J'ai combattu la privatisation des concessions d'autoroutes sous M. Dominique de Villepin – nous sommes même allés au Conseil d'État où nous avons hélas perdu. A posteriori, tout confirme que c'était vraiment une erreur. Toutefois, ceux qui utilisent cet argument pour justifier ou récuser la privatisation d'Aéroports de Paris ont tort, car les deux situations n'ont rien de comparable. Les concessions autoroutières étaient purement nationales, arrivaient à échéance – elles ont été prolongées – et commençaient à dégager un flux de trésorerie considérable qui aurait permis de financer la modernisation des routes nationales françaises. En clair, la comparaison entre la concession d'ADP et les concessions autoroutières est inadaptée.
Par ailleurs, j'ai exercé pendant dix ans la fonction de rapporteur sur le budget du transport aérien – et, dans une autre existence, j'ai également suivi ces questions à la Cour des comptes. Les motifs qu'invoque le Gouvernement pour privatiser ADP ne sont pas recevables. On nous explique qu'il faut trouver 10 milliards d'euros d'actifs à placer à la Banque publique d'investissement afin de disposer de 300 millions d'euros par an pour financer un fonds d'innovation de rupture. Nul besoin de privatiser pour y parvenir : il suffirait, Monsieur le ministre, de déposer un amendement instaurant un prélèvement en amont de 300 millions d'euros sur l'ensemble des dividendes que touche l'État, et non pas simplement sur ceux qu'il touche au titre de telle ou telle entreprise – pour alimenter un fonds d'innovation ; nous aurions plaisir à le voter et l'affaire serait réglée. Telle est à mon sens la principale faiblesse de la thèse du Gouvernement, qui consiste à prétendre qu'il faudrait céder 10 milliards d'actifs pour disposer d'un revenu annuel supplémentaire de 300 millions. Il n'y a pas besoin de cela.
Abordons le problème sur le fond. La véritable question à poser est la suivante : faut-il privatiser ADP ainsi que les plateformes régionales ?
Commençons par réfuter plusieurs arguments contre la privatisation qui ne me semblent pas solides. Le premier d'entre eux est un vieil argument d'économistes : ADP serait un monopole naturel. Eh bien non… Contrairement à ce que vous pourriez croire, ce n'est pas le cas : les compagnies aériennes ont le choix des plateformes aéroportuaires qu'elles utilisent pour le transport de fret et aussi, en partie, pour celui des voyageurs puisqu'il est toujours possible d'établir un lien direct supplémentaire entre telle et telle plateforme. Autrement dit, les plateformes sont en concurrence. La théorie du monopole naturel ne tient donc pas.
Autre argument : la plateforme aéroportuaire serait un élément de souveraineté. Soit, mais qu'elle soit publique ou privée ne change rien : l'État conserve la maîtrise de l'ensemble des moyens liés aux entrées, aux sorties et aux contrôles. L'argument de la souveraineté n'est donc pas bon.
Troisième argument : l'échec de la privatisation de l'aéroport de Toulouse. Pour porter un regard équilibré sur les choses, il faudrait envisager tout à la fois Toulouse et Nice, qui fut plutôt un succès. Pourquoi ? Parce que le choix du gestionnaire a permis d'établir des lignes directes – je reviendrai sur l'aménagement du territoire. Toulouse, en revanche, fut un échec pour la raison qu'a expliquée la Cour des comptes : le cahier des charges n'était ni fait, ni à faire. On a confié l'aéroport à un investisseur chinois – en réalité, à une société ayant des filiales dans des paradis fiscaux ; l'interlocuteur avec lequel s'est faite la négociation a disparu et il paraît qu'il aurait été en prison pendant plusieurs années… Bref, une histoire incroyable. L'acquéreur s'apprête désormais à revendre ses parts moyennant une plus-value qui n'est finalement pas si importante, de l'ordre de 50 à 60 millions d'euros. Quoi qu'il en soit, soyons équilibrés : c'est parce que l'on a mal privatisé l'aéroport de Toulouse que cette opération a échoué.
Venons-en maintenant aux arguments en faveur de la privatisation d'ADP. Il s'agit en fait de contribuer à la création de réseaux de plateformes aéroportuaires afin d'éviter que chacun gère son propre aéroport. Cela vaut pour les aéroports de province comme pour les aéroports parisiens. Or, les compagnies aériennes se réorganisent autour de trois grands pôles : Air France-KLM, Lufthansa et British Airways. Il faudrait donc créer un réseau aéroportuaire, si possible en cohérence avec le regroupement des compagnies. C'est d'ailleurs ce qu'a commencé de faire ADP en prenant des participations dans l'aéroport de Schiphol ; il y a aussi des participations des collectivités territoriales. En ce qui me concerne, Monsieur le ministre, je voterais des deux mains la privatisation d'ADP si elle s'inscrivait dans une stratégie de gestion des plateformes aéroportuaires ; mais en l'état, ce n'est pas le cas.
Il faut envisager l'entrée des collectivités territoriales au capital d'ADP, comme nous l'avions évoqué en première lecture. C'est déjà le cas à Schiphol, qui fonctionne très bien. Les régions, qui sont compétentes en matière de développement économique, pourraient donc utilement entrer au capital d'ADP aux côtés d'investisseurs privés. On conduirait ainsi une véritable grande politique des plateformes aéroportuaires françaises, qu'il s'agisse d'ADP ou des plateformes régionales.
Certains de nos collègues semblent croire qu'ADP est encore une plateforme franco-française : pas du tout ! L'internationalisation de cette plateforme est largement engagée puisqu'elle détient des participations dans Schiphol, la majorité des parts de l'aéroport Atatürk d'Istanbul et la gestion de plusieurs aéroports africains. Pour poursuivre cette internationalisation, il faut à mon sens privatiser ADP, mais il faut le faire dans le cadre d'une stratégie, et non d'une simple approche à peine patrimoniale pour se procurer 10 milliards d'euros. Pourquoi dans ce cas avoir choisi ADP plutôt qu'un petit bout d'EDF ou d'Engie ? Encore une fois, cet argument ne tient pas debout. Je le répète : je suis favorable à la privatisation d'ADP pour peu qu'elle s'inscrive dans le cadre d'une stratégie d'internationalisation afin de défendre au mieux les intérêts de la plateforme et, éventuellement, de la compagnie nationale.