Intervention de Bastien Lachaud

Réunion du mercredi 13 février 2019 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud, rapporteur :

Les Gilets jaunes manifestent depuis quatorze semaines ; partout en France, des hommes et des femmes ont bravé le froid pour faire sur les ronds-points de véritables petits parlements. Poussés par la précarité de leurs existences, soucieux de l'avenir de leurs enfants, ils ont dédaigné le danger et la répression, qui a pourtant causé des blessures, traumatismes et mutilations innombrables. Motivés par le bien public, ils sont entrés en insurrection. Ce n'est pas un événement que l'on peut regarder avec indifférence, encore moins avec ironie.

Avec les Gilets jaunes, nous n'avons pas affaire à un caprice qui agiterait une masse confuse. Nous voyons comment un principe travaille et anime un peuple. Comme dans la plupart des grands moments de notre histoire nationale, la question sociale vient se heurter à l'indifférence d'une caste, d'un groupe social privilégié et entêté à se distinguer du grand nombre. Face à cette obstruction, c'est la loi fondamentale elle-même qui est désormais mise en question.

La protestation des Gilets jaunes est née du refus d'une taxe injuste de plus. Elle débouche aujourd'hui sur la revendication politique de l'intervention populaire. Permettez une brève énumération historique : 1789, la misère du peuple force la monarchie à reconnaître le tiers état ; 1792, c'est l'idée même du suffrage qui s'impose en même temps que la forme républicaine des institutions ; 1848, le suffrage universel, à peine effleuré en 1792, est réellement adopté – mais il n'est pas complet, il faut encore attendre 1944 pour qu'enfin les femmes aient le droit de vote et 1945 pour qu'elles l'exercent.

Voyez comme l'histoire va, approfondissant l'ancrage de la démocratie dans notre pays. Souvenez-vous aussi des obstacles qu'elle y a rencontrés. Certains ont d'abord voulu empêcher les pauvres de voter. On prétendait qu'ils n'avaient rien à défendre et qu'ils négligeraient le bien public. On a ensuite voulu réserver le vote aux plus instruits. Enfin, on a soutenu que les femmes ne pourraient pas s'émanciper d'une tutelle extérieure et que, pour ainsi dire, elles ne méritaient pas de voter.

Les détracteurs du référendum d'initiative citoyenne n'ont pas d'autre argument. Les citoyens méritent-ils – d'autres disent : sont-ils capables – d'être à l'initiative d'une loi ou d'une révision constitutionnelle ?

Mais c'est mal poser la question. Le peuple revendique son droit ; son droit à se gouverner. Lorsqu'il s'exprime, il ne proclame pas une vérité : il exprime sa volonté, il fait d'une opinion un acte. Ce droit, il l'exerce lors de l'élection : il l'a exercé lorsque nous avons été élus. Pourquoi ce droit d'agir et de choisir lui serait-il ôté en dehors des périodes électorales ? Il faut au contraire l'affermir et en étendre la portée.

C'est tout le sens de la proposition visant à instaurer la possibilité de référendums d'initiative citoyenne que je présente aujourd'hui devant vous. Je veux dire sans ambages que cette proposition, si universellement défendue par les Gilets jaunes, n'est pas faite contre la démocratie représentative. Elle en est un complément. L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'affirme-t-il pas : « Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à [la] formation » de la loi ? Certains y voient la banalisation d'une pratique plébiscitaire. J'y vois l'exact inverse. Ce qui caractérise le plébiscite, c'est précisément d'être à l'initiative du pouvoir. Or, ici, que voulons-nous ? L'initiative populaire !

Dans l'état actuel des choses, il n'est pas raisonnable de croire que la volonté et l'intelligence d'un homme seul pourraient faire la synthèse d'un « grand débat ». Quand bien même il en serait capable, la confiance dans le personnel politique, dans les médias, dans les institutions est aujourd'hui si ébranlée qu'il est illusoire d'imaginer reprendre, sans rien changer, « la vie d'avant ».

Une autre critique formulée contre le référendum d'initiative citoyenne me semble tout aussi fragile. Il induirait une instabilité préjudiciable. Les faits indiquent clairement le contraire ! Là où il est en vigueur, les institutions ne sont pas moins solides. Dans le cas présent, la proposition que nous faisons ouvre même la possibilité d'une révision ou d'une refonte complète de la Constitution. Nous offrons un moyen populaire, pacifique et républicain de réviser le pacte qui fait de nous un peuple.

Le peuple n'est pas une collection d'individus enfiévrés. Les partisans du référendum d'initiative citoyenne ne le considèrent pas plus que nous-mêmes comme la solution à tous les maux. Face à l'urgence sociale et à l'urgence écologique, des mesures doivent être prises rapidement. Les partisans du référendum d'initiative citoyenne en ont pleinement conscience ; ils le réclament. Mais face au blocage, nous considérons simplement que le peuple est la ressource. C'est à vrai dire la conviction que partagent a priori tous les républicains conséquents.

Nous aurons la possibilité de revenir sur les modalités précises de la mise en oeuvre du référendum d'initiative citoyenne. Il soulève des questions techniques que je n'ignore pas. Elles sont intéressantes, mais relativement aisées à surmonter. Se borner à les énumérer serait un prétexte ou un faux-fuyant.

À cet instant, je tiens à le dire clairement et avec solennité : il s'agit d'une affaire de principe. Vous êtes face à une alternative : ou bien vous choisissez la cohérence démocratique et reconnaissez que le peuple est maître en toute chose, ou bien vous optez pour le bonapartisme d'après lequel le peuple a besoin d'un guide et d'un maître. Vous avez la possibilité d'accomplir un acte fondateur et de faire entrer la démocratie dans une ère nouvelle.

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