Nous entamons les discussions sur la proposition de loi déposée par le groupe GDR et soutenue par Elsa Faucillon en faveur de la transparence dans l'utilisation de l'épargne populaire en matière énergétique. Si ce sujet arrive à l'issue de nombreuses heures de discussion, il n'en demeure pas moins un débat très important qui doit retenir toute notre attention. Au nom du groupe La République en marche, nous remercions Mme Faucillon d'avoir proposé d'inscrire ce sujet à l'ordre du jour.
Avant d'en venir aux grands objectifs, aux chiffres parfois très abstraits, aux grands projets de réforme qui se dessinent et, finalement, au texte à proprement parler, j'aimerais évoquer ici le quotidien des Français dans le cadre de la transition écologique et de son financement. « Mais qu'est-ce que la transition écologique, madame la députée ? » Voilà la question qui m'a été posée, il y a quelques semaines, à l'occasion d'un grand débat avec des chefs d'entreprise de TPE et de PME.
J'avais devant moi des Français désemparés face à ces notions dont nous ; politiques, médias, experts, associations leur rebattons les oreilles et derrière lesquelles nous mettons trop peu de réalité.
Dans les Mots et les choses, que j'ai lu il y a déjà de nombreuses années, Michel Foucault développe une thèse qui m'a profondément marquée selon laquelle l'objet est ce qu'en dit celui qui en parle. L'objet « transition écologique » ne serait donc pas que transition écologique. Il serait ce que chacun en dit : interdictions et contraintes pour certains, synonyme de réduction des inégalités pour d'autres, vecteur de création d'emplois, antidote contre la stagnation séculaire, condition du mieux vivre, protection de la santé. Je crois que la transition écologique est un peu tout cela mais elle est surtout constituée du quotidien des Français : elle est l'isolement d'un logement, elle est l'engagement dans un projet participatif pour la mise en place d'une centrale solaire citoyenne. Pour les collectivités, elle est la mise en place de réseaux de chaleur, de développement de flotte de véhicules électriques ou de vélos. Pour les agriculteurs, elle peut-être le montage d'un projet de méthanisation.
Elle a aussi un sens : préserver la connaissance. Si nous détruisons tout le vivant, toute la nature, ce « corps non organique de l'homme » selon Marx – car telle est bien la conséquence du changement climatique – , quel sera le sens de notre existence ? À travers qui pourrons-nous continuer à apprendre à connaître qui nous sommes, d'où nous venons et où nous voulons aller ? Comment trouver les nouvelles solutions aux problèmes que nous connaissons ? Soigner le diabète grâce au ver marin arenicola marina, trouver des solutions de désalinisation en observant la physiologie du requin et sa capacité à filtrer l'eau salée, découvrir les solutions d'économie d'énergie dont l'univers vivant foisonne. Je pourrai multiplier les exemples à l'infini. Comme l'écrit Idriss Aberkane dans l'Âge de la connaissance, « si la nature est une bibliothèque, chaque espèce est un livre, chaque organe un chapitre, chaque molécule quasiment un paragraphe, et pour le scientifique peut être une décennie de sa recherche. »
La transition écologique a donc un sens, elle est dans le quotidien des Français et elle doit être déployée de manière plus massive, notamment au niveau des entreprises qu'il faut encore mieux accompagner. Je pense en particulier à nos TPE-PME qui au-delà des financements auraient besoin d'accompagnement, d'ingénierie pour développer des projets d'écologie industrielle sur le territoire et diagnostiquer les économies d'énergie possibles. Les petits pas de chacun seront des grands pas pour tous.
Il n'y a pas de recette miracle, mais des recettes : mobiliser notre quotidien et plus, mobiliser l'argent public avec l'obsession d'en faire un levier pour l'investissement privé, mobiliser les épargnants. Réorienter les flux financiers, objet de la présente proposition de loi est bien évidemment un outil primordial, une brique importante pour atteindre ces objectifs.
La majorité partage les enjeux présentés par la rapporteure et qui sont à la base de cette proposition de loi : la mise en oeuvre et le respect de l'article 2 de l'accord de Paris ; les besoins d'investissements dans la transition écologique, de l'ordre de 10 à 30 milliards, qu'ils soient privés ou publics ; le désengagement des activités des énergies fossiles. Le Gouvernement et la majorité sont bien conscients de ces enjeux et nous y répondons depuis le début de notre mandat. Une des premières lois du quinquennat a imposé la fin progressive de toute exploration et exploitation d'hydrocarbures sur le territoire français à l'horizon 2040.
Depuis les avancées du précédent quinquennat, notamment l'article 173 de la loi de transition énergétique, le Gouvernement a montré une réelle volonté d'encourager, plus qu'une prise de conscience, un changement de paradigme et de pratiques au sein du secteur financier.
La majorité, soutenue par le Gouvernement, est mobilisée et a, via des amendements à la loi PACTE, confié à l'Autorité des marchés financiers une mission de veille de la qualité de l'information fournie par les sociétés de gestion de portefeuilles sur leur stratégie d'investissement et leur gestion des risques liés aux effets du changement climatique ou encore voté l'extension aux emplois verts des livrets A et LDDS.
Si nos objectifs sont communs, nos méthodes pour y parvenir divergent ainsi que notre conception du sens de la « transition », ce qui conduit la majorité à ne pas retenir tout le contenu de la proposition de loi.
Tout d'abord, la transition écologique et énergétique ne peut être qu'un changement progressif de modèles et d'habitudes. Même si nous savons tous ici la nécessité d'arrêter d'investir dans les énergies fossiles, la réalité est que notre modèle économique est encore extrêmement carboné. À partir de là, deux options se dessinent. Nous pouvons décider d'arrêter de façon brutale tout approvisionnement de ces énergies, ce qui risquerait de nous conduire à une situation chaotique. Nous pouvons aussi, et c'est le choix que nous avons fait, décider d'assurer une transition globale et ambitieuse de notre modèle économique sous toutes ses formes : logement, mobilité, travail, au coeur de l'entreprise. Contrairement à la responsabilité des ONG qui est d'alerter l'opinion publique – et heureusement qu'elles sont là ! – , la responsabilité des politiques doit être de protéger les citoyens, en présentant des moyens adaptés et acceptables pour faire face au défi climatique et protéger l'ensemble des intérêts des Français, économiques, sociaux, de santé.
Autre divergence, le rôle de la finance dans notre transition écologique. La finance, telle qu'elle a été construite, a un rôle d'accompagnement de notre économie et d'aide au financement des projets. Dans une économie encore fortement carbonée, on ne peut être surpris que des financements se portent sur ces secteurs. De même, avec les règles prudentielles strictes que nous avons adoptées pour protéger les épargnants – et je m'en félicite – , on ne peut être surpris que les acteurs financiers investissent dans des marchés liquides. Or le secteur des énergies est ce qu'il y a de plus liquide sur le marché.
Nous préférons donc avancer de manière plus structurelle pour verdir les outils et les règles économiques et financières. Notre conviction est que la finance tout comme l'économie doivent intégrer dans leur fonctionnement les enjeux de la transition écologique.
Il faut être très honnêtes vis-à-vis de nos concitoyens : même si nous décidions ce soir d'obliger les banques à se désengager de tous les projets carbonés et à réorienter 100 % de leurs investissements vers la transition écologique, cela ne résoudrait pas le problème.
Comme l'illustre le témoignage des TPE et des PME, la priorité est aujourd'hui de transformer les besoins en projets. Il conviendrait même de faire prendre conscience aux acteurs que des besoins peuvent être transformés en projets pour la transition énergétique, comme le préconise le rapport de Philippe Zaouati et Pascal Canfin.
J'en viens au contenu de votre proposition de loi. L'article 1er, tout d'abord, comme je l'avais dit en commission des finances est déjà quasi satisfait, ce que souligne d'ailleurs votre rapport. La problématique du fléchage vers la transition écologique, qui ne concernait jusqu'à aujourd'hui que les économies d'énergie dans les bâtiments, a bien été identifiée, et un amendement à la loi PACTE a été adopté pour étendre le dispositif aux emplois verts. Nous pensons qu'il est important d'avoir des informations plus précises sur l'utilisation de ces fonds. C'est pourquoi nous vous suivrons sur l'extension de la mission de l'Observatoire de l'épargne réglementée au suivi de l'emploi des fonds non centralisés de l'épargne réglementée au regard des objectifs de transition écologique, sous réserve de l'adoption d'un sous-amendement que nous vous proposerons.
Les articles 2 et 4, qui renforcent les obligations de reporting en matière d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures et de charbon, pourraient être traités de façon beaucoup plus globale. La France est pionnière dans le domaine avec l'article 173, modèle qu'elle porte notamment au niveau de l'Union européenne. Plusieurs rapports révèlent le succès de l'initiative, notamment grâce à sa souplesse et nous attendons maintenant un rapport du Gouvernement pour faire le bilan de l'application de la loi en vue d'une évolution future et une d'harmonisation des méthodes – peut-être pourrait-on proposer une méthode unique d'évaluation des portefeuilles au regard de l'objectif des 2 degrés.
Les obligations de reporting qui pèsent sur les acteurs sont déjà très nombreuses : mais voulons-nous toujours plus d'informations ou préférons-nous agir ? Agir, je l'ai dit, c'est accompagner nos entreprises – et ne pensons pas seulement aux grandes mais aux entreprises qui maillent nos territoires – pour identifier les besoins.
Enfin, concernant l'article 3 sur la Caisse des dépôts et consignations, des engagements ont été pris dans le cadre du One Planet Summit. Nous partageons toutefois votre souci de transparence quant à la politique menée par la Caisse des dépôts qui ne doit pas faire obstacle à son devoir d'engager un dialogue actionnarial avec les sociétés dans lesquelles elle détient des parts pour, encore une fois, accompagner les décisions vers une meilleure prise en compte des sujets climatiques.
Vous avez mentionné, madame la rapporteure, le discours historique du 29 septembre 2015 dans lequel le gouverneur de la banque d'Angleterre Mark Carney évoquait la « tragédie des horizons » : alors que la science nous éclaire sur les risques considérables auxquels nous faisons face à long terme à cause du changement climatique, les marchés financiers sont incapables de les prendre en compte dans leur fonctionnement habituel, dans leur modèle, leur valorisation. M. Carney identifiait trois risques : le risque physique, notamment l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements climatiques extrêmes, qui rendra progressivement une partie de l'activité économique impossible à assurer ; le risque de responsabilité, c'est-à-dire la possibilité que des acteurs économiques ayant subi les conséquences du dérèglement climatique agissent en justice contre les entreprises et les gouvernements, et le risque de transition, autrement dit l'impact d'une mauvaise valorisation des actifs par le marché.
Ce soir, nous devons avoir ce débat, car le deuxième risque, le risque de responsabilité, nous le constatons depuis ces dernières semaines. Nous devons aux Français, aux citoyens européens, aux citoyens du monde…