C'est un honneur d'être invité par vos commissions. Je comprends que je suis le premier commissaire non français à venir m'exprimer devant vous. Je suis commissaire à l'agriculture et au développement rural et je sais que ce sont des thématiques importantes pour la France. Vous avez dressé un tableau général des problématiques liées à l'agriculture, mais permettez-moi de commencer par une présentation du cadre agricole européen. Vous le savez, la PAC est au service de l'Union européenne et des citoyens depuis 60 ans. Elle veille au principe clé de la sécurité alimentaire, établi en 1962, à une époque où, après la deuxième guerre mondiale, les gens mourraient de faim. La PAC, dès son origine, visait également à garantir un niveau de vie suffisant pour ceux qui produisent ces denrées alimentaires.
Aujourd'hui, nous devons revoir nos priorités et notre philosophie car nous nous trouvons, une fois de plus, à une période de grands changements. Le Président Emmanuel Macron rappelle régulièrement l'attachement de la France à la PAC, qu'elle soutient, mais aussi à l'agriculture, aux problématiques agroalimentaires et aux zones rurales. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les mots qu'il y a consacrés lors de son discours à la Sorbonne, où il exposait que nous n'aidions pas forcément nos agriculteurs comme nous devrions le faire. La France est une nation leader dans le domaine agricole. Elle fait entendre sa voix, elle est déterminée et nous aidera à façonner l'avenir de la PAC. Je suis reconnaissant à l'actuel ministre de l'agriculture, M. Stéphane Travert, et à son prédécesseur, M. Stéphane Le Foll, d'avoir noué avec moi, qui suis commissaire depuis 2014, une relation ouverte et directe.
En de nombreuses occasions, lors de mes visites en France au cours des trois dernières années, j'ai pu constater la variété et la diversité du secteur agricole français. J'ai fait connaissance avec vos agriculteurs, vos coopératives mais également avec les preneurs de décision. Nous avons été confrontés à des périodes difficiles, notamment en 2015 et 2016 lors de la mise en oeuvre de diverses mesures d'urgence à la demande de la France, mais également à la suite de l'embargo russe.
Je me suis rendu au salon de l'agriculture, à celui des viticulteurs à Bordeaux, au salon de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), à l'European Dairy platform à Nice et j'ai parlé directement avec les agriculteurs français. Je suis convaincu qu'ils ont le talent et l'ambition de triompher dans les décennies à venir, malgré les difficultés que traverse le secteur agricole. Mais je suis convaincu que cela ne sera le cas que si, nous, les décideurs politiques, leur apportons le bon soutien, les bons outils et le bon cadre temporel pour réussir.
Je viens moi-même d'une petite exploitation agricole de cinquante hectares dans le sud-est de l'Irlande. Pendant plus de trente ans, j'ai représenté Kilkenny, une zone rurale très connue pour sa bière, au Parlement irlandais. J'ai donc beaucoup travaillé avec les acteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Je suis tout à fait conscient de leurs problématiques. C'est l'engagement de toute une vie. Je comprends aussi la fierté et la dignité d'un agriculteur, la joie de travailler avec les saisons, la responsabilité de prendre soin de la terre. Mais je sais également les défis qu'il doit relever pour être présent dans le marché agricole quelle que soit la situation ou la météo. Il doit à la fois pourvoir aux besoins de sa famille, disposer d'un revenu suffisant, mais également répondre aux besoins alimentaires nationaux et internationaux.
Du fait de mon histoire personnelle, depuis que je suis commissaire à l'agriculture et au développement rural, je travaille en étroite collaboration avec les États membres afin d'aider au mieux les agriculteurs et les consommateurs à préparer l'avenir. Aujourd'hui, j'aimerais vous présenter ma vision, afin que nous puissions travailler ensemble sur cette base.
Dans les prochains mois, la Commission devrait publier une communication qui définira ses priorités concernant l'avenir et les orientations de la PAC. Je souhaite une PAC plus simple, plus facile à comprendre et à mettre en oeuvre, plus moderne, plus efficace mais aussi plus durable.
Je veux que la PAC soit plus simple, car rien n'entrave davantage nos agriculteurs qu'une bureaucratie inutile. Aujourd'hui, la PAC est trop complexe. J'ai déjà procédé à environ trois cents simplifications, qui sont déjà mises en oeuvre ou en passe de l'être. Elles découlent de rencontres directes avec les agriculteurs ou les administrations des États membres.
Je veux que notre politique soit plus moderne, car la PAC doit être adaptée aux besoins du XXIe siècle. Elle doit également intégrer les accords internationaux conclus en 2015.
Je souhaite une PAC plus efficace, car nos agriculteurs et nos industries agroalimentaires sont confrontés à des défis sans précédent depuis deux ans et demi, notamment s'agissant des prix des matières premières, particulièrement pour les produits laitiers et la viande porcine. Il est temps d'améliorer et d'accélérer nos modalités de soutien aux agriculteurs en temps de crise, afin de leur octroyer davantage de résilience dans cet univers mondialisé.
Enfin, je souhaite que cette politique devienne plus durable. Je suis convaincu que la PAC peut et doit faire davantage pour créer des emplois ruraux, pour lutter contre les changements climatiques et pour répondre aux objectifs de développement durable dont nous sommes convenus au niveau international. Je tiens à souligner cette ambition environnementale. Ce n'est pas un choix, mais une nécessité. L'Europe a décidé d'être à l'avant-garde de la lutte contre les changements climatiques. Ici, à Paris, la COP21 a entériné des objectifs ambitieux en la matière. Nous avons donc choisi cette voie et l'agriculture doit apporter sa pierre à l'édifice. Votre Président de la République l'a clairement annoncé : il souhaite que l'Europe soit pionnière et soutienne une transition écologique effective et équitable. Il a également souligné un point crucial : nous devons investir et apporter de puissantes incitations pour soutenir cette transformation. C'est vrai en particulier dans l'agriculture : si nous aidons nos agriculteurs et nos communautés rurales, ils auront la possibilité d'accélérer radicalement cette transformation pour le bienfait de notre société tout entière. Ce système de production alimentaire plus vert et plus durable sera bien entendu un défi à relever pour nos agriculteurs, mais cela leur permettra également de saisir de nouvelles et significatives opportunités. Les tendances mondiales de consommation sont claires : les classes moyennes sont de plus en plus nombreuses au niveau mondial et réclament sécurité et qualité alimentaires. Or, l'Union européenne dispose des meilleures normes alimentaires. C'est pourquoi nos exportations agroalimentaires ont atteint des niveaux records. Si nous conservons et renforçons notre engagement en faveur de la qualité et du développement durable, nous soutiendrons également le niveau de revenu de nos agriculteurs.
Ils ne doivent pas craindre la concurrence et les marchés mondiaux. Lorsque nous signons des accords de libre-échange avec nos partenaires commerciaux, les normes alimentaires de l'Union européenne ne sont pas négociables. Nos partenaires doivent atteindre ce haut niveau de normes et d'hygiène. C'est une ligne rouge : jamais nous ne serons prêts au compromis en la matière, dans quelque accord de libre-échange que ce soit, passé ou à venir. C'est le cas avec le CETA, c'est également le cas avec le Japon. L'accord de libre-échange (ALE) avec le Japon est un grand succès, mais je suppose que les bonnes nouvelles ne sont pas toujours aussi diffusées que les mauvaises… Nous adoptons aussi cette approche dans les discussions actuelles avec le Mercosur : il n'y aura pas d'accord sans normes alimentaires de haut niveau.
Comme vous l'avez dit, Monsieur le président, l'Europe a besoin d'une chaîne alimentaire qui fonctionne correctement, forte et compétitive sur le marché mondial, mais avant tout au service de nos consommateurs. En tant qu'autorités publiques, nous avons des responsabilités : celle de permettre l'innovation et l'agilité des acteurs de la chaîne alimentaire, mais également celle d'atténuer les aléas du marché. La même situation se retrouve au niveau mondial, où des déséquilibres très forts ont tendance à affaiblir le système et lui font perdre sa cohérence, donc de la compétitivité. Si nous souhaitons que l'agriculture reste un choix de carrière viable pour les jeunes, nous devons faire en sorte que notre politique soit en accord avec nos discours. C'est d'autant plus vrai que nous vivons dans un environnement commercial ouvert, où les chances sont nombreuses, tout comme les risques.
La solidité d'une chaîne d'approvisionnement alimentaire dépend du plus faible de ses membres. Mais le plus important – encore une fois, je fais le lien avec le discours de M. Emmanuel Macron –, c'est que, s'il n'y a plus d'agriculteurs, il n'y aura plus de nourriture. Cela peut sembler alarmiste, mais c'est vrai. C'est pourquoi nous devons garantir aux agriculteurs une part juste de la valeur générée par leurs produits.
C'est là qu'intervient la Commission. J'en ai fait une priorité dès 2014, lorsque j'ai été auditionné par la commission de l'agriculture du Parlement européen, avant ma nomination. Je m'étais penché sur cette question et m'étais demandé comment aider nos agriculteurs, qui sont au premier niveau de cette chaîne d'approvisionnement, et doivent pourtant nous fournir des denrées alimentaires de haute qualité. La valeur ajoutée perçue par les agriculteurs est ainsi en constante diminution, coincée entre des fabricants et celle des distributeurs. Cela reflète un déséquilibre des pouvoirs qui, à mon sens, n'est pas satisfaisant. Pour nous attaquer à ce problème, j'ai effectivement créé une task force « Marchés agricoles » en janvier 2016. Elle a rendu son rapport fin 2016, avec une célérité sans précédent à Bruxelles ! Elle a émis des recommandations et des propositions détaillées, visant notamment à modifier certaines règles au niveau européen. Ces propositions couvrent des sujets aussi divers que les pratiques de marché inéquitables, la promotion de la coopération entre les agriculteurs et la transparence des marchés ou un meilleur accès aux outils financiers et de prévention des risques. Elles sont en cours d'analyse et représentent un apport bienvenu au débat sur le renforcement de la position des agriculteurs dans la chaîne alimentaire.
Je crois que ce travail reflète les priorités de votre Gouvernement. Il peut vous aider à dresser la feuille de route agricole de la France. Je suis sûr que cette feuille de route sera en parfaite synergie avec ce que j'ai à l'esprit. La coalition demandant à l'Union européenne d'agir ne cesse de se renforcer. Nous nous acheminons donc vers l'étape suivante : la rédaction d'une proposition, afin d'améliorer la position des agriculteurs vis-à-vis des autres acteurs de la chaîne alimentaire. Je me tourne vers vous pour vous demander votre aide, afin que vous souteniez mon travail avec tous les moyens dont vous disposez, tout comme moi je soutiendrai le vôtre. J'ai compris que votre Président de la République s'emparera de cette question demain. Je me réjouis à la perspective d'entendre les conclusions du premier chantier des États généraux de l'alimentation.
Madame la présidente, vous avez mentionné la question budgétaire et les négociations en cours. Nous en sommes tous d'accord : la PAC est une lueur d'espoir pour nombre d'agriculteurs. Ces agriculteurs sont les gardiens de nos sols et les protecteurs de notre sécurité alimentaire. À ma connaissance, personne d'autre n'est prêt à faire leur travail. Ils ont un rôle très important à jouer dans la lutte contre le changement climatique. Nous devons nous assurer qu'ils aillent encore plus loin. Les agriculteurs et agricultrices d'aujourd'hui sont des leaders. Ils représentent le seul avenir viable de nos communautés rurales. Nous ne pourrons réaliser ces ambitions si la PAC n'est pas correctement dotée. Cela semble évident mais c'est parfois difficile à concrétiser car il y a d'autres priorités – nous le comprenons parfaitement. Je viens de vous faire part de mon engagement en la matière : d'ici la fin du mois de novembre, j'émettrai un certain nombre de propositions afin d'améliorer non seulement nos résultats, mais également leur évaluation. J'ai besoin de votre soutien pour appliquer cette politique. Les agriculteurs européens comptent sur le soutien de pays comme la France.