Intervention de Sophie Cluzel

Séance en hémicycle du jeudi 7 mars 2019 à 15h00
Revenus du conjoint dans le calcul de l'allocation aux adultes handicapés — Présentation

Sophie Cluzel, secrétaire d'état :

Je vous remercie de me donner l'occasion, grâce à cette proposition de loi, de partager une nouvelle fois avec vous tous l'engagement total du Gouvernement en faveur de la participation des personnes en situation de handicap. Cette priorité du quinquennat a été de nouveau au centre des débats du conseil des ministres, mercredi dernier, le 27 février, avec une communication sur l'application de la feuille de route gouvernementale et les avancées pour les personnes.

Je tiens d'abord à rappeler que cette priorité se traduit très concrètement par un effort financier sans précédent de 2 milliards d'euros sur l'ensemble du quinquennat, en faveur des personnes auxquelles le handicap interdit de travailleur ou dont il réduit fortement la capacité à le faire. Conformément à l'engagement du Président de la République, le montant de l'AAH sera porté à 900 euros par mois, le 1er novembre prochain. Cette revalorisation exceptionnelle concernera plus d'un million de personnes. La hausse, de 11 % sur deux ans, sera financée par une enveloppe budgétaire totale de plus de 10 milliards en 2019.

Quel est donc le sens de cette revalorisation et comment s'articule-t-elle avec l'ensemble de la politique du Gouvernement en matière de handicap et notre projet de société inclusive ? La question est centrale pour l'examen de votre proposition de loi, madame la rapporteure : je voudrais l'éclairer dans mon propos.

Le Gouvernement a choisi de faire du handicap la priorité de ce quinquennat. Il s'agit de construire une société réellement solidaire et fraternelle, une société inclusive. Celle-ci doit reposer sur plusieurs piliers, qu'il importe de consolider en même temps.

Le premier pilier, c'est l'école, bien sûr, une école inclusive, à laquelle je sais votre assemblée particulièrement attachée. Je veux le redire : la scolarisation des élèves handicapés et, plus largement, des élèves à besoins éducatifs spécifiques et particuliers est un facteur de progrès pour tous. Cette priorité est partagée avec le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. La réussite quantitative est réelle : à la rentrée 2018, 340 000 élèves étaient scolarisés, soit le triple du chiffre enregistré il y a dix ans. Toutefois, un saut qualitatif reste à opérer pour favoriser la réussite de tous les élèves en situation de handicap.

La concertation « ensemble pour une école inclusive », que j'ai copilotée avec Jean-Michel Blanquer, a mobilisé plus de 120 participants, d'octobre 2018 à février 2019. Elle a permis de dégager de nombreuses pistes pour simplifier les parcours des élèves et de leur famille, auxquelles le projet de loi pour une école de la confiance a donné une première traduction législative. La scolarisation des enfants dès trois ans, la continuité de la formation pour les jeunes de 16 à 18 ans, l'amélioration de la formation des enseignants au handicap, le renforcement des équipes de suivi, la reconnaissance des accompagnants et la création de pôles d'accompagnement coordonnés au sein des établissements sont autant d'avancées concrètes qui rendront les parcours plus fluides. Vous les avez permises par votre vote, le 19 février dernier.

Avec la fin du recours aux contrats aidés pour accompagner les élèves, à compter de la rentrée 2019, et la revalorisation du métier des accompagnants, qui vont bénéficier d'emplois plus pérennes, un nouveau service public s'organise. Celui-ci doit permettre une rentrée 2019 plus sereine pour un plus grand nombre de familles.

Le deuxième pilier de la société inclusive, c'est l'emploi. Il s'agit de lutter contre le scandale du chômage de masse, qui frappe les personnes en situation de handicap, triplement discriminées, à raison de leur handicap, de leur âge et de leur niveau de qualification.

La réforme de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, qui impose à toute entreprise de plus de vingt salariés d'employer 6 % de personnes en situation de handicap, a été adoptée dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Elle tend à simplifier son calcul et sa déclaration, automatisée grâce à la déclaration sociale nominative, et ouvrira près de 100 000 emplois supplémentaires aux travailleurs en situation de handicap.

Son entrée en vigueur au 1er janvier 2020 sera accompagnée d'outils destinés à simplifier le calcul de l'obligation et à lisser les coûts de transition pour les entreprises.

Avec Muriel Pénicaud, nous poursuivons le travail pour permettre aux employeurs et aux personnes de bénéficier d'un appui renforcé pour le recrutement ou le maintien dans l'emploi. La concertation en cours sur la nouvelle offre de services d'accompagnement permettra de disposer à l'été de propositions très concrètes pour monter en puissance sur l'apprentissage des personnes handicapées, avec l'appui des référents handicap généralisés dans les CFA – centres de formation d'apprentis – , comme sur l'emploi accompagné, avec la mobilisation du service public de l'emploi.

Le troisième pilier, c'est l'exercice d'une pleine citoyenneté et, en premier lieu, du droit de vote. Restaurer l'ensemble des personnes handicapées dans cette dignité, conformément aux demandes réitérées depuis de longues années des associations de personnes handicapées, du défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, constituait pour moi une priorité.

Le rétablissement des personnes dans leur pleine citoyenneté est désormais effectif, grâce aux dispositions de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que vous avez adoptée récemment en lecture définitive et qui doit être promulguée d'ici peu.

Les majeurs protégés sous tutelle pourront exercer ce nouveau droit dès les élections européennes, dès lors qu'ils se seront inscrits sur les listes électorales avant le 16 mai 2019. Je compte sur votre mobilisation collective, ainsi que sur l'appui des associations, pour soutenir l'exercice de ce nouveau droit, qui permettra la participation de tous à la détermination de l'avenir d'un continent qui compte plus de 80 millions de personnes en situation de handicap.

Le quatrième pilier, c'est la simplification de l'accès aux droits. Depuis le 1er janvier 2019, l'allocation aux adultes handicapés, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ou le bénéfice d'une carte mobilité inclusion peuvent désormais être accordés à vie aux personnes dont le handicap n'est pas susceptible d'évolution et atteint un taux de 80 %.

S'agissant des plus jeunes, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé – AEEH – de base peut être attribuée jusqu'aux 20 ans de l'enfant, tandis que la durée minimale d'attribution d'un éventuel complément à l'AEEH est triplée pour passer à trois ans.

Voilà des avancées concrètes, là encore, réclamées de longue date par les personnes handicapées et leurs représentants, et que ce gouvernement est le premier à mettre enfin en oeuvre.

Le cinquième pilier, c'est le développement de l'accessibilité de tout à tous. Il est temps également de changer d'échelle en la matière pour entrer dans le universal design pratiqué par nos voisins d'Europe du nord, et qui est profitable au plus grand nombre.

Une grande avancée en ce domaine, également réclamée de très longue date, est bien sûr l'obligation d'installer un ascenseur dès le troisième étage dans les immeubles collectifs neufs. La France figurait parmi les derniers pays d'Europe à n'imposer un ascenseur qu'à compter du quatrième étage.

Cette nouvelle obligation entrera en vigueur au 1er octobre prochain, en même temps que les dispositions de la loi ELAN – portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique – visant à promouvoir le logement 100 % évolutif, c'est-à-dire un logement qui ne transige pas sur l'accessibilité de base, puisqu'il est à 100 % visitable par une personne à mobilité réduite, mais qui est susceptible de s'adapter à moindre coût aux besoins des personnes tout au long de leur vie. Souvenons-nous que l'essentiel des handicaps est acquis au cours de la vie.

Il faut aussi rappeler que, depuis octobre 2018, les services téléphoniques sont enfin accessibles aux personnes sourdes et malentendantes. De même, l'accessibilité du numéro d'urgence 114, destiné à ce même public, a été renforcée, comme j'ai eu le plaisir de le vérifier au cours d'un déplacement à Grenoble.

Une société permettant la pleine participation de tous, depuis le plus jeune âge, à l'école, dans l'entreprise, dans la cité, une société qui facilite au lieu de contraindre, et qui soutient l'émancipation des personnes, voilà le sens de la politique gouvernementale.

Elle est donc loin de se résumer à la seule question de l'AAH, même si ce minimum social joue un rôle essentiel dans la solidarité nationale depuis sa création, en 1975. Car il faut le rappeler : l'allocation aux adultes handicapés est bien un minimum social qui vise à assurer un minimum de ressources aux personnes auxquelles un handicap interdit de travailler ou dont il limite fortement la capacité de le faire.

L'AAH n'est pas destinée à compenser le handicap, d'autant qu'une prestation a été spécifiquement créée à cette fin depuis 2005 : la prestation de compensation de handicap. J'y reviendrai.

Pour autant, l'AAH intègre bien les difficultés spécifiques rencontrées par les personnes handicapées, notamment pour intégrer le marché de l'emploi. En ce sens, le montant de l'allocation est plus élevé que d'autres minima, en particulier le revenu de solidarité active, et les règles de cumul de l'AAH avec les revenus du travail sont particulièrement avantageuses pour les petites quotités de travail, afin de tenir compte de la fatigabilité éventuelle des personnes.

Comme tout minimum social, par ailleurs, cette prestation s'articule avec les solidarités familiales, notamment la solidarité entre époux reconnue par le droit civil et qui constitue un principe de base de notre modèle social.

Cette solidarité fait écho à une réalité économique, puisqu'un certain nombre de dépenses sont mutualisées pour le foyer. Elle correspond aussi à une réalité juridique, qui trouve sa traduction, par exemple, dans le caractère familial de l'impôt sur le revenu, ce qui me permet de rappeler qu'une personne en situation de handicap bénéficie d'une demi-part supplémentaire pour le calcul de son impôt ou celui de son foyer.

Comme tous les minima sociaux, l'AAH est assortie d'une condition de ressources. C'est à ce titre que les ressources du conjoint sont prises en compte dans le calcul de l'AAH.

Ne nous y trompons pas : la prise en compte de la composition du foyer pour le calcul de la prestation s'exerce bien au bénéfice des personnes. En effet, le plafond de ressources pour bénéficier de l'AAH augmente avec la taille du foyer. Cela veut dire que le plafond de ressources est plus élevé lorsque le bénéficiaire est en couple, comme il l'est lorsque le bénéficiaire a des enfants. Par exemple, un bénéficiaire de l'AAH en couple, qui n'exerce pas d'activité propre, peut continuer de percevoir cette allocation jusqu'à ce que les ressources de son conjoint atteignent 1,8 SMIC, c'est-à-dire près de 2 170 euros mensuels.

Dans le cas où c'est l'allocataire de l'AAH qui travaille, et non pas son conjoint, ces mêmes règles de calcul permettent à son bénéficiaire de cumuler son allocation à taux plein en complément d'un SMIC.

A contrario, si l'on ne prenait plus en compte les ressources à l'échelle du foyer, ce même allocataire ne pourrait plus prétendre qu'à 344 euros mensuels, ce qui représenterait un manque à gagner de 556 euros par mois pour ce foyer.

La proposition de loi, dont les intentions sont bien sûr louables, aurait ainsi pour conséquence de diminuer le montant de l'allocation pour de nombreux ménages – près de 57 000 – , puisque ne serait plus retenu que le plafond pour les personnes seules. Ainsi, paradoxalement, cette mesure, dont l'impact budgétaire est très significatif, ferait 57 000 ménages perdants, avec des pertes mensuelles allant jusqu'à 600 euros par mois, pour un total cumulé de 187 millions d'euros.

C'est la raison pour laquelle je ne souhaite pas, pour ma part, la soutenir et émettrai un avis défavorable à son adoption.

Je ne suis pas défavorable pour autant à ce que nous puissions requestionner l'articulation entre solidarité familiale et solidarité nationale, mais il est nécessaire de le faire dans un cadre plus global, comme le proposait par exemple le CESE dans son avis de 2017 sur le revenu minimum social garanti.

L'occasion nous en est donnée par l'engagement de la réforme sur le revenu universel d'activité, dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté, qui doit répondre à des impératifs parfaitement universels, comme l'impératif de dignité, pour permettre à ceux qui n'ont pas ou qui ont peu de revenus professionnels d'être adéquatement protégés, l'impératif de simplicité d'accès, pour lutter contre le non-recours aux droits, l'impératif de transparence, pour permettre aux allocataires de prévoir l'évolution de leurs revenus et les inciter à reprendre une activité, et l'impératif d'équité, pour garantir l'égalité de traitement aux personnes se trouvant dans des situations équivalentes.

Je ne suis pas défavorable non plus, bien au contraire, à ce que nous questionnions les modalités de compensation du handicap, à travers la prestation de compensation, dont bénéficient aujourd'hui près de 300 000 personnes, pour un montant cumulé de 2 milliards d'euros.

Le Gouvernement a démontré son souhait d'avancer en la matière en soutenant l'adoption dans cet hémicycle de la proposition de loi défendue par le député Philippe Berta pour lever la barrière d'âge de 75 ans, qui empêche aujourd'hui les plus âgés de solliciter la PCH pour un handicap acquis antérieurement. Je regrette à cet égard qu'aucun représentant de la majorité sénatoriale n'ait réussi à convaincre les sénateurs de l'intérêt d'inscrire et de voter cette proposition qui représente un réel progrès pour les personnes.

Mais nous voulons aller plus loin, car si la PCH a représenté une avancée majeure pour les personnes lors de sa mise en oeuvre en 2006, elle est aussi une prestation complexe, qui cristallise un certain nombre de critiques, comme l'a très bien relevé le rapport « Plus simple la vie ».

J'ai donc souhaité remettre à plat cette prestation à l'occasion de la Conférence nationale du handicap 2018-2019. La feuille de route du groupe de travail national, présidé par Mme Marie-Pierre Martin, première vice-présidente du conseil départemental du Maine-et-Loire, et qui doit déboucher d'ici l'été, est claire. Elle doit permettre de simplifier la PCH, de mieux prendre en compte les besoins liés au handicap psychique, de favoriser le soutien parental et de soutenir une diminution du reste à charge sur les aides techniques, en articulation avec le travail initié sur les produits et prestations remboursables. Voilà, une fois encore, des enjeux majeurs pour les personnes.

Mesdames et messieurs les députés, j'ai évoqué des prestations, des dispositifs et des chiffres. Mais au-delà d'un accès simplifié et plus équitable à ces prestations et compensations, vous aurez compris que le soutien à l'autonomie des personnes handicapées et à leur pleine participation au coeur de la société inclusive, que construit actuellement le Gouvernement, est mon sujet majeur.

C'est un projet qui veut reconnaître dans les citoyens en situation de handicap des citoyens à part entière et non des citoyens à part, un projet qui privilégie le pragmatisme et l'efficacité pour changer leur quotidien, conformément à leurs attentes, et que rappelait, encore hier dans les médias, le fondateur d'une société de services aux personnes, lui-même en situation de handicap, un projet dont je veux croire qu'il nous rassemble largement.

C'est la raison pour laquelle j'escompte avec confiance, tout en répétant mon avis défavorable sur cette proposition de loi, le soutien de votre assemblée pour coconstruire une société du vivre-ensemble, qui fasse pleinement place aux personnes et à leur différence.

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