Depuis vingt mois, le Gouvernement n'a de cesse de proclamer qu'il faut que le travail paie. Mais tout travail ne mérite-t-il pas salaire ? Votre insistance à répéter cette formule, chers collègues de la majorité, cache – comme souvent – une politique consistant à faire le contraire de ce que vous dites.
Avec vous, ce n'est pas le salaire qui paie le travail, mais la solidarité nationale, et singulièrement les retraités, dont vous avez augmenté la contribution sociale généralisée.
Dans votre esprit, c'est même l'inverse qu'il faut faire. En effet, l'étude d'impact du PLFSS indique que le basculement des charges salariales sur la CSG entraînera « une convergence à la baisse des salaires bruts ».
Votre politique est celle de la modération salariale, certainement pas celle de l'accroissement des rémunérations. Depuis plusieurs mois, des centaines de milliers de Françaises et de Français disent leur souffrance d'un travail qui ne paie pas assez.
Un million six cent cinquante mille Françaises et Français, soit environ 10 % des salariés, sont payés au SMIC. Ce sont surtout des Françaises, le plus souvent à temps partiel et salariées de petites entreprises. C'est bien la question des salaires qui est posée, à l'aune d'une croissance retrouvée – même si elle demeure modeste – , d'une distribution sans précédent de dividendes par les grandes entreprises et d'écarts de rémunération insondables et injustifiables.
Depuis trente ans, la part des salaires dans la valeur ajoutée n'a cessé de diminuer. Voilà pourquoi plusieurs pays compétitifs, tels l'Allemagne, les États-Unis et l'Espagne, se posent la question de l'augmentation du salaire minimum. Il me semble urgent que nous nous la posions également.
En réponse à ces demandes de juste rémunération, de dignité et de considération, le Président de la République et la majorité nous invitent à débattre. Mais de quoi pouvons-nous débattre ?
Alors même que le Premier ministre assume son intention d'introduire dans le grand débat national la question des contreparties aux aides sociales, pouvons-nous débattre de la racine du problème – la distribution initiale des revenus ?
Notre groupe est favorable au débat sur l'augmentation du SMIC. Au demeurant, nous avons essayé, ici-même, depuis bientôt deux ans, d'en ouvrir plusieurs autres sur des sujets connexes, relatifs à des enjeux soulevés par la crise des gilets jaunes. Ces débats, chers collègues de la majorité, vous les avez systématiquement écartés.
Pouvons-nous débattre des écarts de rémunération ? L'amendement déposé par les députés socialistes et apparentés lors de l'examen en première lecture du projet de loi PACTE – plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises – , visant à introduire des incitations fiscales encourageant la réduction des écarts de salaires supérieurs à un rapport de un à douze, a été rejeté.
Pourtant, outre qu'il s'agit d'une mesure de justice – considérant qu'aucune personne ne vaut 250 fois plus qu'une autre, alors même que cet écart de rémunération a cours dans plusieurs entreprises – , cela permettrait d'accroître fortement les faibles rémunérations.
À défaut de nous écouter, madame la ministre du travail, écoutez Emmanuel Faber. Celui-ci, lorsqu'il était vice-président de Danone, faisait un calcul simple lui permettant d'affirmer : « Si nous diminuons de 30 % le salaire des 1 % des salariés les mieux payés de Danone, cela permettrait de doubler le salaire des 20 % les moins bien payés ».
Vous voyez bien que le problème, dans ces grandes entreprises exposées à la concurrence internationale, n'est pas tant le SMIC que les rémunérations délirantes de leurs dirigeants. Nous défendrons à nouveau notre amendement lors de la nouvelle lecture du projet de loi PACTE, cette semaine en commission et la semaine prochaine dans cet hémicycle.
Pouvons-nous débattre de la gouvernance des entreprises ? De toute évidence, vous estimez avoir réglé le problème avec vos ordonnances travail, lesquelles ont réduit le pouvoir des organisations syndicales alors même que, partout en Europe, la codétermination s'affirme comme un mode de gouvernance conciliant efficacité et justice salariale accrue.
De telles dispositions étaient au coeur de la proposition de loi « Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances », défendue par les députés socialistes ici-même, il y a un an à peine. Au demeurant, il n'existerait ni rémunérations excessives ni salaires ridiculement bas si les salariés étaient convenablement représentés au sein des conseils d'administration. En outre, une telle gouvernance accorderait la préférence à la définition de stratégies industrielles et à la distribution des profits en salaires plutôt qu'en dividendes.
Pouvons-nous débattre de la loyauté de la concurrence entre les entreprises, afin que les multinationales n'accaparent pas la quasi-totalité de la valeur ajoutée ? Chaque année, ces dernières s'empressent de transférer dans des paradis fiscaux des centaines de milliards d'euros, lesquels manquent aux États et les obligent à faire peser leur fiscalité sur les PME et les ménages.
Sans cette incroyable distorsion de concurrence, les PME disposeraient de moyens importants pour augmenter les rémunérations, ce qui serait également pour elles un moyen de ne pas perdre leurs talents au profit des grandes entreprises et leur permettrait de mieux se développer, donc de croître.
Le sort réservé, il y a quelques mois, à la proposition de réforme de l'impôt sur les sociétés déposée par les députés socialistes et apparentés dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, visant à faire en sorte que les grands groupes paient leurs impôts là où ils réalisent leurs bénéfices, démontre que ce débat n'est pas davantage ouvert par le Gouvernement et sa majorité.
Nous n'en persévérerons pas moins, en déposant à nouveau nos amendements lors de l'examen du projet de loi visant à instaurer une taxe sur les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, que nous examinerons dans quelques semaines. Il n'y a pas de raison que seules ces quelques multinationales versent une taxe, bien trop modeste au demeurant.
Pouvons-nous débattre de la justice fiscale ? Cette question est posée par les Françaises et les Français depuis plusieurs mois. Songez, chers collègues, que le taux effectif d'imposition des 0,1 % de Français les mieux payés est de l'ordre de 25 %, alors même qu'il s'élève, pour les salariés au SMIC, à environ 45 %.
Il y a là plusieurs raisons amenant les députés socialistes à penser qu'il est possible d'augmenter le SMIC, si toutefois on élargit le champ de la question à la justice dans l'entreprise et face à l'impôt.
Aujourd'hui, après avoir vu ces débats refusés, pourrons-nous, à l'initiative de nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, avoir un réel débat sur les enjeux et la méthode d'une augmentation du SMIC ?
Pourrons-nous examiner la structuration de notre marché du travail, afin d'identifier les métiers et les secteurs d'activité qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale, ainsi que les emplois non-délocalisables susceptibles de bénéficier d'une telle hausse ? Pourrons-nous examiner les conditions dans lesquelles les PME-PMI pourraient être accompagnées afin d'en avoir les moyens ?
Malheureusement, le comportement de la majorité, lors de l'examen en commission de la présente proposition de loi, laisse entrevoir à quel point votre proclamation d'ouverture, de bienveillance et d'accueil des bonnes idées sans considération de leur provenance n'est que pure rhétorique, chers collègues de la majorité, et ce même en cette période de grand débat national !
Au demeurant, M. le Premier ministre vous l'a indiqué en aparté il y a quelques jours : « Il faut préparer nos concitoyens à ce que les propositions à la sortie ne soient pas les réponses à toutes les remontées des débats ».
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les députés des groupes minoritaires ont appris, depuis le début de cette législature, à connaître cette maxime !
Les inégalités sont au coeur de la crise démocratique que nous vivons, et dont vous avez eu, chers collègues de la majorité, l'illusion d'être la solution ; votre comportement politique en apparaît au contraire un peu plus chaque jour comme un dangereux symptôme.