Je souscris pleinement à la citation que vient de faire la rapporteure et à ses propos.
Je souhaite m'exprimer brièvement sur ce chapitre III, auquel j'attache une importance toute particulière. Il ne fait qu'ouvrir une voie, qui devra se prolonger dans les années à venir, y compris au niveau européen et international, celle de la réinvention du capitalisme. Tel qu'il existe aujourd'hui, le capitalisme est en effet voué à aller droit dans le mur, parce que les inégalités vont devenir insupportables et que le réchauffement climatique aura des conséquences sociales et internationales inacceptables pour les générations futures.
Je ne dis évidemment pas que le projet de loi qui vous est soumis, et ce chapitre en particulier, épuise le débat sur la réinvention du capitalisme. Je dis simplement que c'est un pas dans la direction de la réinvention du capitalisme. Un pas que complète le projet de loi que j'ai présenté hier sur la taxation des géants du numérique, et que complètera également la proposition que je ferai, comme président du G7 Finances, d'introduire une imposition minimale de l'impôt sur les sociétés, pour lutter contre le dumping fiscal, le contournement fiscal et l'évasion fiscale. Ce sont tous ces petits pas dans la bonne direction qui, au bout du compte, permettront de réinventer le capitalisme. Cette réinvention du capitalisme est, pour moi, une nécessité absolue en ce début de XXIe siècle. Nous devons construire un système économique plus juste, plus efficace et qui protège les ressources de notre planète, menacées d'épuisement.
Cette réinvention du capitalisme prend trois formes, dans ce projet de loi.
La première, c'est la redéfinition de la place et du rôle de l'entreprise dans la société. Je vous l'ai dit lorsque je vous ai présenté les projets de privatisation : il faut redéfinir la place de l'État dans notre économie, mais aussi, et c'est le pendant de ces privatisations, redéfinir la place et le rôle de l'entreprise dans notre société. Nous vivons depuis maintenant deux siècles sur l'idée que le seul objectif de l'entreprise est le profit. Cet objectif est certes nécessaire, mais il est insuffisant. Il est nécessaire, parce qu'il est la condition de l'innovation et de l'investissement, mais il est insuffisant, parce que les entreprises ont pris une telle place dans notre vie quotidienne, dans les relations humaines et dans le fonctionnement de la société qu'elles ne peuvent plus se contenter de dire : « On fait du profit ». Aujourd'hui, l'information, le transport, ce que nous mangeons, nos relations personnelles, nos choix de vie, de déplacement, de voyage, d'habillement, de consommation dépendent entièrement des entreprises. Elles ne peuvent pas se détourner de leur rôle social et de ce que nous avons appelé la « raison d'être ».
Je remercie une nouvelle fois Jean-Dominique Senard et Nicole Notat du travail exceptionnel qu'ils ont fait sur ce sujet. Ils ont permis de bien faire progresser la réflexion.
Je connais les réticences de certains. Je revendique haut et fort la raison d'être pour les entreprises – et ce n'est pas une concession que nous faisons à l'air du temps : les entreprises doivent avoir la liberté, si elles le souhaitent, de définir leur raison d'être. Et je suis convaincu que celles qui ne le feront pas seront économiquement perdantes. Une banque, une compagnie d'assurances qui n'expliquera pas aux générations qui viennent où va l'épargne qu'elles leur confient verront les consommateurs se détourner d'elles au contraire de celles qui leur apporteront la preuve que leurs économies financent la lutte contre le réchauffement climatique et les énergies renouvelables. Il est essentiel que ce texte prenne en considération l'impact social et environnemental des entreprises.
M. Potier a souligné à juste titre que nous avions retenu les termes « prise en considération » plutôt que « prise en compte ». C'est un pas dans une direction que je juge nécessaire. Nous n'avons pas voulu que cela puisse avoir une incidence juridique immédiate et contraignante sur les entreprises mais c'est une étape significative dans la reconnaissance de la raison d'être des entreprises.
Le débat sur le caractère obligatoire ou facultatif, nous l'avons eu. Je revendique aussi d'avoir fait le choix de ce caractère facultatif. Je crois profondément à l'exemplarité : toutes les entreprises verront assez rapidement qu'il est dans leur intérêt de définir leur raison d'être.
Le deuxième volet de cette réinvention est la réduction des inégalités. Vous avez fait progresser le rapport d'équité salariale en allant plus loin que la proposition européenne puisqu'au salaire moyen a été ajouté le salaire médian pour les plus grandes entreprises, ce qui est une garantie de plus grande transparence. Je suis, là aussi, convaincu que ce rapport d'équité aura une incidence directe sur la réduction des inégalités salariales.
Le troisième volet renvoie à une association plus étroite des salariés à la vie de l'entreprise. Les entreprises ont tout à gagner à faire une place plus importante aux salariés. Et cela va au-delà de ce projet de loi. J'ai visité des centaines de PME et toutes celles qui ont fait droit aux salariés en leur réservant un temps spécifique pour qu'ils fassent des propositions d'amélioration de la chaîne de production s'en sont toujours bien portées car ce sont eux les mieux placés pour dire comment faire progresser les processus, notamment dans les PME industrielles. Ce volet comprend aussi la place faite aux salariés dans les conseils d'administration puisque, avec ce texte de loi, nous allons les y associer davantage.
Nous allons aussi associer les salariés aux résultats grâce à l'intéressement et à la participation. Avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale, les dispositifs sont applicables à compter du 1er janvier de cette année. Et je voudrais profiter de cette réunion de la commission spéciale pour rappeler à toutes les entreprises qui ont moins de deux cent cinquante salariés que désormais, les primes d'intéressement seront exonérées de taxation. Elles ont donc tout intérêt à utiliser cette disposition et à signer des accords d'intéressement.
S'agissant de la formule de participation, nous n'avons pas trouvé d'accord. La formule actuelle est trop complexe et nous ne pouvons pas nous contenter d'un statu quo. La ministre du travail, Muriel Pénicaud, est tout aussi déterminée que moi. Il faut se remettre à l'ouvrage tous ensemble.
Enfin, l'épargne salariale, qui constitue aussi une forme d'association des salariés, va être totalement simplifiée. Elle deviendra beaucoup plus attractive et libératoire.
Je tenais à rappeler l'importance de ce chapitre du projet de loi. Je crois profondément à la nécessité de réinventer le capitalisme du XXIe siècle pour qu'il réduise les inégalités, qu'il associe et reconnaisse mieux les salariés et nous permette de lutter contre le réchauffement climatique.