Comment ne pas être d'accord lorsqu'il s'agit de lutter contre la malbouffe ?
Coluche disait : « Dieu a dit : je partage en deux, les riches auront la nourriture, les pauvres de l'appétit ».
Si je ne crois pas que Dieu soit le grand responsable de cette fracture alimentaire, il n'en reste pas moins qu'il y a bien d'un côté les pays du Nord, qui traitent des dangers et des problématiques de la malbouffe, et de l'autre les populations du Sud, qui souffrent de la faim et de la malnutrition.
Ce phénomène n'est pas près de s'arrêter, puisque, selon un rapport de l'ONU, plus de 821 millions de personnes dans le monde souffrent encore de la faim.
En même temps, et c'est bien là tout le paradoxe, le surpoids affecte 1,4 milliard de personnes âgées de 20 ans et plus : c'est considérable et, là encore, cette courbe n'est pas près de s'inverser, car selon l'OMS, 3,3 milliards de personnes devraient se trouver en surpoids d'ici 2030.
On a pour habitude, dans ce domaine, de citer les Américains comme des exemples vivants des effets de la malbouffe.
Aux États-Unis, en effet, une étude sur l'espérance de vie confirme une tendance malheureusement persistante : les Américains vivent moins longtemps, et c'est évidemment dû en bonne partie à leur mode de vie, qui inclut une alimentation laissant à désirer.
Les Français ne dérogent pas à la règle.
Avec trente et une minutes de pause déjeuner en moyenne, ils mangent en effet de plus en plus vite et de plus en plus mal, et avec 51 milliards d'euros de chiffre d'affaires, la restauration rapide et, par la même occasion, la malbouffe, ont le vent en poupe.
Face à ce constat, nous devrions tous tomber d'accord pour nous mobiliser et pour essayer de réfléchir à une autre façon de se nourrir, mais ce n'est pas le cas.
Quelle est la meilleure façon de lutter contre la malbouffe ? Le fameux Nutri-score est-il une mesure intéressante ? Est-il fiable à 100 % ? Faut-il enseigner le bien-manger à l'école ? Faut-il interdire les fast-foods, les aliments préparés, les sodas ? Faut-il, encore, interdire la publicité en faveur de produits destinés aux enfants ?
Comment, enfin, donner envie de manger sainement ?
Si je n'ai rien à opposer à l'article 1er de votre proposition de loi – faire la chasse aux additifs ne me semble pas une mauvaise chose en soi – , j'ai plus de mal avec l'article 2, qui, sous couvert de bonnes intentions, veut encadrer les quantités de sel, de sucre ou d'apports d'acides gras saturés. Très bien.
Mais nous voilà une fois de plus dans l'interdiction et dans la réglementation : pourquoi ne pas miser au contraire sur l'éducation à la nourriture ?
Quant à l'article 3, il propose de réduire l'impact de la publicité alimentaire chez les jeunes.
Je passe sur le fait que cette formulation ne veut pas dire grand-chose, mais concrètement, comment faire ?
Votre seule réponse est donc d'interdire et de tout contrôler, jusque dans nos assiettes.
Pour ma part, je crois que c'est en reprenant le volet préventif et l'éducation en vue de manger sainement que nous gagnerons cette bataille, mais pas dans les salles de classe : non, surtout pas.
Je me souviens avoir interviewé en 2010 Philippe Durèche, malheureusement décédé depuis, qui était surnommé le « Monsieur propre » de la restauration scolaire.
Il y a plus de dix ans de cela, il conseillait déjà les collectivités territoriales sur la manière de mettre en place, dans les crèches, un système de restauration qui offrirait à l'enfant – à nos enfants – une alimentation saine, variée, équilibrée, bonne pour la santé et – cerise sur le gâteau – respectueuse de notre planète.
Son cheval de bataille était de redonner du goût aux repas servis aux enfants, car un enfant dont le goût a été bien éduqué mangera sainement et le transmettra plus tard à sa propre descendance.
Il fallait selon lui redonner du goût sans rien sacrifier aux règles élémentaires d'hygiène, mais en laissant parler avant tout le bon sens.
Je le revois encore formuler quelques préconisations élémentaires, comme remettre de l'affectif dans le circuit de la restauration scolaire, ce qui implique, il est vrai, davantage de personnel.
Il fallait selon lui servir des produits simples, mais de qualité, traquer l'utilisation des produits à mastication faible et rapide – gage absolu du retour de la sensation de faim deux heures plus tard – et chasser également la peur de l'intoxication alimentaire, qui a conduit à la suppression du repas préparé avec amour par les personnels de mairie au profit de circuits froids et industrialisés.
Je fais miennes ici, ce soir, ces préconisations.
Je fais le pari du bon sens plutôt que celui de l'interdiction.
Nous avons besoin de proposer aux Français une nourriture saine, variée et équilibrée, et avant tout accessible à tous les porte-monnaie.
Nous avons besoin d'en finir avec la fracture alimentaire, qui aggrave bien souvent la fracture territoriale : quand on est bobo, on mange bio, et quand on vit dans les cités, on mange toujours plus sucré et plus salé.