Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 7 février 2019 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

– Il s'agit effectivement d'un sujet multiforme et vital, présentant des difficultés culturelles importantes. J'y ai moi-même travaillé à plusieurs reprises, et Claude Huriet, auteur d'une loi à ce sujet, était au coeur d'un groupe de scientifiques intéressés par ce thème qui se réunissait à l'Institut Poincaré. L'OFIS a d'ailleurs été créé sur ses recommandations, même si sa forme n'est pas, selon lui, à la hauteur des enjeux.

J'ai discuté de cette question avec plusieurs personnalités, en particulier avec le journaliste Sylvestre Huet, réputé pour sa forte intégrité, son intransigeance, sur ces questions ; c'est un observateur intéressant et extérieur de ce sujet.

Les méconduites scientifiques peuvent relever de l'éthique – les questionnements que peut avoir un chercheur sur des pratiques légales mais discutables – ou de la loi – les comportements condamnables, comme la falsification ayant des conséquences néfastes pour la société ou entraînant un mauvais usage de fonds publics.

Il y a quelques ouvrages sur le sujet, surtout issus du monde anglo-saxon. On observe une grande variété de méconduites. Il peut s'agir de plagiats plus ou moins avérés et importants – de l'emprunt à moitié inconscient à la reproduction systématique –, d'implications de découvertes scientifiques dans certaines situations – Michel Rocard parlait de crime contre l'humanité pour qualifier les travaux des chercheurs en mathématiques financières dont les formules se sont retrouvées impliquées dans la crise financière de 2008 –, d'affaires tragiques – je pense à celle qui a mené au suicide d'un grand scientifique japonais à propos d'une affaire où c'était une personne de son équipe et non lui qui était en faute –, d'affaires grossières, voire cocasses, comme celle du chercheur ayant dessiné des pois sur une souris pour faire croire à sa mutation – « la souris truquée » –, ou de cas – comme, d'après ce que j'en comprends, avec l'affaire Peyroche – dans lesquels il y a clairement eu falsification mais dont les conclusions ne sont pas mauvaises et font avancer la recherche dans le bon sens.

La question de l'intégrité scientifique n'était pas absente de l'affaire Dreyfus, avec l'analyse graphologique menée par Bertillon, lequel expliquait qu'il s'agissait d'un autoplagiat, Dreyfus ayant fait semblant, selon lui, d'imiter sa propre écriture.

Dans certains cas, les problèmes posés par l'expertise scientifique sont plus subtils. On peut ainsi penser aux scientifiques de bonne foi invités à des conférences sur le changement climatique aux États-Unis et qui font part, par honnêteté, de leurs incertitudes, sans se rendre compte que cette honnêteté est instrumentalisée pour discréditer la thèse du réchauffement climatique ; bien entendu, toute recherche a sa part d'incertitude et la notion de consensus est très délicate en sciences.

Parmi quelques autres affaires célèbres, il y a eu la fraude subtile au referee, démasquée par Springer Publishing, dans laquelle des auteurs avaient mis sur pied un anneau permettant à chacun d'être le referee examinant les conclusions de son complice, de sorte que tous jugeaient positivement les recherches de leurs collègues. Dans un monde où la recherche en biologie est devenue très compliquée et où les éditeurs, ne sachant plus qui solliciter, suivent les recommandations de l'auteur lui-même, c'était difficile à détecter.

Il y a aussi de nouvelles méconduites provenant des transformations économiques du monde de la publication scientifique, avec le modèle auteur-payeur. Cela a parfois conduit à des situations incroyables, comme cet article écrit par un algorithme aléatoire et soumis avec succès à une revue à auteur-payeur. Un chercheur a même fait publier la phrase « Get me off this fucking mailing liste », que je vous cite telle quelle, répétée d'un bout à l'autre de son article. Dès lors que l'on paie, on peut faire publier n'importe quoi dans certaines revues. Les scientifiques connaissent la gradation des revues, mais un oeil non expert peur être impressionné par le curriculum de quelqu'un qui aura publié de nombreux articles, alors qu'il suffit de payer pour être publié.

Une étude menée en 2010 auprès des chercheurs estime qu'environ un tiers des chercheurs avaient commis, à un moment ou à un autre de leur carrière, des actes qu'ils estimaient non conformes à la déontologie et à l'intégrité. Ce n'est donc pas du tout marginal, et, dans un contexte où les tensions économiques, politiques s'accentuent et où l'incitation à la publication est de plus en plus forte, ce phénomène s'accroît.

Le milieu scientifique a du mal à s'emparer de ce sujet. Le réflexe a longtemps été : « pas de vague ! » ; si l'on règle ces problèmes publiquement, cela aura des répercussions négatives sur toute la recherche. Je pense au contraire que, dans le monde actuel, où rien ne peut être durablement caché, le fait de traiter ces cas avec le bon niveau de réponse permettra de maintenir la confiance du public à l'égard de la science.

Un premier colloque a été organisé, en 2012, par Claude Huriet et Claudie Haigneré. On y a échangé des statistiques et des recommandations, et l'on a évoqué diverses initiatives – la déclaration de Singapour, une tentative de charte ou de serment, la nécessité d'instruire les jeunes docteurs en la matière.

La mise en place institutionnelle est difficile. Le ministère de la recherche a du mal à se saisir de ce sujet, d'autant qu'il n'est pas l'acteur qui bénéficie le plus de la confiance du monde scientifique. Il faut aller, me semble-t-il, vers un système de référents opérationnels au sein des institutions – les universités, les laboratoires de recherche, les agences –, avec un organisme indépendant pouvant édicter des règles et des mécanismes.

Il faudrait aussi un mécanisme d'appel, qui connaisse des cas dans lesquels l'institution n'a pas répondu à la frustration. J'ai été saisi, informellement, de plusieurs cas de plagiat de thèse au cours des dernières années. En général, un morceau plus ou moins important de thèse a été intégralement repris par un autre doctorant, le directeur de thèse ne voulant pas voir sa réputation entachée et le président de l'université ne souhaitant pas ébruiter l'affaire ; bref, rien n'est réglé, même lorsque le plagiat est évident. Il faut donc travailler à ce mécanisme d'appel auprès d'autorités ayant un poids moral et une certaine indépendance.

En outre, certaines institutions ont du mal à conduire l'instruction. Dans les affaires Voinnet et Peyroche, l'instruction s'est chaque fois mal passée : soit l'affaire a été instruite trop rapidement et trop durement, sans que le scientifique mis en cause puisse se défendre, soit elle l'a été trop lentement et en n'étant pas à la hauteur, et c'est la presse qui a, in fine, levé le lièvre. On le voit, l'institution ne sait pas encore se saisir de ces cas, et ce n'est pas à l'OFIS de les instruire.

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