Intervention de Franck Riester

Séance en hémicycle du jeudi 21 février 2019 à 21h30
Fonds de soutien à la création artistique — Présentation

Franck Riester, ministre de la culture :

Alors que le ministère de la culture fête cette année ses 60 ans, j'aimerais rappeler l'une de ses ambitions historiques : « Il faut que nous puissions rassembler le plus grand nombre d'oeuvres pour le plus grand nombre d'hommes », disait André Malraux. Ces mots sont toujours d'actualité. Ils continuent de guider l'action du ministère.

Rassembler le plus grand nombre d'hommes, de femmes, cela signifie permettre à chacune et à chacun d'avoir accès à la culture. C'est ce que nous faisons avec le pass Culture, dont nous avons lancé l'expérimentation au début du mois auprès de plus de 10 000 jeunes dans cinq départements ; c'est ce que nous faisons à travers l'éducation artistique et culturelle, dont nous voulons faire un droit pour 100 % des enfants ; c'est ce que nous faisons quand nous investissons pour ouvrir plus et ouvrir mieux les bibliothèques et les médiathèques afin de les adapter aux attentes, aux besoins et au rythme de vie de nos concitoyens, et d'en faire de véritables maisons de service public culturel.

Rassembler le plus grand nombre d'oeuvres, cela signifie accroître leur nombre : c'est soutenir la création, sa diversité, son renouvellement, dans le cinéma, l'audiovisuel, les arts visuels, la littérature et le spectacle vivant. Si la France peut se targuer d'une diversité culturelle exceptionnelle, c'est notamment grâce à l'action de l'État à travers son soutien aux opérateurs nationaux, sa politique de labellisation, ses commandes artistiques, son soutien apporté aux résidences, ses mesures de crédits d'impôt sur le mécénat, et ses mesures de régulation des marchés comme, par exemple, le prix unique du livre.

u total, le ministère de la culture consacre chaque année plus de 1 milliard d'euros à la création. Parmi ses dispositifs de soutien, on compte de nombreuses aides directes aux créateurs. Ainsi, dans les arts plastiques, je pense aux aides individuelles à la création ou à l'installation d'ateliers pour les créateurs des arts visuels, ainsi qu'à la commande d'oeuvres dans l'espace public et aux cinq dispositifs gérés par le Centre national des arts plastiques : le soutien au développement, l'allocation de recherche aux auteurs, théoriciens et critiques d'art, l'allocation d'étude et de recherche en matière de restauration et de conservation d'oeuvres d'art contemporain, le dispositif d'aide à la photographie documentaire et l'allocation exceptionnelle réservée aux artistes rencontrant des difficultés financières ponctuelles qui ne leur permettent plus d'exercer leur activité artistique.

Concernant le spectacle vivant, les aides directes prennent la forme d'aides à l'écriture théâtrale et musicale ou de résidences.

Dans le secteur du livre, elles sont principalement gérées par le Centre national du livre : il s'agit de la bourse aux auteurs et aux illustrateurs, de la bourse Cioran, destinée aux auteurs d'essais, de la bourse de résidence, de la bourse aux traducteurs des langues étrangères vers le français et de la bourse de séjour aux traducteurs du français vers les langues étrangères. II faut y ajouter la commission d'action sociale créée à la Société des gens de lettres avec le soutien du Centre national du livre – CNL.

Quant au cinéma et à l'audiovisuel, le Centre national de la cinématographie et de l'image animée – CNC – gère des aides à la création, à l'écriture, à la réécriture, à la co-écriture et au développement de courts-métrages, de longs-métrages, d'oeuvres audiovisuelles de fiction, d'oeuvres audiovisuelles d'animation et, depuis peu, de créations numériques.

Ces aides ne sont pas isolées. Elles participent d'une ambition plus grande, d'une ambition plus vaste, d'une ambition qui nous dépasse : celle d'enrichir notre création, notre culture, grâce au travail, au talent et à l'inspiration de nos artistes.

Ces aides font l'objet d'un choix, attentif et réfléchi, de la part d'un comité d'experts. Toujours, ce choix veille à ne pas dissocier l'acte de création et la diffusion des oeuvres. J'y suis profondément attaché. Et je suis également attaché à l'approche sélective qui fonde la politique d'aide à la création du ministère de la culture.

Monsieur le rapporteur, je n'ignore absolument pas les raisons qui vous ont poussé à proposer la création d'un tel fonds de soutien. Je suis conscient de la précarité dont souffrent beaucoup d'artistes-auteurs. Je sais la difficulté qu'ils ont à construire une carrière longue, et à retirer une rémunération juste et suffisante de leur création.

Le Gouvernement est très attentif à leur situation. Comme je l'ai dit le mois dernier au festival de la bande dessinée d'Angoulême, je vais lancer très prochainement une vaste réflexion sur le statut des artistes-auteurs. II s'agit de reconnaître leur place dans la société, de recenser les difficultés qu'ils rencontrent mais aussi les opportunités dont ils disposent, et de leur offrir un régime de rémunération et de protection qui leur permette de créer dans les meilleures conditions.

Une concertation sur la réforme du régime social des artistes-auteurs, l'un de leurs principaux soutiens, est également menée depuis juin dernier. Les objectifs de cette concertation sont de conforter ce système spécifique rattaché au régime général et de maintenir le pouvoir d'achat des artistes-auteurs dans le contexte des réformes sociales et fiscales.

La mission confiée à l'inspection générale des affaires culturelles et à l'inspection générale des affaires sociales a par ailleurs proposé des pistes de consolidation et d'évolution du régime social des artistes-auteurs. Les rapporteurs de cette mission se sont notamment penchés sur une possible évolution du régime des rémunérations connexes aux revenus tirés de l'exploitation directe des oeuvres. Cette question est importante pour beaucoup d'artistes-auteurs qui voient leurs revenus diminuer. Un groupe de travail sera installé prochainement afin qu'ils puissent approfondir avec les services de l'État cette question spécifique.

Parce que nous travaillons activement à remédier à la précarité que connaissent les artistes-auteurs et parce que de nombreuses aides directes leur sont déjà destinées, je ne suis pas favorable à la création d'un fonds destiné à les rémunérer indépendamment de la diffusion de leurs oeuvres.

Je ne crois pas que le mécanisme de redistribution envisagé soit efficace et garantisse une bonne allocation des ressources. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui impliquerait, par exemple, que le secteur de la musique contribue au financement de ce fonds alors que les musiciens ne pourraient en bénéficier. Ce serait injuste.

En outre, la taxation des bénéfices tirés de l'utilisation commerciale d'oeuvres dans le domaine public pèserait principalement sur les institutions culturelles – opéras, théâtres, musées – et sur certaines exploitations traditionnelles. Ce sont elles qui investissent beaucoup pour diffuser les oeuvres anciennes. Encore une fois, ce serait injuste.

La proposition de loi omet par ailleurs l'existence des droits voisins, qui permettent à l'interprétation d'une oeuvre tombée dans le domaine public, ne donnant donc plus prise à des droits d'auteur, de faire naître d'autres droits au profit de l'interprète et du producteur. Si elle devait être adoptée, il faudrait s'assurer qu'elle n'ait pas un impact négatif sur certaines professions comme les producteurs de musique et d'oeuvres audiovisuelles. C'est ce qu'impliquerait sa rédaction actuelle, et ce serait, une fois de plus, injuste.

Mesdames et messieurs les députés, il n'y a pas de culture sans création et il n'y a pas de création sans artistes. Mon souhait, depuis ma nomination, a été de remettre systématiquement l'artiste et la création au coeur des politiques culturelles. Le ministère de la culture n'aura de cesse de les soutenir, soyez-en assurés.

Toutefois, pour les raisons que j'ai exposées précédemment, le Gouvernement ne souhaite pas soutenir cette proposition de loi.

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