… mais nous nous réjouissons de la confrontation d'idées et du débat que ces propositions de loi permettent.
Nous regrettons d'ailleurs toujours le dépôt de motions lors des journées réservées aux groupes d'opposition ou minoritaires. Ce refus du débat conduit parfois à privilégier l'inscription de textes calibrés pour les réseaux sociaux, fondés sur des postures, plutôt que visant à nourrir des débats de fond. Cela ne grandit ni la majorité ni les oppositions. Alors que la composition de l'ordre du jour favorise par essence l'exécutif, proposer des voies alternatives aux solutions du Gouvernement est bien l'honneur de notre assemblée et des groupes qui la composent.
Il faut donc saluer ce travail à l'origine duquel sont les députés, leurs collaborateurs mais également les fonctionnaires.
Le sujet dont nous débattons aujourd'hui soulève des interrogations de fond. Il renvoie en premier lieu à l'enjeu du pouvoir d'achat, inquiétude au coeur des revendications qui traversent les mouvements contestataires actuels. Comment ne pas s'interroger en effet lorsque nos concitoyens nous font part de leurs fins de mois difficiles, fins de mois qui d'ailleurs viennent de plus en plus tôt ?
Cette problématique du « reste à vivre » est d'ailleurs le reflet des tensions et du désarroi qui traversent certaines catégories de la population. On peut en énumérer quelques-unes : la réalité d'une augmentation des prix des loyers et d'un marché immobilier en tension marqué par une raréfaction de l'offre dans les moyennes et grandes villes, entraînant l'exode des moins fortunés ; le poids d'une fiscalité trop complexe et dont la finalité n'est pas toujours évidente ni bien comprise par nos concitoyens, ce que les mésaventures de la taxe carbone illustrent assez bien ; les difficultés d'accès aux services publics dans un contexte de fractures – territoriale, spatiale mais aussi numérique – qui fragilisent et érodent notre pacte social ; un accès à la santé chaque jour plus difficile, lorsque prendre rendez-vous chez un médecin relève du parcours du combattant ; un sentiment global de déclassement et de perte de repères.
Face à la marche du monde, face à des évolutions qu'ils perçoivent comme inéluctables, trop de nos concitoyens ont l'impression d'être des laissés-pour-compte. Ces inquiétudes posent aussi, en creux, la question de l'efficacité de notre modèle de protection sociale, qui n'a plus rien à voir aujourd'hui avec le modèle forgé par le Conseil national de la Résistance.
La société a changé. Les risques ont évolué. La conjoncture économique n'est plus la même. Nos économies sont de plus en plus interconnectées, aux niveaux européen et mondial ; les flux de marchandises, humains, financiers sont sans précédent. Il faut le redire : la mondialisation économique dans laquelle notre pays est pleinement engagé a incontestablement eu des effets bénéfiques, particulièrement en matière de pouvoir d'achat. Pour autant, elle ne s'est pas accompagnée d'un renforcement suffisant des filets de protection destinés aux plus vulnérables. Elle a d'ailleurs représenté un défi sans précédent pour notre protection sociale, qui a bien souvent constitué un amortisseur des crises salutaire pour les populations.
Pour gagner en compétitivité mais également apporter une réponse plus fine aux risques sociaux, notre système a évolué. Nous sommes passés progressivement d'un modèle assurantiel, fondé majoritairement sur des cotisations assises sur le travail, à un modèle mixte, dans lequel la fiscalité joue un rôle de plus en plus prépondérant. Cette proposition de loi vise en quelque sorte à réaffirmer la pertinence du modèle original et la conception selon laquelle les cotisations patronales comme salariales ne constitueraient qu'un salaire différé. Cette conception, pour légitime qu'elle soit, n'est pas compatible avec les contraintes et les enjeux actuels.
La comparaison avec les accords de Grenelle et l'augmentation du SMIG de 35 % décidée alors ne nous paraît pas convaincante. Nous ne connaissons plus d'inflation à deux chiffres, ni un taux de croissance du PIB aussi flatteur ; le taux d'ouverture de nos économies est bien supérieur à celui qu'il était au sortir des Trente Glorieuses.
L'augmentation du SMIC, même progressive, ne serait pas une bonne façon d'améliorer la situation des travailleurs les plus modestes ; ce serait un mauvais outil de revalorisation du pouvoir d'achat. Une telle augmentation pèserait massivement sur les charges des entreprises, encouragerait le travail illégal et serait un frein à l'embauche. Elle pénaliserait en priorité les travailleurs les moins qualifiés, c'est-à-dire bien souvent les plus jeunes et les personnes sans formation. En raison de la concentration des salaires autour du SMIC, qui représente aujourd'hui 62 % du salaire médian, elle entraînerait un relèvement de l'ensemble de l'échelle des salaires, pénalisant fortement l'emploi.
Nous préférons le choix d'une hausse de la prime d'activité, plus juste socialement, et qui permet la prise en compte des ressources de l'ensemble du foyer fiscal.
Vous avez raison cependant de souligner que l'augmentation du montant figurant sur la fiche de paie possède une valeur symbolique, celui de la reconnaissance du labeur accompli. Il marque la contribution du travailleur à la société. Ce n'est pas anodin. En ce sens, inscrire le montant de la prime d'activité sur la feuille de salaire constituerait une mesure simple, qui pourrait être instaurée par voie réglementaire.
Nous restons convaincus par ailleurs qu'une action vigoureuse en faveur des entreprises, premiers lieux de création de valeur ajoutée, aurait davantage d'impact sur la création d'emplois et les niveaux de salaire. Cela passe par un relèvement des seuils sociaux, dont les conséquences négatives sur la croissance des entreprises sont aujourd'hui bien documentées. C'est la position que nous défendons dans le cadre de l'examen du projet de loi PACTE, qui va sur ce sujet dans la bonne direction mais s'arrête au milieu du gué. Ce relèvement des seuils bénéficierait d'ailleurs en priorité à nos petites entreprises, que votre dispositif vise à soutenir, monsieur le rapporteur, et qui demandent de la souplesse. Ce sont elles qui créent de l'emploi et qui ont tout intérêt à investir sur leurs salariés, pour gagner en compétitivité.
Agir en faveur des entreprises, ce serait également supprimer le forfait social, qui a considérablement freiné la croissance des mécanismes de partage des bénéfices au sein des entreprises, et dont le projet de loi PACTE n'envisage la suppression que de manière hélas trop partielle.
Quelles conséquences auraient enfin les mesures que vous prônez pour les comptes de la sécurité sociale, que vous prétendez défendre, mais dont on peut estimer que les recettes s'effondreraient en raison de la hausse du chômage que l'adoption de votre proposition de loi occasionnerait ?
Vous l'avez compris, si nous partageons les préoccupations louables qui sont à l'origine de cette proposition de loi, nous y serons défavorables.