Monsieur le président, mes chers collègues, je suis heureuse de rejoindre pour quelques heures votre commission.
Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), pour éviter que le réchauffement climatique ne dépasse 2 degrés Celsius, il est nécessaire de laisser dans le sol d'ici à 2050 près de la moitié des réserves de pétrole et de gaz. Pour le charbon, ce chiffre atteint 80 %.
Pourtant, malgré les objectifs souscrits par la France, en particulier à l'article 2 de l'Accord de Paris pour le climat, les acteurs financiers continuent d'investir dans de nouveaux équipements d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures et du charbon. En France, alors que les banques et les grands investisseurs, privés et publics, ont pris des engagements multiples en faveur des énergies moins carbonées, on constate seulement une stabilisation des investissements dans les entreprises du secteur des hydrocarbures depuis 2010, et même une remontée en 2018.
Deux rapports indépendants d'Oxfam France et des Amis de la Terre, publiés au mois de novembre dernier, montrent que, depuis la COP21, sur 10 euros de financements accordés par les banques aux énergies, 7 euros vont aux énergies fossiles, contre 2 euros seulement aux énergies renouvelables. Pire, les banques françaises ont augmenté de 52 % leur soutien aux entreprises prévoyant la construction de nouvelles centrales à charbon. Ces rapports faisant l'objet de contestations, c'est un argument supplémentaire pour demander que des éléments soient fournis directement par les banques.
Si cette situation perdure, nous ne pourrons pas honorer nos engagements en faveur du climat. En outre, nous nous retrouverons confrontés à un risque supplémentaire lié au système financier dans son ensemble, ce qu'il est convenu d'appeler un risque systémique. En effet, investir aujourd'hui dans les ressources fossiles, c'est choisir des rendements faciles à court terme, mais en s'exposant à moyen terme au risque de détenir des actifs dits échoués, c'est-à-dire inutilisables – je pense par exemple à une centrale électrique thermique que la réglementation interdira d'exploiter. Il y a donc un risque majeur d'instabilité du système financier si les investisseurs attendent trop longtemps pour réorienter leurs investissements et s'ils continuent d'investir dans des actifs nécessairement appelés à se dévaloriser de manière rapide et importante. C'est la conséquence du court-termisme des acteurs financiers. Vous n'êtes pas obligés de croire la marxiste que je suis... mais vous pourrez peut-être écouter le gouverneur de la Banque d'Angleterre, qui a qualifié cela de « tragédie des horizons ».
Le montant de ces futurs actifs échoués serait huit fois supérieur aux pertes de la crise financière de 2008, lors de laquelle les États sont venus au secours des banques. Ce sont les peuples qui se sont alors retrouvés privés de marges de manoeuvre budgétaires qui seraient pourtant bien utiles pour financer notamment la transition énergétique. Il est donc essentiel de dissuader les banques de financer des investissements à la fois nocifs pour la planète et susceptibles de forcer les pouvoirs publics à venir à leur secours, une fois de plus, alors qu'il y aurait bien mieux à faire.
Dans ce but, la proposition de loi utilise deux leviers : l'épargne réglementée, dont l'emploi doit être pleinement conforme aux objectifs de transition énergétique – il faut faire valoir l'argument démocratique –, et les mesures de transparence sur les risques climat, pour lesquelles la France a été pionnière avec l'article 173 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, mais en ciblant désormais plus directement les investissements dans les énergies fossiles.
Le livret A et le livret dit de développement durable et solidaire (LDDS) constituent le principal support de l'épargne populaire, pour un encours, à la fin de 2017, de 104 milliards d'euros pour le seul LDDS et plus de 374 milliards d'euros en ajoutant le livret A. Ces ressources ne financent pas suffisamment la transition écologique et, au mois de décembre dernier, le ministre de l'économie lui-même, M. Bruno Le Maire, a parlé au sujet du LDDS de « tromperie sur la marchandise ».
L'article 1er vise donc l'encours de ces livrets restant au bilan des banques et non centralisés à la Caisse des dépôts et consignations, soit plus de 150 milliards d'euros.
La loi prévoit déjà des cas d'emploi précis : financement des petites et moyennes entreprises (PME), rénovation thermique des bâtiments, économie sociale et solidaire. Nous ne préconisons pas d'y toucher, mais l'arrêté de décembre 2008 qui fixe les minima de ratios d'encours de prêts issus de ces ressources ne prévoit pas un total réglementaire de 100 %. Si la marge résiduelle de 10 % pouvait être justifiée initialement, elle est désormais contre-productive car les banques satisfont très largement leurs ratios de financement aux PME, alors que la situation est beaucoup moins claire pour le financement des travaux d'économie d'énergie. Le législateur doit donc intervenir pour que ces ressources soient utilisées exclusivement pour les motifs qu'il a lui-même définis. La modification proposée est de plus pleinement compatible avec l'élargissement de l'emploi du LDDS à d'autres projets favorables à la transition écologique, prévu par un amendement au projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »).
L'article 1er permet donc la transparence des banques sur l'emploi de ces fonds, notamment par une information détaillée du Parlement. Je vous proposerai de doter l'Observatoire de l'épargne réglementée d'une pleine compétence d'évaluation en la matière, ce qui garantira l'information du Parlement dans un format adéquat.
L'article 3 concerne les ressources centralisées au fonds d'épargne de la Caisse des dépôts. À la fin de l'année 2017, l'encours s'élevait à 245 milliards d'euros, dont 62 milliards d'euros pour le LDDS. 70 % du fonds d'épargne, soit plus de 185 milliards d'euros, financent des prêts de long terme de la Caisse des dépôts dans les domaines du logement social, de l'appui aux territoires et la transition écologique. L'action de la Caisse dans ces domaines est remarquable et doit être encouragée. L'enjeu porte donc sur les 30 % restants qui constituent le portefeuille financier assurant la liquidité du fonds et son rendement. À la fin de 2018, ce sont 90 milliards d'euros en valeur de marché, dont 20 % sont dans une enveloppe dite d'actifs de diversification, principalement des actions cotées et quelques fonds non cotés, soit 18 à 20 milliards d'euros. C'est pourquoi l'article vise le désengagement complet de ce segment du fonds d'épargne des entreprises qui extraient et exploitent des énergies fossiles.
Certes, la Caisse des dépôts a défini des critères d'exclusion afin de se retirer de sociétés dont plus de 10 % du chiffre d'affaires est lié au charbon thermique. Elle affiche également des ambitions en matière d'engagement actionnarial pour peser sur les décisions des grands énergéticiens dont elle est actionnaire de référence. Mais au vu de l'urgence, il faut être plus prescriptif et aller plus vite. En interdisant l'utilisation du fonds d'épargne pour les secteurs des énergies fossiles, nous permettons à la Caisse des dépôts de faire jouer une menace crédible de désinvestissement complet et à brève échéance sur les autres segments de ses financements, comme la section générale ou les participations de ses filiales. Je vous proposerai d'ailleurs que le rapport du conseil de surveillance de la Caisse, présenté chaque année au Parlement, fasse le point sur cette stratégie de désinvestissement.
Je sais que le terme de désinvestissement peut susciter des malentendus, des controverses. Il s'agit avant tout de mener des stratégies cohérentes qui conditionnent les soutiens financiers au fait que les entreprises cessent leurs activités fossiles, donc engagent des stratégies crédibles de réorientation de leurs investissements. Il ne s'agit pas de stigmatiser le secteur des énergéticiens, car une bonne partie de la transition énergétique est entre leurs mains : ils doivent simplement être mis face à leurs responsabilités. Je crois qu'on ne peut plus se payer de mots en la matière : cette « finance verte » dont on parle tant doit être autre chose que des mesures de communication masquant la poursuite, parfois même l'accélération des investissements fossiles.
C'est pourquoi le second axe de la proposition de loi vise à établir des mesures pleinement effectives de transparence sur les investissements en énergies fossiles pour tous les acteurs financiers. Les dispositions actuelles issues de l'article 173 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoient que les investisseurs institutionnels et les sociétés de gestion informent leurs souscripteurs sur la façon dont ils tiennent compte des risques liés au changement climatique et contribuent aux objectifs de limitation du réchauffement.
Cette approche a été pionnière et a inspiré les recommandations de plusieurs groupes de travail internationaux sur la finance et le climat, comme la Task Force on Climate Disclosure (TCFD). Elle présente cependant deux faiblesses : l'approche est exclusivement volontaire, selon une logique dite « appliquer ou expliquer », et elle se focalise sur la définition d'indicateurs d'impact climatique des investissements parfois très complexes.
Faute de prendre très directement en compte les investissements contraires à la transition énergétique, le risque d'alibi vert est avéré. Par exemple, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a identifié des fonds d'investissement qui vendent dans leurs rapports « article 173 » des sous-ensembles de fonds très actifs dans la transition écologique, mais qui passent sous silence d'autres sous-ensembles finançant, eux, le développement des énergies fossiles.
En l'absence d'une définition objective et stabilisée des investissements verts, le reporting actuel fait donc passer au second plan l'enjeu crucial du désinvestissement des activités contraires à nos objectifs climatiques. La proposition de loi vise donc à pallier cette carence, à l'article 2 s'agissant des banques, à l'article 4 pour les investisseurs institutionnels.
Ce n'est pas contradictoire avec l'approche lancée en 2015, ni avec les mesures annoncées à l'échelon européen. Au contraire, faire toute la transparence sur les financements contraires à nos objectifs climatiques constitue un préalable pour que les entreprises et les financeurs se fixent des objectifs de transition crédibles.
Concernant les banques, l'article 2 établit une obligation de transparence dans une section du code monétaire et financier relative aux dispositions prudentielles, c'est-à-dire les mesures rendant compte de l'ensemble des risques financiers liés à leurs activités, ce qui doit désormais inclure les risques liés au climat. Je vous proposerai des amendements visant à rendre cette transparence la plus précise, exhaustive et effective possible, en l'étendant aux activités de services de financement de marché et en confortant, en cas de manquements, le pouvoir de sanction de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Le secteur bancaire français est sur plusieurs points plus vertueux que ses homologues européens : il convient de conserver notre avantage comparatif dans ce domaine. De même, toutes les énergies fossiles sont visées – y compris le gaz, parfois présenté comme une énergie de transition – car cela permettra de mieux cerner l'évolution du mix énergétique.
Enfin, l'article 4 permet de toucher l'ensemble des investisseurs institutionnels, dont les assureurs vie, mais aussi des investisseurs publics comme le Fonds de réserve pour les retraites, qui est à ce jour le seul à fournir une présentation exhaustive, ligne à ligne, de ses financements dans le secteur des énergies fossiles.
Quatre années après l'adoption de l'article 173, une nouvelle intervention du législateur est loin d'être prématurée. Contrairement à ce que prévoyait un décret de décembre 2015, le Gouvernement n'a pas effectué le bilan à trois ans de l'application de la loi et n'a pas proposé d'évolution des mesures réglementaires pour les rendre plus prescriptives comme cela était pourtant envisagé initialement. Il y a aujourd'hui un vrai risque que la France perde son avance dans ce domaine et que les acteurs financiers se désengagent du sujet, à mesure que la réglementation actuelle perdrait de sa force.
En adoptant cette proposition de loi, nous rappellerons donc aux acteurs financiers que leur rôle est d'abord de transformer l'épargne populaire en investissement de long terme et que ces investissements, pour être viables à long terme, doivent cesser de dérégler notre climat et donc de détruire la planète.