Permettez-moi de réagir à quelques propos.
Oui, c'est une vision globale des ressources de la personne qui doit nous animer.
J'ai toutefois été un peu choquée d'entendre que certains ne voient pas la personne handicapée comme quelqu'un d'autonome, travaillant ou voulant travailler, alors que 67 % des personnes handicapées qui travaillent le font à temps plein, et alors que nombre d'allocataires en couple travaillent. Cette vision un peu compassionnelle et passéiste, qui réduit la personne à une supposée incapacité de travailler, ne correspond ni au vécu quotidien de ces personnes ni à ce qu'elles veulent. Il est faux de prétendre que la personne handicapée serait mécaniquement exclue du monde du travail en raison de son handicap. C'est précisément cela qui conduit à un enfermement, à une assignation à résidence de la personne, au lieu de lui laisser prendre le risque d'un bon accompagnement pour aller travailler, ce qui correspond à ce qu'elle souhaite.
Aujourd'hui, 40 % des bénéficiaires de l'AAH perçoivent l'allocation à taux réduit car ils disposent d'autres ressources, en particulier issues d'activités ; 18 % des bénéficiaires de l'AAH sont salariés. Mon ambition ? Que ce taux augmente très sensiblement et que les personnes puissent vivre de leur travail. C'est tout le sens de la réforme de l'obligation d'emploi, que j'ai menée avec Muriel Pénicaud.
Vous nourrissez des inquiétudes s'agissant de la rénovation de cette obligation mais elles sont absolument infondées. Madame Corneloup, vous avez prétendu que les associations seraient excessivement inquiètes. Je m'inscris en faux : elles sont autour de la table, en train de travailler à la rédaction du décret ; leur ambition est de valoriser l'emploi direct, de préserver la sous-traitance et les achats responsables, à travers la possibilité de réaliser des achats auprès des ESAT – les établissements et services d'aide par le travail – et des entreprises adaptées. Je vous rappelle que l'État investit 500 millions en faveur de ces dernières et 50 millions pour la formation des professionnels. Vous imaginiez bien que nous n'allons pas arrêter ces achats responsables. Au contraire, nous les valorisons, mais nous voulons que ces entreprises deviennent autant de sas et de tremplins vers l'emploi en milieu ordinaire. C'est tout l'enjeu de « Cap vers l'entreprise inclusive », engagement que nous avons signé avec les têtes de réseaux, qui sont autour de la table et savent à quoi s'en tenir. Rassurez-vous donc : les achats responsables sont partie intégrante de notre politique d'offres variées pour l'accès à l'emploi et pour une vie digne grâce au travail. Nous voulons néanmoins que ces entreprises deviennent de vrais sas vers l'emploi en milieu ordinaire. C'est tout l'enjeu de cette transformation, de cette rénovation. Oui, les entreprises adaptées et les ESAT sont totalement partie prenante de cette rénovation car elles offrent aussi une activité par le travail. Je vous rappelle toutefois que leurs salariés ne relèvent pas du droit du travail mais du secteur médico-social, et nombre d'entre eux demandent justement à en sortir pour trouver un emploi salarié accompagné. C'est tout l'enjeu de la transformation à laquelle nous travaillons, avec les associations des personnes handicapées. Je vous rassure : elles sont autour de la table et coconstruisent la réforme avec nous.
Pour revenir aux allocataires de l'AAH en couple, un certain nombre d'orateurs ont estimé que les règles de calcul de l'allocation seraient contraires au droit à la vie familiale. Je tiens à m'élever contre cet argument, comme l'a fait M. Mbaye. Mme Catalina Devandas-Aguilar, rapporteure spéciale de l'ONU – l'Organisation des Nations unies – , dans son rapport d'octobre 2017, n'a quant à elle rien trouvé à redire à cette politique d'accompagnement, de conjugalisation, de solidarité nationale et familiale.
En revanche, je vous rejoins sur ce point, elle n'a pas manqué de pointer du doigt la complexité de nos dispositifs. L'enjeu du revenu universel d'activité, sur lequel nous voulons travailler, est bien là : notre politique d'accès au droit est beaucoup trop complexe. Je m'élève donc contre l'idée d'un droit toujours plus spécifique : je veux que l'on tende au droit commun, au droit commun accompagné, pour que les personnes en situation de handicap puissent bénéficier d'une vraie lisibilité.
Les solidarités familiale et nationale ne s'opposent pas mais se complètent, comme l'a très bien dit M. Hammouche, que je remercie de cette précision.
S'agissant de l'AAH et de la pauvreté, j'ai entendu que le plafond de ressources pour les couples faisait des perdants. C'est inexact, il n'y a aucun perdant. Il est faux de dire que 250 000 couples sont pénalisés. Avec cette revalorisation, 60 % des couples sont gagnants, totalement ou partiellement. C'est aussi le cas de 100 % des couples composés de deux bénéficiaires de l'AAH – car cela arrive – , qui vont bénéficier de plus de 180 euros par mois. La solidarité s'exerce plus fortement en direction de ceux qui en ont le plus besoin.
Il faut redire que la suppression du plafond fait 57 000 perdants parmi les personnes en couple. Un tiers sont en couple, travaillent et exercent des activités complémentaires : ce seraient les grands perdants. Or, dans ces couples, le bénéficiaire de l'AAH est le soutien de famille – il faut pouvoir dire que, dans certaines familles, le soutien de famille est allocataire de l'AAH, que cette réalité ne correspond pas à la vision compassionnelle portée sur les personnes en situation de handicap.
Il a été dit que tous les bénéficiaires de l'AAH vivaient sous le seuil de pauvreté. Or ce n'est pas le cas : les trois-quarts d'entre eux vivent au-dessus de ce seuil, même si la moitié d'entre eux sont considérés comme des personnes modestes, et il ne faut pas s'en satisfaire. Tel est l'enjeu : améliorer le taux d'activité et l'accès au monde du travail. Pour l'instant, les règles de revalorisation de 11 % de la prestation, pour 2 milliards d'euros, sont précisément conçues pour lutter contre la pauvreté des personnes handicapées. La solidarité nationale doit toujours soutenir ceux qui en ont le plus besoin.
J'ai entendu dire que notre politique de handicap consistait en mesurettes. Je tiens à dire que nous n'avons pas à rougir de cette politique. Nous consacrons plus de 45 milliards aux personnes en situation de handicap. Cette somme provient : pour 40 % de la sécurité sociale, qui finance l'invalidité et les établissements médico-sociaux ; pour 35 % de l'État, avec l'allocation aux adultes handicapés et toutes les mesures en faveur de l'emploi ainsi que celles en faveur de la scolarisation ; pour 15 % des départements, qui prennent en charge la prestation de compensation du handicap et l'hébergement. Par conséquent, réduire la politique du handicap au problème pur et simple de la conjugalisation de l'AAH, c'est rater un aspect majeur de l'impact de notre politique pour les personnes en situation de handicap.
Notre pays se singularise par la partie importante des crédits qu'il consacre à des prestations monétaires. Est-ce au bénéfice de tous ? Ce n'est pas ce que j'entends, et l'insatisfaction vis-à-vis des résultats de cette politique est éloquente : nous devons faire mieux, nous pouvons faire mieux, tous ensemble, pour bâtir enfin cette société inclusive.