Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mercredi 11 octobre 2017 à 16h30
Commission des affaires sociales

Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé :

Pour commencer, je vais répondre au rapporteur général sur ce très important article 35 qui va permettre une transformation en profondeur de notre système de santé. Cet article donne un cadre légal à des expérimentations sur cinq ans, destinées à modifier le système d'organisation de notre système de santé, à décloisonner, à favoriser des tarifications au parcours et la pertinence des soins. Ce dernier point représente une grande révolution dont l'idée de base est la suivante : il faut favoriser les gens qui travaillent bien, pas forcément ceux qui travaillent plus pour faire de l'acte.

Cet article 35 n'a pas de limites. Il prévoit un fonds de 20 millions d'euros, auquel s'ajouteront 10 millions d'euros du Fonds d'intervention régional (FIR) qui était à la main des agences régionales de santé (ARS) pour financer des organisations. Il sera géré par un comité d'experts, de façon à évaluer les expérimentations et à pouvoir les déployer. Ce regard national porté sur les organisations et les innovations de terrain permettra de déployer tout ce qui fonctionne. Les expérimentations actuelles, qui sont financées par le FIR, ne sortent pas de l'ARS où elles sont conduites, dans une région donnée. Financé grâce à un fonds national de gestion de risque, qui sert à rembourser des prestations, le nouveau Fonds pourra être réalimenté autant que de besoin, en fonction des projets qui nous seront présentés. L'idée est évidemment de le faire croître au fil du temps.

Vous avez aussi évoqué la « taxe sodas », monsieur le rapporteur général. Vous avez raison, la consommation de sodas est l'une des causes de l'obésité des enfants, qui progresse en France, en Europe et dans d'autres pays du monde, et qui est un facteur et un marqueur d'inégalités sociales. Il faut cependant bien réfléchir avant de créer ce qui serait une taxe comportementale c'est-à-dire visant à changer les comportements. Si nous voulons qu'une telle taxe soit acceptée par le Conseil constitutionnel, nous devons apporter la preuve de son efficacité, c'est-à-dire que nous devons la fixer à un niveau élevé. Cela revient à taxer plus lourdement les personnes les plus pauvres, qui consomment potentiellement le plus de boissons sucrées. Nous devrions peut-être utiliser prioritairement d'autres biais pour modifier les modes d'alimentation, en commençant, par exemple, par alerter les familles dans le cadre de l'éducation à la parentalité. C'est un axe que je souhaite promouvoir dans le cadre de ma politique familiale. Cela étant, je suis à votre disposition pour discuter de cette éventuelle taxe qui n'est pas prévue dans le PLFSS.

Pour lutter contre le tabagisme, il était urgent d'augmenter fortement la fiscalité sur les produits du tabac. Il y a vingt ans, sous la présidence de M. Chirac, la dernière hausse notable avait permis une baisse de la prévalence du tabagisme. Depuis, il n'y a eu que de petites augmentations sans impact sanitaire. J'ai choisi de m'attaquer à ce fléau car nous détenons les records internationaux en matière de tabagisme des jeunes de moins de dix-sept ans et des femmes. C'est une vraie spécificité française.

Monsieur Mesnier, vous me posez la question de la mise en oeuvre effective de la vaccination obligatoire par les professionnels de santé, qui nécessite en effet des explications. Nous avons voulu simplifier au maximum cette obligation car, pour nous, elle vise à faire de la pédagogie et à restaurer la confiance. Le but n'est pas d'entraîner des sanctions ni des complications. Cette obligation sera effective à partir du 1er janvier pour tous les enfants nés à partir du 1er janvier 2018. À leur entrée en collectivité, leur carnet de vaccination sera vérifié.

Nous n'avons pas souhaité faire un rattrapage pour les générations précédentes, car il serait extrêmement complexe à réaliser. Les familles qui ne souhaitent pas faire vacciner leurs enfants ne seront pas sanctionnées. Le fait que leurs enfants soient privés d'entrée en collectivité représente, cela dit, une forme de sanction qui rendra ce choix très difficile. Il existe aussi un cadre pénal général sur la protection de l'enfance, qui nous semble suffire : les parents doivent une protection à leurs enfants. Un enfant non vacciné qui ferait une septicémie et serait amputé et handicapé à vie pourrait se retourner contre ses parents, ceux-ci ne lui ayant pas assuré la protection à laquelle il avait droit. En revanche, l'amende existante est supprimée. Nous avons aussi réfléchi à la clause d'exemption qui était demandée par la concertation citoyenne mais nous ne l'avons pas retenue parce qu'elle serait en contradiction avec l'obligation vaccinale et ne passerait pas la censure du Conseil constitutionnel.

Ce n'est pas un budget de rupture, dites-vous, monsieur Door. Pour ma part, je pense sincèrement que ce PLFSS, notamment son article 35, porte des transformations profondes. Personne n'a jamais été aussi loin, et je ne parle même pas des vaccins ou du tabac. C'est un PLFSS très courageux. L'article 35 va permettre les vraies innovations organisationnelles que les professionnels attendent sur le terrain depuis des années. Nous allons lever énormément de verrous réglementaires. Nous allons favoriser des organisations intelligentes au service des patients, une coordination des soins.

Où sont les économies ? me demandez-vous, en estimant que nous taxons trop les médicaments. Selon vous, le secteur du médicament supporte plus que sa part des économies. En raison de mon parcours professionnel, notamment à la présidence de la Haute Autorité de santé (HAS) où j'avais à évaluer la valeur ajoutée des médicaments, je connais bien ce secteur. Je sais que nous avons besoin de médicaments innovants. Je sais que les personnes atteintes de pathologies graves, de maladies orphelines ou de cancers attendent ces médicaments. Je sais aussi qu'il y a des rentes de situation dans l'industrie pharmaceutique. Je suis bien placée pour dire à certains professionnels qu'ils profitent d'une rente de situation ou d'une situation de monopole sur un médicament.

Dans le secteur du médicament, les économies se feront grâce à l'augmentation de l'utilisation des médicaments génériques. Nous avons des marges de progrès énormes en la matière puisque la part des génériques ne représente que 40 % en France contre 60 % voire 70 % en Allemagne, par exemple. Il existe aussi des marges d'économies majeures dans le domaine des biosimilaires, c'est-à-dire l'équivalent des génériques pour les médicaments plus innovants, notamment les anticorps monoclonaux. Le taux Lh, porté à 3 %, permet aux médicaments innovants de trouver leur place. Je pense que la répartition des économies prévue dans ce budget est juste pour le secteur du médicament.

N'ayant peut-être pas été assez claire à propos de la télémédecine, je répète qu'elle sort de la phase expérimentale pour entrer dans le droit commun, à la faveur de ce PLFSS.

C'est à raison, monsieur Isaac-Sibille, que vous avez parlé de ma volonté de bien identifier ce qui relève de la prévention dans le PLFSS. Compte tenu de la multiplicité des acteurs qui interviennent à ce titre dans les villes ou les écoles, il est difficile d'identifier tous les financements qui lui sont consacrés. Une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), reprise en annexe 7 du PLFSS, estime que le montant des dépenses rattachables à la prévention se situe aux alentours de 9,3 milliards d'euros. Nous allons continuer à travailler avec la DREES pour essayer de mieux identifier ces dépenses.

Précisons que le PLFSS ne reflète que l'aspect budgétaire de la prévention. On m'a reproché d'être trop timorée dans ce domaine, mais la prévention ne s'arrête pas à la vaccination obligatoire et à la hausse du prix du tabac. La stratégie nationale de santé comportera un énorme volet prévention et, j'y insiste, le PLFSS ne traduit que l'aspect budgétaire des mesures. Monsieur Vercamer, vous verrez que la stratégie nationale de santé a des objectifs très ambitieux notamment dans les domaines de l'environnement, du travail et de l'école, ce qui implique pour moi des échanges avec Nicolas Hulot, Muriel Pénicaud et Jean-Michel Blanquer.

Quant au service civique en santé, nous y travaillons. C'était une priorité et un engagement du Président de la République. Nous avons confié une mission au professeur Loïc Vaillant pour bien identifier le cadre réglementaire dans lequel les étudiants en santé – médecins, pharmaciens ou infirmiers – pourront effectuer ce service sanitaire qui vise à renforcer les actions de prévention dans les établissements, que ce soit des écoles, des EHPAD ou des universités. Nous souhaitons que les premières expérimentations du service sanitaire aient eu lieu au 1er mars 2018 et qu'elles puissent se déployer pleinement en septembre 2018. Cela ne nécessite pas forcément une ligne dans le PLFSS puisque ces dépenses seront notamment couvertes par les ARS ou certains établissements de santé. Notre démarche est progressive parce que la prévention ne s'improvise pas : ces étudiants doivent intervenir dans un cadre sécurisé, être formés et avoir des outils à leur disposition afin que les bons messages soient passés. Après la remise du rapport de M. Vaillant, fin décembre, nous développerons tranquillement ce service dans le courant de l'année 2018.

Madame Fiat, même si je n'utilise pas le même ton que vous – ce qui est normal –, j'ai fait un constat identique au vôtre au cours de ma pratique médicale. C'est parce que je sais qu'il est difficile d'exercer dans un établissement de santé que je veux arrêter la course à l'activité et le financement à la T2A qui obligent les établissements qui sont dans le rouge à faire plus d'actes pour essayer de rétablir l'équilibre de leur budget. Nous allons arrêter le tout T2A pour revenir à des choses plus logiques : rémunérer la pertinence. Qu'est-ce que la pertinence ? C'est le bon soin à la bonne personne au bon moment. Cela signifie qu'il faut être capable de mieux rémunérer des chirurgiens qui décident de ne pas opérer, dans l'intérêt du malade, et pas uniquement des chirurgiens qui cherchent à opérer pour faire du chiffre et éviter que l'établissement ne soit dans le rouge. Ma politique répond exactement à l'enjeu que vous soulignez : arrêter de courir derrière l'activité des établissements.

Concernant les EHPAD, je dois m'être mal exprimée, à moins que n'ayez pas été suffisamment attentive. Je rajoute 100 millions d'euros sur la partie soins des EHPAD pour répondre aux besoins en soins des personnes âgées vieillissantes et malades. Je rajoute des infirmières de nuit, des places en EHPAD. Il s'agit de prendre en compte le fait que les personnes qui se trouvent actuellement en EHPAD n'ont pas le même profil que celles qui y étaient il y a vingt ans. J'ai totalement suivi les recommandations du rapport de Mme Iborra et je continuerai à être très vigilante sur les tarifications des EHPAD puisque nous avons un comité de suivi au ministère.

Comment pouvez-vous me dire, Monsieur Chassaigne, que vous ne voyez rien pour l'égal accès aux soins ? La pertinence des soins – qui consiste à rémunérer des professionnels qui ne font pas forcément des actes coûteux – va nous permettre de réaliser des économies sur le budget de la sécurité sociale. On considère que 30 % des actes financés par la sécurité sociale sont non pertinents, éventuellement redondants. Citons l'exemple du scanner qui est effectué deux fois en une semaine par manque de communication entre les médecins faute de dossier médical partagé.

Nous sommes en train de réorganiser l'hôpital en vue d'accroître la part de l'ambulatoire et de développer les liens avec la médecine ville, de façon à supprimer des lits, sachant que la France détient le record européen du nombre de lits d'hospitalisation par habitant. Cette réorganisation permettra aussi de réaliser des économies.

Nous travaillons sur la permanence des soins et sur les urgences. Les textes qui encadrent la pratique actuelle des urgences sont peut-être trop contraignants, ce qui engendre de grosses dépenses pour établissements. Elles pourraient être rationalisées.

Monsieur Aviragnet, vous évoquiez aussi manque de praticiens dans le monde rural. Lors d'un déplacement, vendredi matin, le Premier ministre va présenter un ambitieux plan territorial d'accès aux soins. Il s'agit de lutter contre la désertification médicale et de rendre du temps de soignant dans les territoires. Ce plan comportera énormément de dispositions, de dérogations réglementaires et d'organisations innovantes qui ne figurent pas toutes dans le PLFSS. Il répondra, je l'espère, à cette problématique que nous ressentons tous lors de nos déplacements en France et dans les DOM.

S'agissant de la tarification des EHPAD, le comité de suivi s'est réuni pour la première fois le 25 septembre au ministère. Rappelons que la nouvelle tarification profite à 80 % des établissements et que 20 % d'entre eux sont perdants. Il faudra peut-être envisager des réorganisations et effectuer des choix stratégiques avec eux. L'idée est de ne pas les abandonner à leurs déficits, de les accompagner vers des prises en charge vertueuses.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.