassin supérieur. Du fait de sa position en hauteur, l'eau présente dans le bassin supérieur possède une énergie mécanique potentielle. Quand la demande d'électricité est forte, on libère l'eau du bassin supérieur. Dans sa chute, elle produit de l'électricité en actionnant un groupe turbo-alternateur. La France compte six STEP de forte puissance, principalement en moyenne montagne ou en montagne. Le Japon en a installé en bord de mer, près de falaises.

Dans le cadre du développement des énergies renouvelables et de la programmation pluriannuelle de l'énergie, un besoin de 2 gigawatts de STEP supplémentaires est identifié. Il s'agit d'ouvrages d'art robustes, qui ne posent pas d'autres difficultés que des problèmes d'environnement et d'acceptabilité, dans la mesure où cela met en cause les paysages. À l'avenir, il faudrait installer davantage de STEP en France.

Les batteries constituent un autre moyen de stockage qui se développe fortement. Elles convertissent l'énergie électrique en énergie chimique et réciproquement. On en distingue plusieurs familles, mais toutes fonctionnent sur des couples d'oxydoréduction. Les batteries Lithium-ion ont constitué à partir des années 1990 une rupture technologique permettant d'envisager des applications allant du stockage stationnaire à l'alimentation des appareils électroniques, en passant par la mobilité. Ces batteries offrent des performances croissantes en termes de densité énergétique, ainsi qu'un très bon rendement (de 90 % à 95 %), des coûts de revient en baisse et un niveau de sécurité qui s'améliore. Les axes de recherche portent à la fois sur la sécurité, l'augmentation de la densité énergétique, la cyclabilité et la diminution de la consommation en métaux critiques. On attend, à partir de 2022 ou de 2023, l'arrivée sur le marché des batteries « tout solide », qui permettront de nouveaux gains de sécurité et de densité.

L'hydrogène est le troisième vecteur stratégique de stockage de l'électricité. Il s'agit de convertir l'électricité en hydrogène, par électrolyse de l'eau. Ce procédé est scientifiquement bien connu, mais il faut en améliorer le rendement. Les voies de progrès concernent principalement les techniques d'électrolyseurs, avec l'objectif de faire baisser fortement le coût de l'hydrogène électrolytique.

Quel rôle ces différents modes de stockage de l'électricité peuvent-ils jouer dans la transition énergétique ? Le développement des énergies renouvelables variables entraînera une hausse forte des besoins de flexibilité du système électrique. Le stockage de l'électricité, parce qu'il permet de décorréler dans le temps la production et la consommation d'électricité, constitue donc un levier de flexibilité qu'il pourrait être pertinent de mobiliser. En même temps, le stockage de l'électricité n'est jamais qu'un levier de flexibilité parmi d'autres. Ceci est particulièrement vrai dans le cas de la France, qui possède déjà un système électrique très flexible. Notre pays dispose en effet d'un réseau de transport et de distribution d'électricité de grande qualité, interconnecté à l'échelle européenne. Reliant l'ensemble des zones de production et de consommation continentales, il offre des possibilités de foisonnement qui permettent de réduire la demande résiduelle européenne. La flexibilité du système électrique français repose également sur le pilotage de la consommation par effacement des pointes ou déplacement dans le temps de la consommation. On peut évoquer ici les 11 millions de ballons d'eau chaude domestiques, d'une capacité totale de 9 gigawatts, qui permettent de déplacer près de 20 gigawatts-heure de consommation par jour vers les heures de faible consommation. Cet outil de lissage, éprouvé, simple, peu coûteux et efficace, pourrait, grâce à un pilotage plus dynamique, jouer un rôle majeur dans l'exploitation des pics de production renouvelables. Enfin, le stockage hydraulique est particulièrement développé en France et offre des solutions de flexibilité à tous les horizons temporels. Les autres techniques de stockage, notamment les batteries, occupent en revanche aujourd'hui une place marginale dans le mix de flexibilité.

Pour déterminer le rôle exact que pourrait jouer le stockage de l'électricité dans la gestion du système électrique, il faut tenter de quantifier précisément les besoins de flexibilité et de stockage. Des travaux sont conduits par RTE, Réseau de transport d'électricité, et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), pour définir les adaptations à apporter au mix de flexibilité actuel dans un contexte de transition énergétique. Ces simulations prospectives extrêmement complexes prennent en compte des paramètres techniques et économiques à la fois nombreux et encore incertains à ce stade, concernant notamment le niveau futur de la consommation d'électricité, l'ampleur de la diversification du mix de production, le prix du carbone ou encore les progrès et la baisse de coût du stockage. En raison du grand nombre d'inconnues, ces études définissent de multiples scénarios d'évolution, eux-mêmes déclinés en de nombreuses variantes, le tout finissant par dresser une carte des avenirs probables qui permet de dégager quelques prévisions robustes en matière de besoins de flexibilité et de stockage.

En 2017, RTE a élaboré quatre scénarios à l'horizon 2035. Ces simulations confirment que les besoins de flexibilité augmenteront fortement dans tous les cas de figure, mais sans pour autant induire un développement significatif des besoins de stockage. Ainsi, dans le scénario Ampère, pourtant ambitieux pour les énergies renouvelables, l'essentiel des besoins de flexibilité serait satisfait à moindre coût par l'hydraulique, les interconnexions et, dans une moindre mesure, la mobilisation des gisements d'effacement. C'est seulement dans le scénario Watt, scénario de rupture basé sur un déclassement rapide du parc nucléaire et des énergies renouvelables atteignant 70 % du mix de production, que pourrait apparaître un espace marchand pour le stockage de l'électricité en 2035. Le fort développement de l'éolien et du solaire conduirait en effet à des périodes d'abondance de production à bas coûts, propices à la rentabilité des activités de stockage. Par ailleurs, le maintien de la sécurité d'approvisionnement appellerait alors une mobilisation forte de tous les leviers de flexibilité en sus d'un développement des centrales au gaz. Toutefois, et c'est la conclusion importante, même dans un tel scénario, les besoins en matière de stockage de l'électricité resteraient limités.

Cette conclusion, qui nuance fortement le potentiel de développement du stockage stationnaire en France d'ici à quinze ans, fait l'objet d'un consensus des experts consultés. La diversification du mix électrique français n'implique ni changement d'échelle ni rupture technologique dans le domaine du stockage jusqu'au milieu des années 2030. Le maintien d'une part non négligeable de moyens de production pilotables à cet horizon de temps, accompagné d'un accroissement modéré des capacités d'effacement et de stockage par STEP, ainsi que d'investissements sur le réseau pour le rendre plus agile et plus robuste, seront suffisants pour équilibrer l'offre et la demande à tous les horizons de temps.

L'Ademe a exploré des scénarios encore plus ambitieux pour le développement des énergies renouvelables à l'horizon 2050-2060, avec des taux de pénétration de ces énergies allant de 80 % à 100 % du mix de production. Le bouclage technico-économique de ces scénarios confirme que le renforcement significatif des capacités de stockage devient indispensable pour équilibrer l'offre et la demande d'électricité à chaque heure de l'année seulement quand on atteint ces taux considérables. Le stockage de court terme se développe dès le scénario à 80 % d'énergies renouvelables, tandis que des besoins de stockage intersaisonnier mobilisant les technologies Power to gas et Gas to power apparaissent à partir d'un mix à 90 ou 95 % d'énergies renouvelables.

Dans ces scénarios, la possibilité de boucler le modèle repose donc sur le postulat de disponibilité de certaines ruptures technologiques. Les progrès techniques nécessaires devraient concerner deux problématiques.

D'une part, il faudrait apporter une réponse à la perte d'inertie du système électrique. La stabilité du système actuel repose en effet, dans les premiers instants d'un aléa, sur l'inertie des masses tournantes raccordées au réseau. Ces masses sont celles des turbines des centrales de production, dont la vitesse de rotation est synchronisée avec la fréquence du courant électrique. En cas de chute de cette fréquence, le premier correctif est aujourd'hui celui qu'exerce spontanément cette inertie. À l'avenir, si les énergies renouvelables variables devaient représenter une part très élevée, garantir la stabilité du réseau obligerait à compenser la disparation de cette inertie. Des solutions se dessinent cependant déjà, par exemple les projets européens Migrate et Osmose, dont l'idée directrice est de donner à certaines centrales de production photovoltaïque ou éolienne le rôle de chef d'orchestre du réseau.

D'autre part, il faudrait aussi développer des moyens de stockage adaptés à la régulation saisonnière du système électrique. En cas de très forte pénétration des énergies renouvelables, le passage de l'hiver implique en effet le transfert de l'énergie solaire produite en été pour l'utiliser à la saison froide. Les besoins annuels de stockage intersaisonnier sont évalués par l'Ademe à une quarantaine de térawatts-heure. Cette solution implique l'arrivée à maturité des technologies Power to gas to power. En été, par le photovoltaïque, on fait du Power to gas ; en hiver, on utilise ce gaz pour refaire de l'électricité. Là encore cependant, le problème de l'urgence ne se pose pas, puisque la question du stockage intersaisonnier n'interviendra pas avant 2035.

Après avoir présenté les liens entre stockage stationnaire de l'électricité et transition énergétique, j'en viens maintenant au second grand enjeu du stockage : celui de la mobilité. Les batteries et l'hydrogène sont en effet au coeur de formes émergentes de mobilité.

En raison des gains d'autonomie des batteries Lithium-ion et de la chute de leur coût de fabrication, l'industrie s'est engagée dans un développement massif du marché de la voiture électrique. Cette évolution s'inscrit par ailleurs pleinement dans les politiques publiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cela pose cependant plusieurs enjeux pour les pouvoirs publics.

Sont d'abord visées les conditions d'extraction des métaux critiques dans les pays producteurs et leurs impacts humains et environnementaux. Il est indispensable d'imposer aux fabricants de batteries des critères exigeants de RSE – responsabilité sociale des entreprises – et de traçabilité des matériaux. Il faut également se pencher sur la question de la sécurité d'approvisionnement des métaux critiques, singulièrement du cobalt et dans une moindre mesure du lithium ou du nickel. Enfin, se pose l'enjeu de la valorisation des batteries tout au long de leur cycle de vie et de leur recyclage.

Sur le plan économique, le sujet stratégique est celui de la place des industriels français et européens dans le secteur des batteries. Aujourd'hui, les dix premiers fabricants de cellules de batteries Lithium-ion sont asiatiques. L'alliance entre SAFT, entreprise française, Siemens, Manz et Solvay offre cependant l'opportunité d'un retour des Européens sur le marché, notamment avec l'arrivée des batteries « tout solide » dans les années à venir.

Enfin, il faut relever deux défis : celui de la mise en place d'un réseau de recharge électrique capable d'irriguer tout le territoire avec des bornes non propriétaires et celui de la gestion intelligente des impacts d'une mobilité électrique de masse sur le fonctionnement du système électrique pour transformer une contrainte potentielle en un levier de flexibilité.

L'hydrogène pourrait également jouer un rôle clef dans les mobilités futures. Le bilan carbone de la mobilité à l'hydrogène peut être excellent si l'on utilise une électricité décarbonée pour l'électrolyse de l'eau. Techniquement possible, l'essor de la mobilité à l'hydrogène se heurte cependant à des obstacles économiques dans un avenir proche.

Le premier est le coût de l'hydrogène électrolytique. Pour que la mobilité à l'hydrogène soit compétitive par rapport à la mobilité électrique ou hybride, deux conditions doivent être réunies. D'une part, il faut disposer d'une électricité à bas coût pour alimenter des électrolyseurs pendant des durées relativement longues. Cela suppose qu'un très fort taux de pénétration de l'éolien et du photovoltaïque génère de longues périodes de production électrique abondante. D'autre part, il faut augmenter le rendement et la durée de vie des électrolyseurs.

Même si l'on parvient demain à produire un hydrogène électrolytique bon marché, un second obstacle se dresse, celui des investissements nécessaires au déploiement et à l'entretien d'infrastructures de stockage et de distribution de l'hydrogène. Il faut créer un réseau énergétique supplémentaire, en plus des réseaux existants ou en cours de déploiement. Si les recherches doivent se poursuivre pour préparer l'émergence possible d'une mobilité de masse à base d'hydrogène dans la seconde moitié du siècle, à plus court terme, il faut sans doute plutôt encourager des solutions de mobilité à l'hydrogène plus ciblées, par exemple la mobilité des poids-lourds, des flottes de transport des collectivités ou encore des trains.

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