Le handicap est un sujet qui doit appeler de notre part, en tant que législateur, une approche bienveillante, particulièrement soucieuse de justice sociale. Si le rapprochement avec le droit commun doit être un objectif idéal, il ne doit cependant pas se transformer en une injonction qui deviendrait source d'inégalité et d'injustice. Or, telle est la nature du sujet qui nous occupe aujourd'hui et qui est mis à l'ordre du jour de nos débats grâce à la pugnacité de nos collègues du groupe GDR et de la rapporteure du texte qui nous est soumis, Marie-Georges Buffet, que nous remercions.
Ce sujet est également de ceux qui rencontrent naturellement une adhésion transpartisane, ce qui explique pourquoi cette proposition de loi est cosignée par près de quatre-vingts parlementaires issus de toutes les sensibilités politiques. En effet, l'AAH ne doit pas être prise pour un minimum social comme un autre, qui devrait, à l'instar des autres prestations, être familialisé. Il s'agit, de fait, d'une aide qui n'est pas temporaire, en raison du degré d'invalidité des personnes qui la perçoivent, et qui représente bien pour elles une ressource financière.
La suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul ne serait donc qu'un acte de justice sociale visant à l'autonomie des personnes, d'autant que le plafond de ressources retenu n'est pas très élevé et qu'il réduit grandement l'accès à cette prestation. Parmi les 1,13 million de bénéficiaires de l'AAH, ce sont donc 250 000 personnes vivant en couple qui sont pénalisées et, en outre, exclus de la revalorisation apportée à la prestation.
Or, même si cette allocation est revalorisée et que son montant est porté à 900 euros, vivre avec l'AAH signifie que l'on reste sous le seuil de pauvreté. Pour les personnes qui vivent une situation de handicap, exercer sa citoyenneté et voir sa dignité respectée relève souvent du combat quotidien.
Dans un avis rendu en 2018, le défenseur des droits dénonçait cette réforme comme pénalisant les personnes handicapées qui souhaitaient fonder une famille. Il précisait qu'elle allait à l'encontre des dispositions de l'article 23 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, aux termes duquel : « Les États Parties prennent des mesures efficaces et appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des personnes handicapées dans tout ce qui a trait au mariage [et] à la famille ».
Nous touchons là au paradoxe de la politique que vous menez. D'un côté, en effet, vous annoncez votre volonté de favoriser l'autonomie et l'exercice d'une pleine citoyenneté avec des mesures que nous soutenons, comme le droit de se marier, de se pacser et, pour les personnes majeures sous tutelle, de divorcer sans recourir à l'autorisation judiciaire ou d'exercer leur droit de vote. De l'autre côté, cependant, vous persistez à vouloir maintenir en état de tutelle financière et morale les allocataires de l'AAH vivant en couple, avec toutes les conséquences possibles que nous connaissons dès lors qu'il s'agit de personnes vulnérables.
Cette dépendance est ressentie comme une honte et un sentiment de triple peine, ces personnes cumulant le fait d'être fragilisées par la maladie ou le handicap, de ne pas avoir de revenus et d'être dépendantes du conjoint. C'est une atteinte portée à la dignité et à l'autonomie des personnes, qui peut être, en outre, une source de tensions dans le couple. De plus, en cette veille du 8 mars, je rappellerai que, spécialement pour les femmes, la dépendance économique est un facteur de vulnérabilité, qui exacerbe particulièrement les risques de violences conjugales.
Nous sommes là bien loin des objectifs d'émancipation sociale dont votre majorité se fait pourtant le porte-étendard depuis vingt mois. Nous pouvons d'ailleurs regretter que les aspirations des personnes handicapées aient été largement absentes du questionnaire ouvrant le grand débat national voulu par votre Gouvernement.