Dont acte, pardonnez-moi.
Les sénateurs ont rejeté avec courage ce mauvais projet de privatisation d'Aéroports de Paris. Nous persistons à penser qu'il est mauvais pour plusieurs raisons.
C'est d'abord une faute stratégique majeure : ADP dispose d'un monopole et même les États les plus libéraux, ceux qui inspirent au quotidien les politiques du Gouvernement –les États-Unis, pour ne citer qu'eux – considèrent que privatiser des aéroports, c'est se priver d'outils stratégiques.
C'est ensuite une faute économique indéniable, les élus de l'opposition ne sont pas les seuls à le dire. Privatiser un monopole naturel ou une activité économique non concurrentielle conduit toujours à de piètres résultats : le scandale de la privatisation des autoroutes nous le rappelle chaque jour.
C'est de surcroît une faute budgétaire. ADP est la première société aéroportuaire au monde : 281 millions de passagers, 4,478 milliards de chiffre d'affaires, un bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (en anglais, earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization – EBITDA) de 1,961 milliard d'euros et un résultat net part du groupe de 610 millions d'euros. Le taux de marge d'ADP est de 14 %. C'est une source de revenus réguliers pour les comptes publics. Nous ne comprenons toujours pas pourquoi vous voulez tuer la poule aux oeufs d'or. Quelle est la raison profonde d'un tel choix ?
C'est également une faute de méthode : on ne brade pas les biens communs, même pour financer un fonds d'innovation. Nous avons d'ailleurs formulé des propositions alternatives pour le financer. Les 300 millions d'euros annuels que rapportent vos privatisations, dans des conditions atypiques et exorbitantes de droit commun, tant sur la forme que sur le fond, ne sont rien au regard des 800 millions d'euros que génèrent chaque année les entreprises que vous envisagez de privatiser.
C'est enfin une faute démocratique. De nombreux spécialistes l'affirment, ADP n'est constitutionnellement pas privatisable. Malgré la modification de la composition du Conseil constitutionnel, j'espère que la jurisprudence nous donnera raison. ADP gère une frontière vitale, au coeur de notre capitale économique et politique. Une telle privatisation s'apparente à un abandon de souveraineté nationale, ce qui explique pourquoi nos voisins ne se sont pas engagés dans cette voie.
Jusqu'à ce jour, je pensais que nous partagions la même conception de l'État stratège, une conception gaulliste, qui considère que le marché ne peut pas tout et que l'État ne peut se désengager lorsque la souveraineté, les infrastructures, les déplacements de la population sont en jeu. Or, en privatisant, vous faites la démonstration que le Gouvernement renonce à gouverner ! C'est à contre-courant de ce que tout le monde souhaite : un Gouvernement est là pour gouverner, un État est là pour protéger, pour déployer une vision stratégique de long terme – ce que la logique de privatisation ne permet pas.
Je rebondis sur l'intervention de notre collègue : nous sommes tous préoccupés par les problématiques environnementales, y compris les effets du trafic aérien sur les populations limitrophes des aéroports. Or la privatisation d'ADP introduira un nouvel acteur et une logique d'actionnaires, forcément opposés, ne nous racontons pas de baratin, à toute évolution en la matière. Sitôt que la règle à calcul l'emporte sur l'intérêt général, le voisinage, les conflits d'usage, les impacts sur les territoires concernés seront évidemment la variable d'ajustement…
Nous pourrions débattre des heures, tellement cette posture est incompréhensible. Je m'en tiendrai à un dernier point : certains départements franciliens envisagent de pas vous laisser brader les bijoux de famille et souhaitent acquérir une participation dans ADP. Nous ne savons pas encore s'il s'agira d'une vente unique ou à la découpe. Nous savons par contre que de nombreux opérateurs privés s'intéressent à la poule aux oeufs d'or. Comment accueillez-vous cette initiative et, si vous optez pour une vente à la découpe, autoriserez-vous l'acquisition de telles participations, avec autorité de puissance publique, afin de bloquer une logique dommageable pour les territoires, une logique que ne prend pas en compte l'intérêt général ? Dans ces départements franciliens, on retrouve certains de vos amis…
Monsieur le ministre, ce sont les parlementaires, mais aussi les salariés et habitants de ces territoires, qui vous posent ces questions. Mme Thatcher inspire encore de nombreuses politiques – il ne faut jamais désespérer des traces qu'on laisse dans l'histoire : elle a privatisé des infrastructures majeures, notamment des ports, ce qui fait que le Royaume-Uni est aujourd'hui incapable de développer des politiques portuaires stratégiques. Les aéroports sont des infrastructures tout aussi sensibles.