Votre argumentation sur la fraude fiscale est déconsidérée par les propos que vous tenez à propos de la fraude sociale. Que ce soit en matière de fiscalité ou de prestations sociales, le fraudeur est toujours celui qui donne un coup de canif au pacte républicain.
Je ne sais pas où vous avez vu que j'aurais preuve de légèreté à l'égard des exilés fiscaux, depuis cinq mois que j'occupe mes fonctions ministérielles. Gardez-vous de tout procès d'intention. Je suis le ministre qui a proposé la fermeture de ce bureau, contre certaines habitudes, y compris administratives qui avaient été prises. Ainsi, à partir du 1er janvier prochain, aucun exilé fiscal ne pourra plus bénéficier du régime de rattrapage. Je suis le ministre qui a évoqué pour la première fois la déchéance des droits civiques pour ceux qui seraient convaincus de fraude fiscale avérée et caractérisée, je constate que vous n'en faites pas mention. Par ailleurs, je ne vois pas le lien que vous établissez entre le fait de diminuer la fiscalité et les fraudeurs et autres évadés fiscaux.
Fort heureusement, dans ce pays certains paient beaucoup d'impôts, notamment dans ma région. Alors qu'ils auraient très facilement pu passer la frontière pour aller en Belgique – car il n'y a ni Alpes, ni Pyrénées, ni Manche à franchir : la rue que j'habite est partagée entre la France et la Belgique –, ils sont restés en France. Ils ont le droit de contester le montant des impôts, mais ils les acquittent. Cela s'appelle la démocratie : on a le droit de contester un montant d'impôt comme de dire qu'ils ne sont pas assez élevés. Ce procès que vous me faites n'est donc pas juste.
Celui qui fraude socialement doit être pénalisé, et je n'ai aucun doute sur la nécessité de lutter contre les fraudes. Car la fraude jette l'opprobre sur l'ensemble de la redistribution sociale. Je vais vous délivrer un deuxième scoop : l'argent public n'existe pas ; ce qui existe, c'est l'argent des contribuables. Heureux sont les contribuables qui peuvent payer, car certains, du fait des circonstances de leur existence, en sont empêchés, c'est là que la solidarité nationale prend le relais.
Il ne faut jamais oublier que le gratuit ne sort pas d'une imprimante qui se trouverait dans les sous-sols de Bercy ; cela fait cinq mois que je la cherche, et je n'ai trouvé que des copies du PLFSS et du PLF, dont je remercie les ouvriers du Livre du ministère.
La question du tabac est très importante. Mme la ministre de la santé et des solidarités, suivant en cela l'annonce faite par le Premier ministre lors de son discours de politique générale, a proposé une augmentation très forte des prix du tabac, ce qui emporte de très lourdes conséquences pour les buralistes, influe sur le comportement des fumeurs, et peut poser la question de l'efficacité d'une politique d'augmentation de la fiscalité.
Historiquement, ainsi que Mme Buzyn l'a rappelé en termes choisis, le ministère des comptes publics, puisqu'il est à la fois le ministère des douanes et celui des buralistes – qui m'ont fait l'honneur de m'inviter à leur congrès le 19 octobre prochain –, n'est pas favorable à une forte augmentation des prix du tabac, car elle a des conséquences sur la contrefaçon, la contrebande et leur possible encouragement.
Reste qu'on ne peut pas considérer qu'il faille continuer avec l'instrument de mort qu'est le tabac, qui produit des cancers, singulièrement plus qu'ailleurs dans la région où vous êtes élue, madame Petit. En outre, ce fléau touche davantage les classes populaires, comme beaucoup de maladies liées au comportement, qu'il s'agisse du sucre, de l'alcool ou du tabac.
L'interdiction du tabac dans les lieux publics, décidée par Xavier Bertrand, a donné lieu à des débats très denses, et beaucoup de gens l'ont contestée. Cette décision ne procédait d'ailleurs pas d'un texte législatif, mais d'un texte réglementaire, et personne n'aurait aujourd'hui l'idée de revenir sur cette décision courageuse. Elle a sauvé des milliers de vies, y compris de tenanciers exploitants de bars-tabacs.
Vous avez raison, toutes les études montrent que les hausses du prix du tabac, à condition qu'elles soient fortes, entraînent des arrêts de la consommation. Il existe aussi des mesures d'accompagnement, que nous nous efforçons de mettre en place de la façon la plus précise possible. J'ignore quel est le pourcentage de fraude et de contrebande. J'ai entendu le chiffre de 26 %, qui par définition est difficile à établir. Je le prends pour ce qu'il est, je ne vais pas casser le thermomètre.
Il n'empêche que la contrebande existe à raison du trafic qui, comme tous les trafics dont celui de l'alcool notamment, porte sur des produits qui se revendent facilement, ce qui conforte cette pratique.
Nous voulons mettre tous les moyens en oeuvre pour lutter contre ces trafics. Le projet de loi de finances pour 2017 prévoit 200 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour l'administration des douanes, alors que mon ministère connaît une baisse très significative de ses effectifs. Il faut que les douaniers, qui fournissent un travail remarquable, ce que les buralistes soulignent souvent, disposent d'encore plus de moyens, notamment par le renseignement douanier et l'augmentation du nombre des brigades canines. À cet égard, je rappelle que, dans toutes les ambassades, ports et aéroports du monde, les agents douaniers sont en correspondance et échangent de l'information.
Le trafic de cigarettes est important en volume ; la semaine dernière l'administration des douanes a encore arrêté huit tonnes de tabac en transit dans un port de la Manche. Les services douaniers réalisent donc des saisies importantes, mais la question ne concerne pas que ces seuls services. Je pense que les parlementaires devraient aussi aider le ministre des comptes publics, ministre des douanes, lorsqu'il considère – je sais que Gérard Collomb y est très attentif – que la police et la gendarmerie sont aussi concernées, et que les actions doivent être davantage coordonnées.
Comme me l'ont indiqué récemment encore des agents du service du Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), le trafic de cigarettes nourrit malheureusement d'autres circuits parallèles, dont le terrorisme. Aussi, ceux qui achètent du tabac de contrebande doivent savoir qu'ils ne font pas forcément une bonne affaire, car il leur arrive de financer d'autres trafics. Je partage votre point de vue : il faut améliorer la coordination et – pourquoi pas ? – aggraver les peines infligées aux trafiquants de tabac.
Vous avez aussi évoqué le problème des frontaliers. De fait, la situation n'est pas la même selon que l'on est proche d'Andorre, de l'Espagne, de l'Italie, ou que l'on se trouve au centre de la France ou en Bretagne. Le trafic existe partout, mais il est plus intense dans les zones frontalières ; il ne vous a pas échappé que la France a beaucoup de frontières, et celles-ci doivent être maîtrisées.
Nous allons prendre des initiatives extrêmement fortes pour que l'action de l'Europe se concrétise jusque dans la vie de tous les jours, y compris pour les buralistes et les consommateurs. Nous allons proposer une harmonisation fiscale, je l'espère avec le soutien des députés européens, je vais entreprendre avec M. Moscovici, pour la première fois, des visites des zones frontalières et des services douaniers luttant contre le trafic du tabac.
Le Premier ministre soutient cette démarche, et je ferai la tournée des pays européens concernés avec Mme la ministre de la santé pour évoquer après l'adoption du budget et de la loi de financement de la sécurité sociale, ce problème d'harmonisation fiscale, car il faut mettre un terme aux distorsions existant dans ce domaine entre les différents pays. Si la France doit être à la pointe d'un certain nombre de questions touchant à l'écologie, elle doit aussi l'être de la lutte contre la consommation de tabac, dont les effets destructeurs sont très puissants.
Je souhaite enfin vous dire que nous allons travailler avec les buralistes, qui font un métier difficile. Tous ne connaissent pas la précarité, ils gagnent parfois correctement leur vie, mais beaucoup de fermetures sont constatées. Ces buralistes ne vendent pas que du tabac, mais beaucoup d'autres choses ; ils sont le lieu social des villes et des villages de France, et j'ai beaucoup de respect pour ces gens qui se lèvent tôt le matin, se couchent tard le soir et subissent une fiscalité ainsi qu'une réglementation pesantes – ce qu'ils acceptent, mais ils demandent à être accompagnés.
C'est ce que je leur dirai à leur congrès, notamment en abordant la question d'une meilleure répartition des bénéfices réalisés par la Française des jeux, même s'il y a là d'autres addictions possibles sur lesquelles nous reviendrons. Nous voulons aider les buralistes, notamment les frontaliers, à se moderniser, ce qui est leur souhait. La cigarette électronique pose d'autres questions, les buralistes ont adopté le Compte-Nickel, qui fonctionne très bien pour un certain nombre d'entre eux. Ils ont la possibilité de diversifier les produits qu'ils proposent au public, notamment en relation avec le rôle de lien social qui est le leur.
Nous ne reculerons pas sur l'objectif de santé publique que constitue la lutte contre le tabagisme qui implique une action déterminée contre la contrebande et la contrefaçon, mais nous devons aider les buralistes à s'en sortir, car l'État a longtemps compté sur eux pour vendre du tabac.