Intervention de Roland Lescure

Réunion du mercredi 6 mars 2019 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Lescure, rapporteur général :

Certains d'entre vous s'interrogent pour savoir si la privatisation sert à désendetter l'État, à financer un fonds d'innovation ou à revoir le rôle de l'État. Nous faisons les trois en même temps : c'est toute la beauté du processus prévu… Nous allons désendetter l'État français, très endetté ; en même temps, nous en profiterons pour financer un fonds d'innovation de rupture et revoir en profondeur le rôle de l'État stratège, innovant et protecteur au XXIe siècle. Certes, il abandonnera la collecte de dividendes commerciaux en échange d'une somme rondelette mais surtout, son rôle sera révisé en profondeur.

On parle souvent de conflits d'intérêts potentiels concernant cet actif. Le véritable conflit d'intérêts tient au fait que l'État est partout : il est tout à la fois à la caisse, à l'entrée et à la sortie, il gère la sécurité et le trafic aérien, et il bénéficie des recettes commerciales. Il est temps de mettre fin à cette situation et de s'assurer que l'État fait ce qu'il doit faire – les pouvoirs régaliens sont non seulement assurés, mais aussi renforcés – et qu'il cesse de faire ce qu'il ne doit pas faire, c'est-à-dire gérer des boutiques commerciales.

Permettez-moi de revenir sur certaines contrevérités. ADP serait un leader mondial : en ce qui concerne le nombre de voyageurs, c'est en effet le cas, mais convenez que la quantité n'est pas toujours un gage de qualité. En l'occurrence, les grands voyageurs internationaux placent l'aéroport Charles de Gaulle au 37e rang mondial en termes de qualité de service, et Orly bien plus loin encore. Pour mettre ADP au niveau des plus grands aéroports mondiaux de manière à l'inscrire dans la compétition internationale, faire de la France, de l'Île-de-France et de Paris des champions mondiaux de l'attractivité et s'assurer que notre compagnie nationale est à la hauteur de la concurrence, il faut investir massivement dans les aéroports de Paris ; or l'État n'en a pas les moyens. Il faut donc trouver une autre méthode pour assurer la régulation tout en permettant le développement de l'aéroport afin de le mettre au niveau des standards internationaux de qualité.

ADP n'est pas un monopole, puisque l'entreprise est en concurrence avec les aéroports internationaux. Elle n'est cependant pas en concurrence avec les aéroports locaux, Monsieur Descoeur, mais il faut s'assurer que sa privatisation ne se traduira pas par la fermeture de ce que l'on appelle exagérément des « petites lignes » et qu'au contraire, elle permettra leur développement. Il va de soi que c'est l'un des facteurs de succès de l'entreprise : plus les voyageurs seront attirés vers l'aéroport Charles-de-Gaulle et plus ils rayonneront sur le plan international selon une logique gagnant-gagnant.

Cette mesure n'a rien à voir avec la loi PACTE, nous est-il dit. Au contraire : nous sommes au coeur de la croissance et de la transformation des entreprises. Il s'agit en effet de la croissance d'une grande entreprise française et de celle de la compagnie aérienne nationale. Tous les chefs d'entreprise qui souhaitent exporter leurs marchandises partout dans le monde le savent : nous avons besoin d'un aéroport de classe mondiale ; nous n'y sommes pas encore tout à fait.

Une fois n'est pas coutume, je suis d'accord avec M. Ruffin : oui, nous devons apprendre de nos erreurs, et c'est exactement ce que nous faisons. La manière dont nous envisageons la régulation d'ADP à la suite de cette cession d'actifs n'a rien à voir avec la manière dont a été organisée la cession des autoroutes. Votre groupe et celui de votre voisin, M. Jumel, sont les deux groupes qui n'ont pas voté en faveur de la privatisation desdites autoroutes ; je comprends que vous les critiquiez. La réalité, cependant, est la suivante : on apprend de ses erreurs. C'est l'État qui gardera le dernier mot sur les tarifs ; nous ne serons pas obligés, comme c'est le cas aujourd'hui, de négocier à genoux une obole auprès des compagnies concessionnaires en cas de crise.

Nous vendrions la vache laitière ou les bijoux de famille, nous dit M. Molac. Non, nous vendons une compagnie liée à une activité économique qui connaît des hauts et des bas. Actuellement, elle connaît plutôt un haut ; en tant que vendeur, je préfère qu'on vende dans une situation favorable que pendant un creux. N'oubliez pas cependant que les dividendes d'un aéroport fluctuent : entre 2008 et 2010, ils ont diminué de 40 %, puis ils ont de nouveau baissé de 15 % en 2016. Et lorsqu'il s'agit de financer de l'innovation de rupture, de telles variations du jour au lendemain ne permettent pas de financer quoi que ce soit.

Les collectivités territoriales peuvent apporter une contribution importante à la gestion d'un actif stratégique de ce type, notamment en ce qui concerne les enjeux liés aux riverains, entre autres. Elles ont un intérêt au développement d'un aéroport international de qualité mondiale. Je me félicite à cet égard de certains apports de la commission du Sénat, même si je regrette qu'ils aient été balayés lors du débat en séance. Le Sénat avait en effet proposé en commission plusieurs dispositions intéressantes que nous reprendrons par amendement.

Enfin, nous ne ferons de cadeau à personne ; j'espère que tout le monde ici y sera sensible. Nous ne vivons pas dans une République bananière, mais en France. L'objectif est que ces processus soient transparents, clairs et rigoureux. Dans le concert des nations, nous voulons faire de la France un exemple de la qualité de ces processus. Je suis convaincu que nous en sommes capables.

Telles étaient les quelques contrevérités sur lesquelles je tenais à revenir, Madame la présidente.

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