Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du mardi 15 janvier 2019 à 16h45
Commission des affaires sociales

Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé :

Monsieur Door, existe-t-il des contradictions dans la position du CCNE sur l'AMP ? Sans doute, mais peu (sourires). Nous partageons des valeurs fondamentales et de grands principes, qui ne sont pas soumis à la temporalité. Pour autant, 2005, c'est déjà loin – sans parler de l'avis précédent qu'avait rendu le CCNE, dont je rappelle qu'il a été créé sur les problèmes de procréation, avant de voir son champ élargi à d'autre sujets. Qu'en fonction des modifications survenues depuis 2005 dans les connaissances, et surtout dans la société, la position des membres du CCNE ait évolué ne me trouble pas, à condition qu'elle soit explicitée et confortée par une série d'arguments.

Après avoir observé une position très neutre sur les états généraux, nous avons choisi d'émettre une série d'opinions qui puissent servir de guide. Cet avis n° 129 s'est construit sur le passé du CCNE, auquel vous avez fait allusion, mais aussi sur ce que nous avons entendu. À partir du moment où l'on décide d'organiser des États généraux, il faut écouter nos concitoyens et se montrer sensible à leurs arguments – la question peut d'ailleurs se poser dans un autre cadre. Il m'apparaît donc normal que le comité puisse évoluer.

Notre position sur l'ouverture de l'AMP aux femmes seules et aux couples de femmes n'a pas changé ; elle préexistait aux États généraux. En revanche, c'est après avoir auditionné des associations et les sociétés savantes que nous avons évolué sur un problème plus technique, celui de la cryoconservation des ovocytes, le collège des gynécologues et obstétriciens nous ayant convaincus que la procédure pouvait être moins lourde que ce que nous imaginions. Enfin, notre ligne est celle de la confiance : si les femmes souhaitent utiliser cette technique, alors qu'elles n'y sont pas du tout contraintes, il convient de leur ouvrir cette possibilité.

Vous dites que cet avis ne reflète pas celui des quarante personnalités. Il a été validé par l'ensemble des membres du CCNE, mais sur le sujet très précis de l'extension de l'AMP aux femmes seules et aux couples de femmes, deux membres ont souhaité présenter une position divergente. Et c'est très bien ! Il ne faut pas toujours rechercher le consensus ; sur les sujets difficiles, les positions minoritaires doivent pouvoir s'exprimer, à condition qu'elles soient étayées et discutées. Nous ne pouvons pas à la fois inciter la société civile à discuter et à présenter ses arguments, si nous ne nous écoutons pas nous-mêmes au sein du CCNE.

Je ne crois pas avoir dit que j'étais pour la GPA éthique, car le CCNE, et moi le premier, sommes très clairs sur le sujet. Une fois de plus, ne confondons pas dans cette assemblée la question de l'ouverture de l'AMP et celle de la GPA. La GPA est un tout autre sujet, qui pose le problème de la marchandisation du corps. Le CCNE a exprimé très clairement sa position dans l'avis n° 126, avant les états généraux, et de nouveau dans l'avis n° 129.

Monsieur Issac-Sibille, vous m'avez interrogé sur les études qui doivent être conduites. La recherche doit être libre, et sa construction ne se fait pas du haut vers le bas. Néanmoins, sur certains grands sujets, l'enjeu sociétal est tel qu'il convient, pour avoir une vision précise, de disposer de données de recherche opérationnelles, à l'image de ce qui se passe dans les pays anglo-saxons. Nous manquons en France de données solides sur la fin de vie – quelles procédures, quels médicaments sont utilisés ? – et les bases de données de la CNAM seraient utiles si des groupes de recherche, financés ad hoc, se consacraient à ce sujet. De même, une grande cohorte nationale des enfants issus des techniques d'AMP pourrait être mise en place en France, ce grand pays scientifique qui a montré sa capacité à être en pointe sur certains sujets. Globalement, les données anglo-saxonnes, qui ne portent que sur quelques centaines d'individus, sont rassurantes puisqu'elles montrent qu'il n'existe pas de profil psychologique type de ces enfants.

Monsieur Ratenon, le CCNE a choisi d'interpeller la société sur le vieillissement et sur la vision que nous avons de nos anciens. Plutôt que de critiquer en permanence l'action des gouvernements, chacun de nous doit s'interroger sur sa propre attitude. Je me souviens que dans le service que je dirigeais à l'hôpital Bicêtre, la question de la sortie d'une personne âgée d'origine asiatique ne se posait pas, car elle était systématiquement prise en charge par sa famille. C'est une question culturelle. L'avis du CCNE doit nous interpeller, et moi le premier, sur la vision que nous avons des personnes âgées. Le regard que portait la société française sur les personnes handicapées a changé, mais il a fallu du temps. La prise en charge des personnes âgées demeure encore un problème économique, et non humain. Nous ne nous interrogeons pas sur ce que les anciens ont apporté et sur ce que nous leur devons en retour. L'avis du CCNE porte essentiellement sur ce point, et sur un certain nombre de modalités pratiques. La réflexion sur le vieillissement, menée par Régis Aubry, un spécialiste, se poursuivra et sera encore approfondie.

Monsieur Dharréville, vous avez évoqué la marchandisation du corps, qui constitue pour nous une ligne rouge. Il convient de nous interroger sur ce qu'est le corpus de la bioéthique, en 2019. Tout le monde comprenait ce dont il retournait lorsque l'on parlait du don d'organes et de la position, très claire, de la France – je rappelle qu'en Chine, en dépit des recommandations internationales, les reins des condamnés à mort continuent d'être vendus au plus offrant ! Mais ce corpus a évolué : doit-on considérer, en 2019, qu'une séquence d'ADN fait partie du corps, qu'une donnée de santé, abritée dans une grande base, a trait au corps ? Qu'est-ce qui constitue, aujourd'hui, le nouveau corpus de la bioéthique ?

Madame Dubié, vous m'avez interrogé sur la fin de vie. Nous avons souhaité que cette question soit traitée par les États généraux, ce qui ne signifie pas qu'elle doive faire partie de la loi de bioéthique – il s'agit d'un questionnement éthique, non d'un problème de bioéthique. Bien que le sujet soit complexe, nous avons eu de très beaux débats, beaucoup moins houleux que sur les aspects de procréation. La fin de vie ne se passe pas dans de bonnes conditions en France, où le nombre de lits en soins palliatifs est insuffisant ; et si la loi Claeys-Leonetti a beaucoup fait avancer les choses, elle reste mal connue et n'est pas appliquée. Certes, on pourrait se lancer dans une nouvelle loi, à l'image de la Belgique et de la Suisse, qui ont traité de l'euthanasie. Mais ces pays ont commencé par résoudre des problèmes de base, comme le nombre de lits en soins palliatifs, dont le taux est bien plus élevé qu'en France.

Il est difficile de répondre à votre question judicieuse, et terriblement d'actualité, sur l'avis du comité citoyen. Le comité citoyen, constitué pour formuler un avis critique tout au long du processus des États généraux, a souhaité approfondir deux sujets : la génomique en population générale et la fin de vie. Sur ce dernier sujet, il a conclu à la nécessité d'avancer sur l'euthanasie et le suicide assisté, mais cette position a été décidée à une voix près. Dans ces grands débats, la place de la construction, via les comités citoyens, est fondamentale. Elle permet une attitude critique, au bon sens du terme, vis-à-vis des experts, du politique, des structures. Ces comités doivent être organisés, les citoyens formés. Quant à définir jusqu'à quel point on tient compte de leur avis, c'est une deuxième étape.

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