Madame la présidente, mes chers collègues, je vous remercie de m'accueillir à la commission des Lois.
Cette proposition de loi, fruit d'un travail réalisé avec mon collègue Hugues Renson, vice-président de l'Assemblée nationale, et un groupe de députés qui s'est mobilisé depuis plus de dix-huit mois sur ce sujet, vise à lutter contre la mort subite et à mieux sensibiliser la population aux gestes qui sauvent. Elle se fixe trois grandes priorités : la création d'un statut de citoyen sauveteur, l'insertion d'étapes obligées de sensibilisation aux gestes qui sauvent à différents moments de la vie, et le renforcement des sanctions contre ceux qui dégradent des défibrillateurs.
La « mort subite », ce sont 40 000 à 50 000 décès chaque année. On en parle peu ; c'est pourtant un enjeu de santé publique majeure. La mort subite, c'est ce qu'on appelle aussi l'arrêt cardiaque inopiné ou soudain. Certes, nous mourrons tous à un moment donné d'un arrêt cardiaque, mais nous parlons ici de l'arrêt cardiaque sans symptôme avant-coureur dans les vingt-quatre heures qui précèdent, de la personne qui s'effondre dans la rue, au travail ou à son domicile. Pour plus de clarté, je vous proposerai tout à l'heure d'utiliser le terme « arrêt cardiaque ».
Quant au mot « lutte », il a une réelle importance. Autrefois, on en venait presque à considérer que mourir d'un arrêt cardiaque, c'était mourir d'une belle mort, c'était une fatalité, qu'on ne pouvait rien y faire. Or il faut aujourd'hui considérer que ce n'est plus une fatalité : on peut agir, on peut sauver des milliers de vies. J'ai dit, 40 000 à 50 000 personnes meurent chaque année en France par arrêt cardiaque. Dans 70 % des cas, un témoin est présent. Le taux de survie en France est actuellement de 7 %. Certains pays nordiques, mieux formés aux premiers secours, affichent des taux de survie parfois supérieurs à 20 %. Ce qui signifie que si nous parvenions à porter ce taux de 7 % à 12 ou 15 %, nous pourrions sauver 3 000 vies, soit l'équivalent de l'ensemble des morts par accidents de la route. C'est donc un enjeu de santé publique majeur.
Chaque minute qui s'écoule sans prise en charge, c'est 10 % de chances de survie en moins pour la victime. Au-delà de trois minutes sans gestes de premiers secours pratiqués, les premières séquelles irréversibles apparaissent. L'action du proche, du premier témoin durant ces premières minutes est donc cruciale. En France, les secours mettent en moyenne treize minutes pour arriver sur place – de sept à huit minutes à Paris et parfois plusieurs dizaines de minutes en zone rurale. On voit donc que le premier témoin a un rôle clé pour intervenir dans cette première minute où tout se joue.
Aujourd'hui, environ 30 % de la population est sensibilisée aux gestes qui sauvent ; c'est bien trop peu. Et pourtant, des actions ont été engagées : en 2016, les gestes qui sauvent ont été érigés en grande cause nationale ; un programme de l'éducation nationale a été mis en oeuvre afin que 100 % des élèves de troisième sortent avec un certificat de compétences en « prévention et secours civiques de niveau 1 » (PSC1), délivré à l'issue d'une formation de sept heures diplômante aux premiers secours. Et le Président de la République a appelé l'ensemble des acteurs à se mobiliser pour que nous atteignions le chiffre de 80 % de la population sensibilisée d'ici à quelques années.
J'emploie à dessein le mot « sensibiliser » et non le mot « former ». L'objectif est d'initier, de sensibiliser 80 % de la population : nous voulons donc généraliser. Il faut que ce soit simple. Il faut faire comprendre aux Français que c'est facile de se former, de se sensibiliser : AMD, « alerter, masser, défibriller ». La notion de formation peut faire peur, peut renvoyer à l'idée de préparation d'un examen ; il faut sortir de cela. Il faut aussi sortir de l'approche d'excellence de la pratique des gestes qui sauvent : il est important de dire qu'il vaut mieux mal faire que ne rien faire, car la personne va mourir. Le statut de citoyen sauveteur que nous créons vise à lever les freins sur une question classique, souvent posée dans les stages de formation aux premiers secours : « Que se passe-t-il si je fais mal ? » Rien. La personne est morte, il vaut mieux mal faire que ne rien faire. Il est très important de faire passer ce message : vous êtes citoyen sauveteur, vous intervenez de bonne foi, volontairement, vous êtes donc protégé par ce statut.
Le sujet des défibrillateurs est également un enjeu majeur pour lutter contre l'arrêt cardiaque inopiné. Généraliser le déploiement, mailler le territoire est très important. Environ 200 000 défibrillateurs ont été installés sur le territoire. Je voudrais saluer le travail du sénateur Jean-Pierre Decool qui, dans le cadre d'une proposition de loi adoptée en juin 2018, a généralisé la présence de défibrillateurs dans les lieux recevant du public ; les décrets viennent de paraître au mois de décembre, avec également l'idée d'un référencement, d'une cartographie des défibrillateurs sur le territoire et d'une vérification de leur état de maintenance. C'est la raison pour laquelle la proposition de loi ne mentionne les défibrillateurs que dans le but de renforcer les sanctions à l'encontre de ceux qui les dégradent : endommager un défibrillateur, c'est endommager un objet qui peut sauver une vie.
Une des grandes nouveautés apparues depuis quelques mois, c'est le développement d'applications mobiles permettant de repérer et référencer les citoyens volontaires pour être sollicités en cas d'arrêt cardiaque d'une personne qui s'effondre : SAUV life, Staying Alive, l'Association française des premiers répondants en Moselle… La liste n'est pas exhaustive.
Je vous en rappelle brièvement le principe. Ce sont bien sûr toujours les services de secours, SAMU, pompiers, qui reçoivent l'appel lorsqu'un citoyen est victime d'un arrêt cardiaque. Des volontaires se sont inscrits sur des applications pour être appelés et mobilisés afin d'intervenir avant que les secours arrivent. Une cartographie des citoyens bénévoles s'affiche au niveau des services de secours qui peuvent donc envoyer un message pour savoir si des citoyens veulent intervenir, soit pour faire les gestes de premiers secours, soit pour chercher un défibrillateur. Cette sollicitation des citoyens par des applications est une nouveauté qui permettra de plus en plus de gagner les quelques minutes précieuses avant l'arrivée des secours.
La proposition de loi que nous étudions aujourd'hui se compose de quatre titres.
L'article 1er, unique article du titre premier, crée le statut de citoyen sauveteur afin de protéger la personne qui intervient bénévolement pour en sauver une autre. Le citoyen sauveteur est exonéré de toute responsabilité civile pour le préjudice qui, le cas échéant, résulterait pour la personne par lui secourue, à moins que le préjudice ne résulte d'une faute lourde ou intentionnelle de sa part. Il s'agit là d'une véritable avancée qui doit lever les freins à l'intervention des citoyens sauveteurs.
Le titre II a pour but de davantage sensibiliser la population à cette question de l'arrêt cardiaque et des gestes qui sauvent. Les articles 2 à 5 visent à sensibiliser à ces gestes à l'entrée au collège, lors de la préparation de l'examen au permis de conduire, pour les salariés avant leur départ à la retraite, ainsi que pour les arbitres et juges-arbitres – rappelons que l'on dénombre environ 800 morts par an sur des terrains de sport en France dus à un arrêt cardiaque inopiné.
L'article 6 propose de créer une journée nationale de lutte contre l'arrêt cardiaque et de sensibilisation aux gestes qui sauvent, sur le modèle de la journée européenne de sensibilisation à l'arrêt cardiaque qui existe aujourd'hui. La communication massive est un enjeu important pour inviter nos compatriotes à connaître les gestes qui sauvent.
Le titre III de la proposition de loi comprend différentes mesures de clarification et d'organisation des dispositions relatives aux premiers secours dans le code de la sécurité intérieure. Je proposerai que l'article 10, qui traite de la continuité de la prise en charge des victimes par les associations agréées de sécurité civile et qui n'a finalement pas de lien direct avec le texte, soit supprimé.
Le titre IV enfin a trait au défibrillateur cardiaque et propose de renforcer les peines en cas de vol ou de dégradation.
Je vous proposerai tout à l'heure quelques amendements visant à améliorer la rédaction de certaines dispositions et d'harmoniser notamment la terminologie en utilisant systématiquement les formules « gestes qui sauvent » et « arrêt cardiaque » plutôt que « gestes de premiers secours » et « mort subite ».
Je voudrais une nouvelle fois remercier Hugues Renson et le groupe de députés avec qui nous avons travaillé pour préparer ce texte. Je salue également le travail de membres de l'opposition, ceux, bien sûr, qui ont proposé des amendements, mais aussi nos collègues Bernard Brochand et Bérengère Poletti, qui s'étaient déjà engagés dans des initiatives sur cette thématique ; j'espère que ce texte pourra obtenir un large consensus. Je voudrais également saluer quelques sénateurs qui se sont largement impliqués sur cette cause, notamment Jean-Pierre Decool, déjà cité, et l'ancien sénateur Alex Türk. Je remercie enfin l'ensemble des acteurs que nous avons auditionnés, médecins, pompiers, associations agréées de premiers secours, spécialistes, qui nous ont éclairés et aidés dans la rédaction de ce texte.
Telle est, mes chers collègues, la proposition de loi que je vous présente ce matin en espérant qu'elle recueillera un large assentiment de votre part.