– Je commencerai ce point d'étape de ma réflexion sur l'intégrité scientifique par quelques exemples de méconduite. En 1998, le chirurgien britannique Andrew Wakefield a publié dans la revue The Lancet une étude établissant un lien entre le vaccin contre la rougeole et la rubéole et l'autisme, qui s'est révélée ensuite être une tromperie. En septembre 2014, le Français Olivier Voinnet a fait l'objet d'un signalement sur le site PubPeer par une structure extérieure. En septembre 2017, Catherine Jessus, directrice de l'Institut des sciences biologiques du CNRS a fait l'objet d'allégations de tromperie qui ont eu des conséquences sur sa vie professionnelle et personnelle, même si elle a été blanchie. En novembre 2017, Anne Peyroche, chercheuse du Commissariat à l'énergie atomique, a été mise en cause. L'affaire, relatée dans la presse, n'est toujours pas tranchée.
On estime que les publications prédatrices, c'est-à-dire douteuses, sont environ 8 000 dans le monde et que le nombre d'articles suspects a été multiplié par huit en quatre ans, pour atteindre un total de 400 000, sur un flux annuel d'un million environ. La proportion de fraudeurs serait de 2 %, soit 140 000 chercheurs. Les sciences de la vie sont les plus affectées par le phénomène.
Il est nécessaire d'établir une distinction très claire entre éthique, intégrité scientifique et déontologie. Je vous livre les définitions de l'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS). L'éthique assure à chaque citoyen que la science et les technologies n'empruntent pas des voies humainement ou sociétalement hasardeuses. L'intégrité scientifique garantit la fiabilité des résultats de la recherche et assure que chaque production scientifique est établie selon les meilleurs standards. La déontologie, elle, assure que les travaux des chercheurs ne font pas l'objet de conflit d'intérêts.
Les manquements sont de plusieurs sortes. Ce peut-être une erreur qui n'a rien de volontaire, une faute, qui est faite sciemment, ou une fraude, qui est intentionnelle. Aucune nomenclature internationale n'existe en la matière. Il est important de les distinguer et de répondre à la question : comment répondre à des manquements non intentionnels ? L'erreur est humaine et un proverbe chinois dit bien que c'est en tombant que l'on apprend à se relever. En recherche, l'erreur ou l'absence de résultats peuvent être une source de progrès. Or ce n'est pas du tout valorisé.
L'une des personnes que j'ai interrogées m'a raconté qu'en 2007, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) était très réticente sur ce sujet, en raison du principe qui veut que « quand on construit un thermomètre, alors on va mesurer la température ».
En 2009, l'Agence nationale de la recherche a publié une charte de déontologie et d'intégrité scientifique.
En 2010, le professeur Jean-Pierre Alix, chercheur au CNRS, a publié un rapport intitulé Renforcer l'intégrité de la recherche en France qui formulait huit recommandations auxquelles il n'a pas été donné suite.
En juillet 2010, la déclaration de Singapour a défini l'intégrité scientifique. En 2014, l'Agence nationale de la recherche a supprimé ses comités d'intégrité scientifique. Seul l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a pris le problème à bras le corps. En janvier 2015, une charte de déontologie des métiers de la recherche a été publiée, mais tous les établissements n'en sont pas signataires.
En juin 2016, Pierre Corvol a signé un rapport intitulé Bilan et propositions de mise en oeuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique dans lequel il note que la fraude est difficile à déceler et que les décisions et sanctions pour fraude sont très rares. Il souligne l'importance de former à l'intégrité scientifique dans les écoles doctorales. Il propose que la responsabilité du chef d'établissement soit engagée et pas seulement celle de l'auteur de l'étude. Il déplore l'absence de cadre juridique pour traiter les manquements. Il souligne la nécessité de mener des recherches sur l'éthique et l'intégrité et recommande la création d'une structure dédiée. La même année, le CNRS a publié un guide sur la pratique d'une recherche intègre et responsable. En 2017, le professeur Corvol a publié un vade-mecum de l'intégrité scientifique. Enfin, en mars 2017, le Gouvernement s'est emparé du sujet et le secrétaire d'État à la recherche a publié une lettre circulaire.
Des postes de référents à l'intégrité scientifique ont été créés, qui évaluent à 11 % le taux de falsification des publications.
Aujourd'hui, 36 établissements de recherche sont signataires de la charte de déontologie des métiers de la recherche et l'on dénombre 83 référents à l'intégrité scientifique, au sein de ces établissements mais pas seulement.
Le président-directeur général du CNRS, Antoine Petit, a commandé un rapport à Olivier Le Gall, président de l'OFIS, sur ce que devrait être un référent à l'intégrité scientifique au CNRS.
L'OFIS a été créé en mars 2017 en tant que département du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Il bénéficie de conditions propres à garantir son indépendance dans l'exercice de ses missions. Il est composé d'une équipe opérationnelle et d'un conseil de douze experts. Ses missions sont l'expertise, l'observation et l'animation. Il ne s'agit pour l'OFIS ni d'instruire ni de sanctionner. Ses moyens humains sont limités puisque l'équipe permanente est constituée d'une directrice, d'un chargé de mission à temps plein et d'un conseiller scientifique. Deux autres postes pourraient être pourvus à l'avenir. L'OFIS dispose de 50 mètres carrés de locaux au sein du Hcéres. Il n'a pas de budget propre ; ses frais sont pris en charge par le Hcéres. Il n'a pas de site mais une page sur le site du Hcéres.
On nous a indiqué que le Hcéres effectuait une démarche pour acquérir le statut de personnalité morale afin de jouir d'une autonomie accrue.
J'en viens aux actions de l'OFIS : l'édition d'un guide, sous l'impulsion du référent intégrité scientifique du CEA, pour le recueil et le traitement des signalements ; l'élaboration d'une feuille de route pour 2020 qui détaille 18 actions inspirées du rapport Corvol pour harmoniser les procédures de signalement, d'instruction et d'appel, mutualiser les retours d'expérience, former, promouvoir et mieux intégrer les enjeux ; la mise en place de cycles de séminaires ; des actions de pédagogie et d'information ; un rapprochement avec les instances européennes.
Quelle est la situation à l'étranger ? Aux États-Unis, il existe l'Office of Research Integrity (ORI), qui traite exclusivement des cas de fraude dans le cadre des organismes recevant des fonds publics, qu'il s'attache à prévenir, identifier et sanctionner. En Allemagne, le médiateur de la recherche ne dispose pas de cadre légal et n'impose pas de sanctions. Les cas de fraude sont instruits directement par les universités et les instituts de recherche. Au Royaume-Uni, l'Office d'intégrité de la recherche est un organe sans but lucratif qui propose un soutien au public, aux chercheurs et aux organisations pour promouvoir les bonnes pratiques, sans aucun pouvoir légal.
L'OFIS demande un budget individualisé et indépendant ; une mission explicitement intégrée dans celles du Hcéres ; davantage de moyens que les 100 000 euros de 2017 et les 50 000 euros de 2018 ; peut également se poser la question de ce qu'il adviendra en cas de changement de présidence du Hcéres, dont le premier mandat s'achève cette année.
Je n'ai pas eu de réponse du ministère de la recherche, bien que j'aie parlé du sujet à la ministre, Mme Vidal.
Il n'existe aucune harmonisation ni structure en charge de suivre l'ensemble des cas d'allégations de méconduite. La plateforme américaine PubPeer publie des commentaires anonymes sur des dizaines de milliers d'articles scientifiques. La plateforme reçoit 25 000 visites individuelles et un millier de nouveaux commentaires par mois. L'information apportée par le commentaire doit être factuelle et vérifiée, publiée par une tierce personne. Mais quelle en est la fiabilité ? Des accusations retentissantes de méconduite ont d'abord été publiées sur PubPeer, mais moins de 10 % des commentaires critiques donnent lieu à une commission d'enquête. C'est à la limite de la diffamation, puisqu'aucune structure n'aide le chercheur visé, qui ne peut se défendre.
Quelle articulation entre l'OFIS et le collège de déontologie ? L'intégrité scientifique est un enjeu capital et urgent. Face au développement des fake news et à la défiance du grand public vis-à-vis des sciences, il n'y a pas de temps à perdre. Tout retard à traiter une allégation de manquement nuit à l'image de la science.
L'existence, en France, de trois acteurs – l'OFIS, le Hcéres et l'Agence nationale de la recherche – est source de confusion, de chevauchement et d'inefficacité. En quoi ces acteurs peuvent-ils constituer des autorités morales ? Quel est leur poids réel sur la communauté de la recherche ? Il n'existe aucun cadre ni aucune structure procédurale nationale. Le chercheur accusé est dans une solitude totale.
Comment permettre le droit à l'erreur ? Celle-ci peut être une source d'enrichissement. Selon la circulaire Mandon, « la responsabilité individuelle du chercheur est pleinement engagée mais le garant intégrité scientifique est le responsable exécutif de l'opérateur de recherche ».
Les situations sont toujours complexes. En outre, comment garantir l'indépendance du référent de l'intégrité scientifique, qui appartient à la même structure que le chercheur dont il est saisi ? La question du recours à une instance extérieure se pose. En outre, la recherche privée doit elle aussi répondre à des standards.
Je pense que la formation à l'intégrité scientifique doit être très précoce, dès le secondaire.
Que doit faire le législateur ? Certaines personnes que j'ai interrogées lors de mes auditions ne souhaitent surtout pas son intervention. La responsabilité peut-elle être laissée aux établissements, la loi définissant le cadre de responsabilité de ces établissements ? On pourrait dresser une analogie avec la lutte antidopage, dont chaque fédération sportive est chargée pour ses ressortissants, mais sous le contrôle d'une agence publique indépendante.
Un problème sémantique se pose : délégué à la déontologie, délégué à la déontologie scientifique, lanceur d'alerte à la santé et à l'environnement, référent sur les données personnelles, référent intégrité scientifique… Ce n'est pas lisible.
Notons aussi l'absence de coordination européenne en la matière. Pourtant, l'adoption du Règlement général sur la protection des données (RGPD) montre que l'Union européenne peut imposer ses standards lorsqu'elle est unie.
Enfin, je vous soumets cette question philosophique, posée par une personne que j'ai interrogée : « Définir le manquement, c'est entraver la liberté de chercher. Si le législateur s'en mêle, la liberté de chercher risque d'être entravée. »