Je vais essayer, car ces sujets sont complexes. Ma réflexion de départ est la suivante : on croit ou on ne croit pas en l'Accord de Paris. Si l'on y croit, si l'on se dit que pour une fois l'humanité a été d'accord alors que partout monte le repli sur soi, il faut l'appliquer. Mais qui peut exercer un leadership pour ce faire ? Avec leur président actuel, pas les États-Unis. C'est à nous de l'exercer. Ou alors, veut-on laisser la Chine développer les énergies renouvelables, la mobilité soutenable, l'intelligence artificielle ? Le choix est simple : soit on se place en tête pour opérer la transition, soit on suit les autres – la Chine et peut-être, après un changement de gouvernement, les États-Unis.
Pour l'heure, nous avons une responsabilité particulière, car personne n'assumera le leadership. On sait bien ce que va faire la Chine, mais qu'en est-il du reste du monde ? Sous quelle forme va-t-on fournir l'électricité aux 800 millions d'Africains qui n'y ont pas accès ? Si nous montrons que la transition énergétique peut être un succès sur le plan économique, l'Accord de Paris sera respecté. Si nous ne sommes pas capables de le faire, ce sera une tragédie pour l'humanité. C'est ce que la stratégie définie par la Commission doit faire comprendre. Continuons comme maintenant, et nous perdrons encore des parts de marché dans les secteurs traditionnels tandis que le photovoltaïque et la mobilité électrique se développeront en Chine, et que les villes européennes devront lui acheter les installations pour les véhicules électriques.
La Commission a donc voulu dire que l'on peut échapper à ce sort et mener la transition énergétique, en utilisant nos brevets par exemple. La stratégie de long terme part du constat que nous avons bien commencé : l'Union européenne est pratiquement la seule à s'être conformée au protocole de Kyoto. Ni les États-Unis ni le Canada ne sont dans ce cas.
En matière de transition énergétique, l'Union européenne se distingue de trois manières. En premier lieu, nos objectifs sont les plus ambitieux de tous ceux qui ont été fixés dans l'Accord de Paris. J'ai passé quatre ans à élaborer la législation nécessaire pour aboutir aux objectifs de l'Union à l'horizon 2030. J'entends maintenant que l'on demande de hausser le niveau d'ambition des objectifs – soit, mais des objectifs qui ne sont pas assortis d'une législation contraignante n'en sont pas. Je pourrais vous entretenir des longues nuits que nous avons consacrées à obtenir l'augmentation de la part des énergies renouvelables, l'efficacité énergétique et la réduction du niveau d'émissions de CO2 par les véhicules de transport ; je puis vous assurer qu'il n'est pas si facile d'y parvenir à vingt-huit.
Mon premier message est que l'Union doit être à l'avant-garde. En augmentant un peu le niveau des objectifs à l'horizon 2040 pour permettre une réduction de la demande énergétique de 40 % en 2050, comme prévu dans la feuille de route de 2011, et avec les technologies dont nous disposons maintenant, la transition énergétique passe par l'efficacité énergétique, le développement de l'économie circulaire, l'utilisation d'énergies renouvelables et d'un peu plus d'hydrogène.
Mais pour parvenir à la neutralité carbone dont le rapport du GIEC établit qu'elle doit être acquise, partout, en 2050, nous devons faire les choses différemment et élever notre niveau d'ambition en matière de lutte contre le changement climatique. L'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne établit que la détermination du mix énergétique relève de la souveraineté des États membres. L'Union compte en ce moment 127 réacteurs nucléaires en fonctionnement. Certains pays vont fermer des centrales cependant que d'autres, telles la Finlande, la Pologne et la Bulgarie, veulent en construire. Selon les informations dont dispose la Commission, en 2050, la production d'électricité dans l'Union se fera à plus de 80 % à partir d'énergies renouvelables ; les 15 % restants seront d'origine nucléaire. Reste que le problème du stockage du combustible usé demeure irrésolu, et la question ne fera que se compliquer si le nombre de centrales nucléaires augmente. Puisque la production d'énergie nucléaire participera de la neutralité climatique en 2050, il faut assurer la sécurité maximale de la filière.
De quoi aurons-nous besoin pour assurer la transition énergétique ? Actuellement, les investissements dans le système énergétique représentent environ 2 % du PIB. Pour parvenir à une économie à zéro émission nette de gaz à effet de serre, le taux doit passer à 2,8 %. Cet objectif implique des investissements privés supplémentaires compris entre 175 et 290 milliards d'euros par an et, pour que le secteur privé mobilise ces sommes considérables, les États doivent donner un signal. Pour l'instant, le mécanisme incitatif le plus puissant dont on dispose est le marché des droits d'émission, dont les performances passées n'ont pas été très bonnes, c'est vrai, le prix moyen de la tonne de carbone s'étant stabilisé à 5 ou 6 euros pendant des années. Mais ce prix est aujourd'hui de 22 euros, avec des pics à 29 euros, parce que le marché anticipe les effets de la refonte du système : comme il y aura moins d'allocations gratuites de quotas d'émissions, les prix vont augmenter. Le mécanisme réformé commence à fonctionner – et voilà que le ministre polonais concerné vient me dire qu'il faut mettre fin à ce marché, sans quoi il devra fermer toutes les entreprises productrices d'émissions de carbone. C'est précisément l'objectif de l'exercice : inciter les entreprises à développer des systèmes de production d'énergie soutenables.
Certains parlent d'une taxe carbone européenne. Parce que la règle de l'unanimité rend son adoption impossible, la Commission a proposé de modifier cette règle pour passer d'une décision prise à l'unanimité à une décision prise à la majorité qualifiée ; on peut imaginer que l'on parviendrait alors à une fiscalité énergétique harmonisée au niveau européen. Mais le maximum qu'il nous a été possible de faire à ce jour a été d'établir un marché des droits d'émission. Nous avons étroitement collaboré avec la Chine pour qu'elle crée également un système d'échange de quotas d'émissions couvrant tous les secteurs économiques, ce qu'elle est en train de faire. La Californie a aussi un marché puissant. On doit viser une plateforme d'échanges mondiale unique ; ainsi aurait-on un level playing field, une concurrence plus saine parce qu'équitable. Mais pour l'heure, si l'on veut aller plus loin au niveau européen, il faut modifier la règle de l'unanimité. Pour l'instant, la fiscalité énergétique et la stratégie énergétique européennes sont discordantes. Le plus sage serait pourtant de définir une fiscalité cohérente avec la stratégie de l'Union en faveur du climat.
Outre qu'elle s'est fixé des objectifs de transition énergétique parmi les plus ambitieux, l'Union européenne s'est dotée de toute la législation nécessaire pour les atteindre, et cette législation est stable. Il y aura cette année une dizaine d'élections générales sur le territoire de l'Union, mais même si les majorités changent, les politiques, la gouvernance énergétique et les plans nationaux devront rester les mêmes.
Le dernier facteur qui caractérise la politique énergétique de l'Union est la solidarité climatique qu'elle démontre avec les pays en voie de développement : nous avons consacré plus de 20 milliards d'euros au financement de l'action climatique dans ces pays en 2017.
Ces trois caractéristiques expliquent que la voix de l'Union européenne ait porté avec puissance au cours des COP de Paris et de Katowice. À Katowice, précisément, l'accord s'est fait sur tout, hormis l'article 6 de l'Accord de Paris relatif au mécanisme de marché des émissions de carbone, que l'Union européenne veut soutenable, contrôlable et transparent. Aussi voulons-nous organiser une conférence « carbone », notamment pour traiter de cette question.
Certes, c'est le secteur privé qui fera les investissements, mais les institutions communautaires ont une responsabilité propre. C'est pourquoi la Commission a proposé qu'un quart du budget 2021-2027 soit consacré au financement d'actions liées à la transition énergétique.
L'idée d'exclure du calcul du déficit budgétaire des États membres certaines catégories de dépenses publiques, dont celles qui sont faites en faveur de la transition énergétique, est émise de manière récurrente. Si la Commission présidée par M. Juncker a eu à coeur d'appliquer de façon équilibrée et avec souplesse les règles du pacte de stabilité et de croissance, jamais elle n'a ni proposé, ni discuté l'exclusion d'une catégorie générale de dépenses publiques. Ces questions relèvent du domaine de compétence de mes collègues MM. Pierre Moscovici et Valdis Dombrovskis, mais je puis vous dire succinctement qu'il y a trois raisons à cela. La première est qu'il est difficile de définir avec précision les dépenses afférentes à une politique particulière. Ensuite, nos règles sont conçues pour garantir la soutenabilité financière des États ; il leur revient d'arbitrer entre les catégories de dépenses publiques et de trouver les marges de manoeuvre propres à financer le sujet majeur qu'est la transition énergétique. La troisième raison, c'est, une fois encore, la règle de l'unanimité : pour que le pacte de stabilité et de croissance soit modifié, il faudrait qu'un consensus se forme au sein du Conseil européen, et tous les États membres ne sont pas d'accord sur ce point. On l'a vu lors de l'élaboration des plans de soutien à la Grèce, à l'Espagne et au Portugal : certains pays avaient une position très dure alors que d'autres étaient prêts à faire preuve de plus de souplesse. Il en est toujours ainsi.
J'ai beaucoup d'estime pour les observatoires nationaux, mais aussi pour Eurostat, indispensable pour déterminer l'état des lieux de manière harmonisée et appréhender la gouvernance. L'Union européenne, globalement, sera capable d'aboutir à l'objectif de 20 % d'énergies renouvelables dans la consommation d'énergie finale en 2020. La proportion actuelle est de 17,5 %, mais le problème tient à ce que, certes, onze pays, dont la Roumanie, ont déjà atteint l'objectif national qu'ils se sont fixé pour 2020 et que certains pays en sont très proches, mais que d'autres, dont la France, en sont très loin. Le message que j'adresse aux gouvernements de ce dernier groupe de pays est qu'il faut faire des efforts, car non seulement l'objectif, pour la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique européenne est de 20 % en 2020, mais il est désormais de 32 % en 2030. Les objectifs que s'est fixés l'Union européenne sont ambitieux, je l'ai dit. Ils le sont même pour les États qui ont une grande capacité budgétaire ; on peut donc imaginer qu'ils le sont plus encore pour de petits pays tels que la Roumanie, et pourtant la Roumanie atteint son objectif national. Il en va de même pour l'efficacité énergétique : globalement, nous sommes très proches de l'objectif pour 2020, mais nous n'y sommes pas encore. C'est pourquoi j'ai déployé les plus grands efforts pour améliorer la gouvernance.
Désormais, l'Union de l'énergie a une gouvernance puissante, fondée sur les plans nationaux intégrés énergie-climat. À ce jour, vingt-cinq pays membres ont présenté leur plan, dont la qualité diffère. Manquent encore ceux de l'Espagne, de la France et du Luxembourg. La gouvernance se caractérise par une forte exigence quant à la qualité des plans et leur niveau d'ambition, et la Commission dispose de six mois pour s'en assurer. La Commission dans sa configuration actuelle est celle qui a introduit cette législation. Il reviendra à la Commission entrante de contrôler son exécution, ce qui sera presque plus complexe. Auparavant, il y avait des objectifs nationaux contraignants : si un pays n'atteignait pas le sien, la Cour de justice de l'Union européenne était saisie et les conséquences financières étaient immédiates. Maintenant, nous avons fixé des objectifs européens globaux que les efforts de tous doivent contribuer à atteindre. La gouvernance de ce mécanisme est plus difficile. J'espère que les plans nationaux manquants nous seront parvenus en mars, de manière que nous disposions au moins de trois mois pour faire les observations qui conduiront aux modifications éventuellement nécessaires afin que la stratégie voulue commence à s'appliquer en 2020. Ce sera compliqué, car si certains plans nationaux sont d'une qualité et d'un niveau d'ambition remarquables, ce n'est pas le cas de tous. Une période de dialogue a donc lieu avec les États membres ; j'espère que cet exercice ardu prendra fin après les élections européennes.
La stratégie énergétique de l'Union fonde le débat dans les parlements nationaux et au Parlement européen sur l'ambition climatique et la transition énergétique socialement juste, et j'espère que ce sera aussi l'un des éléments de la discussion lors des élections européennes. Les usines ne fermeront pas par surprise : nous savons également quels secteurs seront touchés, quelles compétences nouvelles les travailleurs doivent acquérir, que les secteurs qui souffriront le plus seront la filière du charbon et de l'extraction. Nous pouvons donc l'anticiper dans le budget européen et dans les budgets nationaux. Il faut aller de l'avant. Cela vaut pour le système éducatif et pour le secteur privé. Cette évolution suppose des mesures sociales très ambitieuses permettant d'associer les citoyens à la transition énergétique. Si ce n'est pas le cas, la politique climatique voulue par l'Union européenne sera mise en échec et ce sera une catastrophe pour le monde. Notre responsabilité est immense.
S'agissant du calendrier, le défi majeur est qu'un accord se fasse au sein du Conseil européen. Nous disposons de peu de temps pour cela. Le sommet spécial de Sibiu sur l'avenir de l'Europe serait une occasion rêvée. Sinon, il y a le Conseil européen d'octobre, sous présidence finnoise, et c'est tout. Le calendrier est très serré, car nous devons présenter un scénario aux Nations unies en 2020.