Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 11 mars 2019 à 16h00
Agence nationale de la cohésion des territoires — Motion de renvoi en commission (proposition de loi ordinaire)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Dans la France de 2019, toutes les inégalités explosent : inégalités sociales, inégalités dans la qualité de l'habitat, inégalités dans l'accès aux services publics. Le mouvement des gilets jaunes est un écho fort de cette situation.

En Île-de-France, le budget de toutes les politiques sociales et environnementales est en net recul : depuis 2015, moins 5 % pour les transports, moins 36 % pour la santé et moins 27 % pour l'aménagement et le logement. Il y a donc bien état d'urgence en matière d'inégalités territoriales comme en matière environnementale.

Vous proposez aujourd'hui de créer une agence travaillant à la cohésion du territoire, territoire largement mis à mal par l'accroissement des inégalités dont je viens de parler, vous en conviendrez. Je suppose que la Seine-Saint-Denis, département dans lequel se trouve ma circonscription, sera directement concernée par le travail d'une telle agence. Je veux donc vous dire un mot de ce département et de la situation concrète que ses habitants subissent.

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, s'est récemment rendu en Seine-Saint-Denis pour présenter son plan dit « de reconquête républicaine », hérité de son prédécesseur. Il nous amène à dire que les quartiers ont besoin non pas d'un langage guerrier ou d'une posture guerrière mais avant tout du rétablissement de l'égalité républicaine. Ce devrait être la priorité concrète du Gouvernement.

Tous les jours, dans mon mandat de député de la première circonscription de Seine-Saint-Denis, je suis témoin des dégâts sociaux bien réels provoqués certes pas seulement par votre politique, puisqu'ils sont la conséquence de l'addition des actions de beaucoup de gouvernements. Je ne dis pas cela seulement parce que je suis député de l'opposition. Il y a peu, le rapport d'information de notre collègue Cornut-Gentille, membre du groupe Les Républicains, sur la Seine-Saint-Denis a bien démontré à quel point ce département est l'un des plus marqués par les multiples fractures sociales et environnementales, révélées de manière transpartisane par plusieurs élus, qui ont tous adressé le même constat et les mêmes revendications à M. le Premier ministre. Ainsi, Mme Sylvine Thomassin, de MM. Azzedine Taïbi, Mohamed Gnabaly et Laurent Russier, respectivement maires de Bondy, de Stains, de l'Île-Saint-Denis et de Saint-Denis, n'ont eu d'autres choix que d'assigner récemment l'État en justice pour rupture d'égalité, le département de la Seine-Saint-Denis étant sous-doté par rapport à d'autres territoires en fonction du nombre d'habitants, avec moins de professeurs, moins de magistrats, moins d'infrastructures, moins de policiers, en bref, moins de République.

Les départements réduits à ces situations de grande précarité sont malmenés par l'État. Je ne crois pas que ce soit à coups de communication, de boîtes à outils supplémentaires ou d'agences qu'on réglera ces questions. En réalité, ils sont besoin d'être soutenus par l'État et de bénéficier d'une politique d'aménagement du territoire tout entière tournée à la fois vers l'égalité et vers le rééquilibrage.

Pour ne prendre l'exemple que de ma circonscription, voici, sur les trois dernières semaines, quelques luttes, quelques mobilisations citoyennes, dont je voudrais ici me faire l'écho pour vous faire bien comprendre, madame la ministre, mes chers collègues, ce qui s'y passe.

À Saint-Ouen, ils s'appellent José et Hasni. Aux côtés de beaucoup de leurs collègues, ils luttent depuis plusieurs années pour sauvegarder leur lieu de travail, l'usine PSA, et leurs emplois. Nous savons pourtant que PSA a effectué un bénéfice net record de 1,48 milliard d'euros en 2018. Tout le monde loue la qualité de cette usine d'emboutissage et reconnaît combien elle répond à un besoin pour ce géant de l'automobile. Il s'agit de l'un des derniers sites industriels encore debout dans la ville de Saint-Ouen – comme c'est le cas dans beaucoup d'autres villes périphériques de Paris. Où PSA va-t-il délocaliser ? On ne sait pas, les informations sont opaques. Quoi qu'il en soit, PSA est le témoignage de la désindustrialisation, de la destruction lente mais certaine de sites qui généraient de l'emploi.

À Épinay-sur-Seine, des professeurs se sont mis en mouvement, avec des élèves et leurs parents, contre le projet de loi Blanquer pour une école de la confiance et contre toutes les politiques d'austérité qui aggravent les carences en moyens humains et en moyens matériels dans ces écoles déjà victimes d'une terrible inégalité.

Toujours à Épinay-sur-Seine : mobilisation contre la fermeture de l'accueil libre des usagers de la caisse primaire d'assurance maladie. Car désormais, toutes les demandes, même urgentes, ne peuvent être traitées qu'en rendez-vous et les usagers doivent consacrer toute leur journée pour se rendre au centre d'accueil de La Plaine Saint-Denis : quarante minutes de trajet à multiplier par deux, même pour une urgence !

À Saint-Ouen encore, on parle d'un nouvel hôpital, une mégastructure nommée « Hôpital Grand Nord » qui devrait être construit sur le site de PSA, provenant dit-on de la fusion entre deux hôpitaux, Bichat et Beaujon : au total, 400 lits en moins. Pourquoi préférer, à une structure de taille humaine, à un hôpital de proximité dont la Seine-Saint-Denis a besoin, un hôpital d'une telle dimension avec moins de lits ? Pourquoi ne pas impliquer les habitants de Saint-Ouen dans l'implantation du nouvel hôpital ? Il n'y a pratiquement aucune concertation mais des soi-disant experts qui n'ont aucune connaissance du terrain ni des volontés des habitants. C'est un peu comme l'agence qu'on nous propose, venue d'en haut, pour une cohésion des territoires superficielle.

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