Mesdames les présidentes, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir pour discuter de la communication de la Commission du 28 novembre dernier, intitulée Une planète propre pour tous. Une Stratégie européenne à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat. Je suis heureux de commencer par la France mon « tour » des États membres visant à présenter cette stratégie. Elle a pour objectif de faire de l'Europe une région « climatiquement neutre » en 2050. Je vous sais conscients de l'importance de l'enjeu qui m'amène aujourd'hui.
Il y a trois ans, ici même à Paris, la communauté mondiale s'est engagée à contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels et à poursuivre l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 degré. La température mondiale a déjà augmenté d'un degré par rapport aux niveaux préindustriels et le rapport spécial du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) sur un réchauffement de 1,5 degré, publié l'an dernier, nous alerte sur les conséquences graves et en partie irréversibles qu'aurait un franchissement de cette limite.
Le message du GIEC est sans ambiguïté : si nous n'agissons pas de façon urgente, il faut s'attendre au pire. Le changement climatique affectera gravement nos économies comme celles de nos partenaires ; il minerait notre sécurité et notre prospérité au sens le plus large. Une forte volonté politique est essentielle pour agir.
Il en va de la responsabilité de l'Union européenne de rester à la tête de la lutte contre le changement climatique en démontrant au reste du monde que la neutralité climatique est non seulement possible, mais également souhaitable, puisqu'elle peut être porteuse d'opportunités économiques et d'une amélioration des conditions de vie de nos citoyens.
La Commission européenne est convaincue que pour atteindre au niveau mondial les objectifs fixés dans l'Accord de Paris, l'Europe doit elle-même viser un objectif d'émissions en équilibre avec les puits de carbone à l'horizon 2050. Cette trajectoire est compatible avec celle visant à contenir le réchauffement climatique à 1,5 degré.
Oui, c'est un immense défi ! Fort heureusement, nous ne partons pas de zéro. L'Union européenne a, en la matière, des bases solides qui rendent cette ambition réaliste.
Déjà en 2007, le Conseil européen a fixé des objectifs précis à l'échéance de 2020 : réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'au moins 20 % par rapport à 1990, économiser 20 % de la consommation d'énergie et atteindre une proportion de 20 % d'énergies renouvelables dans la consommation totale d'énergie.
Les résultats sont probants. Les émissions européennes ont chuté de 22 % entre 1990 et 2017 alors que le produit intérieur brut (PIB) de l'Union a augmenté de plus de 57 %. Pour les énergies renouvelables, nous avions déjà atteint 17,5 % en 2017. Cependant, l'Union n'est pas encore en voie d'atteindre ses objectifs en termes d'efficacité énergétique. Pour y parvenir, elle devrait consommer 1 086 millions de tonnes d'équivalent pétrole en 2020. Or, en 2017, nous en étions encore à 1 119 millions. Un effort particulier sera donc nécessaire dans ce domaine.
La France fait figure de bonne élève en ce qui concerne la réduction d'émissions. Il est en effet probable qu'elle atteigne d'ici à 2020 son objectif de moins 14 %, fixé dans la législation européenne. Mais le développement des énergies renouvelables est inférieur à la trajectoire indicative pour 2017, ce qui remet en cause l'objectif de 23 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie en 2020. Il en va de même pour l'efficacité énergétique. J'appelle donc la France à prendre les mesures nécessaires pour s'assurer que ces objectifs soient atteints.
Pour 2030, l'Union s'est fixé comme objectif une réduction d'au moins 40 % de ses émissions de GES au titre de sa contribution à l'Accord de Paris. C'est indéniablement ambitieux. L'Union européenne est l'une des premières grandes économies à avoir joint les actes à la parole en ayant déjà mis en place l'arsenal législatif le plus avancé pour lui permettre d'atteindre ses objectifs et de réaliser la transition vers une énergie propre en rendant le secteur européen de l'énergie plus sûr, plus compétitif et plus durable.
Il s'agit d'une révision du marché de quotas qui porte déjà ses fruits sur celui du carbone. L'an dernier, en février, le prix moyen de la tonne de carbone était de 9 euros ; il est aujourd'hui de 22,27 euros. Il s'agit également des objectifs nationaux couvrant tous les autres secteurs. Et finalement, de la première législation européenne sur l'utilisation des terres, leur changement d'affectation et la foresterie. Enfin, dans les prochaines semaines, nous allons définir, dans le cadre du « trilogue », les directives sur les normes d'émissions des voitures, véhicules légers et poids lourds.
Dans le domaine de l'énergie, le paquet « Une énergie propre pour tous les Européens » constitue une véritable rampe de lancement pour parvenir à la neutralité climatique. Il couvre notamment le règlement sur la gouvernance de l'Union pour l'énergie, la révision des directives « Énergies renouvelables » et « Efficacité énergétique », celle sur l'utilisation de l'énergie dans les bâtiments ainsi que la législation sur le marché de l'électricité. Selon nous, une mise en oeuvre totale de ces mesures devrait permettre de réduire nos émissions d'environ 45 % d'ici à 2030 par rapport au niveau de 1990, soit plus que l'objectif de 40 % initialement fixé.
Pour y parvenir, la législation européenne doit se traduire par une action vigoureuse sur le terrain. Dans le cadre de la gouvernance de l'Union pour l'énergie, les États membres ont franchi une première étape en proposant, pour la plupart, des projets de plans nationaux en matière d'énergie et de climat qui incluent les politiques et mesures nationales nécessaires à la réalisation des objectifs 2030 et qui devront être complétés d'ici à 2020. Nous espérons recevoir bientôt le plan de la France.
Toutefois, sans efforts supplémentaires de notre part, le simple maintien de ces politiques après 2030 se solderait par une réduction de nos émissions de 60 % d'ici 2050, ce qui est insuffisant au vu de nos ambitions. C'est pourquoi la Commission a proposé une stratégie globale, à même de nous permettre d'atteindre les objectifs contenus dans l'Accord de Paris. Cette stratégie a été proposée par mes services au terme de modélisations macroéconomiques approfondies, ainsi que d'une large consultation de la société civile, y compris des entreprises européennes.
Elle comporte huit scénarii. Cinq d'entre eux se fondent sur une réduction des émissions de 80 %. Un sixième, combinant les cinq options antérieures, permet d'atteindre une réduction de 90 %. Enfin, deux scénarii envisagent une situation de neutralité climatique nécessaire pour respecter l'engagement de 1,5 degré. Les quatre premiers scénarii permettent d'obtenir une réduction des émissions de gaz à effet de serre d'un peu plus de 80 % d'ici à 2050 par rapport à 1990, hors utilisation des terres et des forêts. En tenant compte des terres et forêts, la réduction nette serait de l'ordre de 85 %.
Les scénarii 7 et 8 sont plus complexes, car ils prennent en compte la biomasse de manière durable, les puits naturels et les captages de carbone, afin d'évaluer comment parvenir à un bilan neutre des émissions de gaz à effet de serre. Dans le septième scénario, tous les vecteurs énergétiques sont sans carbone et l'accent est mis sur l'efficacité énergétique. Il repose sur une technologie d'émissions négatives sous la forme de bioénergie combinée avec le captage et le stockage de carbone pour rééquilibrer les émissions. Le huitième scénario s'appuie sur le précédent, mais aussi sur une économie circulaire et le rôle bénéfique que pourrait avoir le changement de choix des consommateurs en faveur de solutions plus sobres en carbone ; il considère aussi la façon de renforcer le rôle de puits de carbone joué par les sols.
La stratégie à long terme repose également sur sept axes stratégiques, qui correspondent à un renforcement de nos efforts et qui sont communs à tous les scénarii.
En premier lieu, l'efficacité énergétique. L'énergie la moins chère et la plus propre est l'énergie que nous n'utilisons pas. La stratégie prévoit une réduction d'environ 50 % de la consommation d'énergie à l'échelle européenne.
Deuxièmement, le recours accru aux énergies renouvelables. L'Europe a été pionnière dans le domaine, elle se doit de continuer ses efforts pour déployer au maximum ces énergies. À l'échéance 2050, la production européenne d'électricité devrait se composer, à plus de 80 %, d'énergies renouvelables, complétées par du nucléaire à un niveau relativement stable. Ceci permettra une électrification structurelle de l'énergie, avec une utilisation accrue dans d'autres domaines tels que les transports.
Troisièmement, l'adoption d'une mobilité intelligente et faiblement émettrice. Tous les modes de transport doivent contribuer à la décarbonation du secteur : le routier bien entendu, mais aussi l'aérien et le maritime.
Quatrièmement, le renforcement de la compétitivité de nos industries parallèlement à la réduction de leurs émissions. L'économie circulaire aura, dans ce cadre, un grand rôle à jouer.
Cinquièmement, la mise en place d'infrastructures à la hauteur du défi climatique, notamment en matière d'interconnexion et de réseaux intelligents.
Sixièmement, le développement d'une bio-économie saine et durable qui permette d'offrir des alternatives crédibles à l'utilisation de matière carbonée fossile tout en préservant les puits naturels de carbone.
Enfin, la mise au point de technologies de captage et de stockage du carbone afin de contrebalancer les émissions résiduelles de gaz à effet de serre, notamment dans le secteur industriel.
La mise en oeuvre de toutes ces priorités stratégiques contribuera à faire de notre vision une réalité. Cela nécessitera cependant un renforcement conséquent des politiques à même de favoriser cette transition. Il s'agira de mettre en place un cadre facilitateur pour stimuler la recherche et l'innovation, augmenter l'investissement privé, envoyer les bons signaux aux marchés et assurer la cohésion sociale pour qu'aucune région ni aucun citoyen ne soient laissés de côté.
Les retombées économiques globales d'une transformation en profondeur sont positives malgré l'ampleur des investissements supplémentaires nécessaires dans tous les secteurs. L'économie de l'Union devrait plus que doubler d'ici à 2050 par rapport à 1990, même si elle devient climatiquement neutre.
Une trajectoire compatible avec l'objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre, conjuguée à un cadre facilitateur cohérent, devrait avoir un effet positif sur le produit intérieur brut (PIB), les bénéfices estimés pouvant aller jusqu'à 2 % du PIB d'ici à 2050 par rapport à la situation de référence. Et ces estimations ne tiennent pas compte des bénéfices liés aux dommages évités grâce à la lutte contre le changement climatique et à l'absence de coûts d'adaptation.
La transition stimulera aussi la croissance des nouveaux secteurs. Il y a déjà quatre millions d'« emplois verts » dans l'Union. De nouveaux investissements dans la modernisation industrielle, la transformation énergétique, l'économie circulaire, la mobilité propre, les infrastructures vertes et bleues ainsi que la bio-économie généreront des possibilités d'emploi nouvelles, locales et de haute qualité.
Comme les récentes manifestations en France l'ont rappelé, il est impératif que la transition écologique bénéficie à tous les citoyens.
Notre analyse montre que cette transition aura des effets bénéfiques pour la grande majorité des secteurs et des régions d'Europe. Mais il y aura malheureusement des exceptions, notamment pour les secteurs de l'extraction du charbon et de la prospection pétrolière et gazière. D'autres secteurs devront évoluer en profondeur et s'adapter à la nouvelle économie.
De même, le coût de la transition sera modéré pour la majeure partie des citoyens. Mais pour certains d'entre eux, il pourrait être significatif et nous devons être particulièrement vigilants à la situation des plus vulnérables. Le processus de modernisation en profondeur de l'économie devra donc être géré convenablement pour veiller à ce que la transition soit équitable et socialement acceptable pour tous, dans un esprit d'inclusion et de solidarité afin d'éviter les disparités sociales et régionales au sein de l'Union.
Les conséquences sociales de la transition énergétique doivent être prises en charge dès à présent. Tant l'Union que les États membres doivent mettre en oeuvre de manière optimale toutes les actions pertinentes pour atténuer les difficultés potentielles. La Commission a d'ailleurs déjà mis en place des initiatives ciblées, notamment en ce qui concerne la précarité énergétique, la transition énergétique dans les îles et la situation spécifique des régions charbonnières en transition. Il est impératif que personne ne soit laissé de côté : la transition écologique devra être solidaire, ou elle ne sera pas.