En dépit de nos différentes sensibilités partisanes, nous estimons tous que c'est un énorme gâchis et une grossière erreur, un non-sens économique et une aberration stratégique.
Aéroports de Paris est leader mondial dans la gestion des aéroports. C'est une entreprise florissante, son chiffre d'affaires est en constante croissance, son taux de profitabilité est considérable. Les dividendes versés sont quasiment du même niveau que le budget de votre fonds de soutien à l'innovation radicale. Le montage même que vous envisagez est aberrant : en début de concession, vous indemniserez les actionnaires et, en fin de concession, vous devrez leur racheter les actions d'Aéroports de Paris – il faudra une juste et préalable indemnité pour récupérer l'actif. En réalité, c'est une concession perpétuelle, et non de soixante-dix ans, que vous créez.
Vous évoquez aussi, modestement, le remboursement de la dette. Mais quand on emprunte à des taux d'intérêt si bas – voire négatifs –, à des taux qui sont donc inférieurs au taux de profitabilité de l'entreprise que l'on privatise, il est antiéconomique de vendre des bijoux de famille pour rembourser de la dette !
Aberration économique, mais également erreur stratégique monumentale. ADP n'est pas une entreprise comme les autres : c'est un service public d'intérêt national, un monopole naturel, un bien commun, une frontière extérieure, un outil de souveraineté, un leader mondial. ADP n'est pas seulement un gestionnaire d'aéroport, c'est aussi un aménageur, un développeur, un exploitant, une entreprise propriétaire de 6 680 hectares de terrains et de bureaux, qui n'a pas d'équivalent en Europe. C'est une entreprise au coeur des intérêts stratégiques de la Nation et au coeur de tous les grands projets d'aménagement de la région Île-de-France – la ligne 17 du métro du Grand Paris ou Coeur d'Orly avec quinze hectares de bureaux. C'est le premier pôle d'emploi d'Île-de-France.
Demain, la régulation que vous prétendez maintenir sera limitée par le périmètre du service public aéroportuaire, devenu dérisoire au regard du périmètre réel de l'entreprise. Vous n'aurez plus la main pour peser sur ses orientations stratégiques : plutôt que les grands projets d'aménagement de la région Île-de-France, elle préférera peut-être le développement à l'international, ou celui des commerces et des bureaux.
Vous risquez aussi d'affaiblir le hub d'Air France. Vous venez de recevoir une leçon de vos homologues néerlandais : ils ont défendu leurs intérêts stratégiques. Nous devons défendre les nôtres ! Regardez ce qui se passe à Heathrow : les liaisons secondaires ont fondu. Nos liaisons intérieures sont menacées par cette privatisation.
Ces arguments sont d'autant plus pertinents que nous sommes instruits des conséquences des privatisations des autoroutes : elles font perdre des milliards d'euros de dividendes chaque année à la Nation. Nous sommes aussi instruits par la Cour des comptes des conséquences de la privatisation de l'aéroport de Toulouse-Blagnac. Tirons-en des leçons ! Ne commettons pas les mêmes erreurs et l'irréversible ! Les enjeux de souveraineté, de sécurité, de développement économique, tant au niveau national que régional, sont considérables. C'est pourquoi je m'adresse à vous, chers collègues : certains me font part, dans les couloirs, de leurs doutes, voire de leur désaccord. Il faut les exprimer quand l'essentiel est en jeu ! Il y va de l'intérêt national.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé la création d'une taxe sur les GAFA, qui devrait produire 450 millions d'euros de recettes fiscales cette année. Affectez-les à l'innovation radicale ! Je connais trop le débat sur ces fichus 200 millions d'euros alloués à l'innovation : chaque année, il faut que Bercy donne l'exemple. Ces crédits sont très rigides à la baisse – du fait des dépenses de personnel. On essaie régulièrement de les débudgétiser. Après la création de ce fonds, ce sont les crédits encore inscrits au budget de votre ministère qui vont fondre ! Ce n'est rendre service ni à l'innovation, ni à la région Île-de-France, ni à Air France, ni à notre pays. Un tel sujet mériterait à tout le moins d'être soumis au débat national.