Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Réunion du mercredi 20 février 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne, rapporteur :

C'est une première pour moi que de rapporter devant notre commission, et je suis ravi d'avoir pu aborder la passionnante question de la justice fiscale sous plusieurs angles. Dans le temps, court, qui nous était dévolu, nous avons organisé plusieurs auditions, qui se sont révélées très riches. Nous avons tenu à auditionner des personnes de profils et d'horizons différents : économistes, sociologue, juriste fiscaliste, représentants des syndicats et de la société civile, directeur de la législation fiscale.

Ces auditions ont confirmé que la fiscalité est une matière passionnante et inépuisable dans laquelle tout est imbriqué : lorsque l'on tire sur un fil, c'est la pelote entière qui vient... Elles ont également confirmé le bien-fondé de notre démarche. Enfin, la lumière est revenue sur ces questions fondamentales !

Faisant, comme de nombreux observateurs, le constat d'un système fiscal devenu illisible et trop complexe, mais aussi particulièrement injuste, contribuant à éroder le consentement à l'impôt dans notre société, nous pensons qu'il est urgent de le réformer dans son ensemble. Néanmoins, vous le constatez, nos propositions, qui tiennent en deux articles, ne portent que sur deux éléments du système fiscal. Nous ne pensons pas que rien d'autre ne mérite d'être modifié, nous pensons que la réforme des deux composantes que nous avons choisies, l'impôt sur le revenu (IR) et l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), est le double préalable à une réforme de plus grande ampleur de notre fiscalité.

Notre système de prélèvements fiscaux a sans aucun doute un grand besoin d'être refondu, en particulier pour répondre aux exigences d'un monde en pleine mutation et aux enjeux absolument essentiels dont la transition écologique n'est qu'un exemple. J'insiste sur l'importance de ces enjeux dans notre démarche car l'objet de cette proposition de loi n'est pas idéologique : il ne s'agit pas de considérer qu'il faut, par principe, taxer les plus riches parce qu'ils sont riches. Ce que nous souhaitons, c'est une réflexion sur notre projet de société et ce que pourrait être une juste répartition des richesses.

L'aggravation des inégalités dans la redistribution des richesses et l'insuffisante progressivité de l'impôt expliquent en grande partie l'effritement du consentement à l'impôt. Je crois important de rappeler brièvement plusieurs éléments.

Au cours des vingt dernières années, les inégalités de revenus en France sont restées globalement stables mais les 10 %, et surtout les 1 %, les plus riches ont vu leur revenu disponible augmenter plus rapidement que la moyenne. Dit autrement, l'écart entre les très riches et le reste de la population s'est creusé.

La redistribution est en France assurée pour les deux tiers par les prestations sociales et pour un tiers, ce qui est marginal, par l'impôt sur le revenu, mais les inégalités primaires – avant redistribution – se sont accrues entre 2010 et 2017, le rapport entre le neuvième décile et le premier passant de 16 à 22,5. Cela implique qu'un effort plus important est exigé du système redistributif.

Les inégalités de patrimoine sont en France bien plus structurantes que les inégalités de revenus, à plus forte raison quand ces patrimoines génèrent des revenus. Les 10 % les mieux dotés en patrimoine possèdent en moyenne près de 535 000 euros, tandis que pour les 10 % les moins dotés en patrimoine, ce chiffre n'est que de 3 000 euros, soit un montant près de 180 fois inférieur – le ratio pour les inégalités de revenu est pour sa part de 1 à 5.

La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui s'inscrit dans ce contexte et vise à renforcer la justice fiscale. Elle trouve un écho particulier dans le contexte économique et social que nous connaissons. Nous pensons qu'il faut donner rapidement des signes forts à nos concitoyens pour répondre aux légitimes aspirations à plus de justice sociale et retrouver de la sérénité dans le pays.

Le travail effectué ces dernières semaines a également mis en lumière deux éléments fondamentaux en matière de fiscalité. Le premier est que la transparence, la simplification et la pédagogie sont des exigences démocratiques sur lesquelles nous devons travailler ardemment car c'est l'une des clefs du consentement à l'impôt et il n'est pas normal que les citoyens ne comprennent pas comment sont calculés leurs impôts. Le second est qu'en matière de fiscalité les mythes ont la vie dure. Parmi les plus répandus, on compte celui selon lequel 50 % des Français ne paieraient pas d'impôt. Parce que les autres prélèvements et impositions sur les ménages – taxe sur la valeur ajoutée (TVA), cotisations sociales, contribution sociale généralisée (CSG) – sont invisibles, la cristallisation de l'attention et des tensions se fait autour de l'impôt sur le revenu, impôt qui n'est pourtant ni le plus rentable, ni le plus important dans l'ensemble des prélèvements obligatoires français, ce qui pose d'ailleurs une véritable question.

Ce constat est fondamental car il souligne le rôle symbolique de l'impôt sur le revenu ainsi que l'importance de l'acceptation politique d'un impôt, en un mot, le consentement. En la matière, la suppression de l'ISF a constitué un mauvais symbole et une grande majorité des Français est favorable à son rétablissement.

Ce sont les raisons qui expliquent les deux articles de notre proposition de loi.

L'article 1er prévoit de restaurer l'ISF, inopportunément supprimé par la loi de finances pour 2018. Sa suppression était une erreur : elle a marqué la politique du Gouvernement comme favorable aux plus riches de nos concitoyens et a fortement contribué à la dégradation d'un consentement à l'impôt déjà très fragilisé. Dans sa note du mois dernier, l'Institut des politiques publiques ne nous dit pas autre chose : la suppression de l'ISF a profité aux 0,5 % des ménages les plus aisés, soit environ 150 000 ménages.

Les arguments invoqués peinent à convaincre et une grande partie des personnes auditionnées a eu l'occasion de le rappeler : la théorie dite du « ruissellement » n'a, à ce jour, aucune vérification empirique.

Je n'entends pas non plus l'argument sur l'évaluation : l'idée qui consiste à dire qu'il faut attendre les évaluations de sa suppression avant de décider de le réintroduire ne me semble pas très pertinente. Les effets négatifs sur les dons ou l'accès des petites et moyennes entreprises (PME) aux financements seront, je l'espère, bientôt documentés avec précision mais s'il y a lieu de s'inquiéter de la suppression de l'ISF c'est bien en raison de ces deux éléments. Je souligne enfin que la singularité française, souvent évoquée à l'appui de cette suppression, pourrait être prochainement remise en cause si les propositions de Mme Elizabeth Warren, candidate à l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle aux États-Unis, se concrétisaient. Avec l'impôt sur la fortune inscrit à son programme, elle va d'ailleurs beaucoup plus loin que nous...

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