La proposition de loi qui nous est soumise ce matin est ambitieuse puisqu'elle porte sur les principaux piliers de la fiscalité des ménages : le barème de l'impôt sur le revenu et l'ISF. Nous partageons, au sein du groupe MODEM, la préoccupation qui vous a guidés dans la rédaction de ce texte, à savoir la recherche de la justice fiscale et l'amélioration du caractère redistributif de notre fiscalité. Cependant, si nous vous rejoignons dans cette conviction, nous considérons que ces sujets doivent être abordés sans idéologie, de façon pragmatique et respectueuse des garde-fous constitutionnels dont nous ne pouvons faire abstraction en matière de fiscalité.
Depuis 2017, le groupe MODEM a soutenu le Gouvernement dans l'adoption des mesures visant à aider les plus fragiles, qu'il s'agisse de la création d'un plan pauvreté doté de 4,5 milliards d'euros ou de l'exonération de la taxe d'habitation pour 80 % des Français. Aujourd'hui, notre groupe est pleinement engagé dans le grand débat national : en tant que législateurs, nous pourrons nous appuyer sur ses conclusions, dont la restitution aura lieu prochainement dans cet hémicycle, pour réformer notre fiscalité.
Évoquons tout d'abord les chiffres de l'ISF, impôt auquel ont renoncé nos voisins européens comme la Suède, l'Allemagne et le Danemark en raison de son caractère contre-productif. Cet impôt conduisait 800 ménages par an en moyenne à quitter notre pays, pour une perte évaluée entre 200 et 300 millions d'euros au cours des trente dernières années, en comptant la perte d'ISF, d'IR et de TVA. En outre, les plus grandes fortunes visées par cette mesure ne payaient pas cet impôt grâce à des montages juridiques, peut-être légaux, et aussi aux effets de multiples plafonnements.
Une évaluation gouvernementale devrait nous parvenir prochainement avec les éléments de comparaison entre l'ancien ISF et l'IFI. À ce titre, il est prématuré de vouloir modifier le droit fiscal en vigueur sans disposer de ces éléments, pourtant indispensables à la mission du législateur que nous sommes. Cette mission ne peut s'exercer que dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui se fonde, pour évaluer le caractère confiscatoire de l'impôt, sur l'addition des sommes dues au titre des différentes taxes et impositions. Le principe est connu : l'exigence d'égale répartition de la contribution commune entre les citoyens en raison de leurs facultés, formulée par l'article 13 de la Déclaration de 1789, évoquée par notre collègue Roussel, ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. Or, à travers plusieurs décisions, le Conseil constitutionnel a démontré sa vigilance sur ce sujet tout en refusant de fixer précisément un seuil maximal d'imposition dans sa jurisprudence, qui demeure variable selon les espèces examinées.
La décision constitutionnelle du 29 décembre 2012 sur la loi de finances pour 2013 a d'ailleurs posé le principe que, si le législateur a pu accroître le nombre de tranches et rehausser le taux de l'ISF, alors qu'il a assujetti dans le même temps les revenus du capital au barème de l'impôt sur le revenu et qu'il a maintenu les taux particuliers de prélèvements sociaux sur les revenus du capital, c'est en raison de la fixation à 1,5 % du taux marginal de l'ISF et du maintien de l'exclusion totale ou partielle de nombreux biens et droits hors de l'assiette de cette imposition.
Ainsi, toute réforme touchant à l'ISF ne peut s'accompagner, selon cette jurisprudence, d'un renforcement de l'imposition au titre de l'impôt sur le revenu pour la même catégorie de contribuables, sous peine d'être déclarée anticonstitutionnelle. C'est pourquoi cette proposition de loi mériterait d'être retravaillée afin d'intégrer ces contraintes juridiques. À défaut, elle encourrait la censure du juge constitutionnel. Du reste, preuve de l'impréparation de ce sujet, vous avez vous-mêmes proposé un amendement visant à réécrire l'article 2 portant sur les tranches d'impôt sur le revenu, votre dispositif initial entraînant, de votre propre aveu, des effets pervers.
La réforme de l'impôt sur le revenu doit être entreprise précautionneusement car si, historiquement, nous sommes passés de sept à cinq tranches, dans le même temps, la taxation des classes moyennes s'est accentuée avec la fin de l'universalité des allocations familiales et la modification du calcul du quotient familial. À ce titre, la surtaxation des revenus moyens que vous proposez pose effectivement problème. Vous envisagez, monsieur le rapporteur, une tranche additionnelle, au taux marginal de 50 %. La nécessité d'une réflexion sur le barème me semble effectivement nécessaire mais nous devons veiller à préserver ceux qui, demain, développeront les entreprises et les emplois dont notre pays a besoin : les classes moyennes, déjà malmenées par les mesures fiscales adoptées par les gouvernements successifs. Il faudra également mener une réflexion sur le prélèvement à la source, qui fonctionne mais risque de lisser les niches fiscales ou rendre leur pertinence moins perceptible par le contribuable.
Par ailleurs, vous en conveniez vous-même en commission, l'ISF n'est pas un impôt adapté. Le péché originel de l'ISF, créé en 1982 sous le nom d'impôt sur les grandes fortunes, c'est que la distinction qu'il établissait entre patrimoine privé et patrimoine professionnel était peu claire. Nous avons largement abordé, en commission, l'historique de cet impôt. Il s'agissait d'une véritable usine à gaz, d'application difficile, notamment en raison de l'indétermination de la notion de dirigeant. Une réflexion sur un nouvel ISF devrait viser à une simplification de celui-ci et à une réorientation de l'épargne vers l'entreprise et l'économie réelle : tout euro investi dans l'entreprise devrait être exclu de l'assiette.
Je suis par ailleurs étonné que vous n'évoquiez pas les oeuvres d'art, notamment celles auxquelles le public ne peut accéder. C'est encore un point qui mériterait une véritable réflexion.