Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 11 mars 2019 à 16h00
Agence nationale de la cohésion des territoires — Motion de renvoi en commission (proposition de loi ordinaire)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Pendant que l'usine PSA délocalise, votre projet de loi nous pond un beau sigle : un établissement public de l'État nommé « ANCT », pour Agence nationale de la cohésion des territoires. Son but affiché est d'accompagner les collectivités territoriales et « les acteurs locaux » dans leurs projets, ainsi que de fournir une offre « d'ingénierie » aux « porteurs de projets » et en apportant « un concours humain et financier aux collectivités territoriales et à leurs groupements ». Son but est donc de remplir des tâches élémentaires qui sont déjà accomplies, en remplaçant des opérateurs de l'État qui existent déjà. Pendant que des professeurs manifestent en faveur de conditions de travail dignes pour leurs élèves, comme je viens de le rappeler, vous concentrez tous vos efforts pour créer une nouvelle coquille administrative. Pendant que des lits ferment dans les hôpitaux, vous vous amusez à créer des poupées russes administratives.

Votre opération marketing est inutile, voire dangereuse, parce qu'elle affaiblit encore le triptyque communes-départements-État au profit d'un étrange triangle formé des territoires, des régions et l'Union européenne. Résultat : les décisions se concentreront encore davantage dans les mains d'élus au suffrage indirect, de plus en plus éloignés des citoyens.

Les conséquences pour les élus locaux, pour ceux qui sont au plus proche des préoccupations des citoyens, sont bien connues : les mairies et les conseils départementaux deviennent des bureaux des plaintes, aux poches percées et sans pouvoir. Vous rajoutez une couche de peinture administrative, voire technocratique – et c'est le risque – , pour faire oublier la réalité de votre politique vis-à-vis des opérateurs de l'État, que vous avez déjà mis à genoux. La réalité de votre politique, c'est en effet qu'une agence comme le CEREMA, qui doit être incluse dans l'ANCT, est appauvrie depuis des années : les effectifs sont coupés ; un site de la région lyonnaise menacé de fermeture. Les différents services que vous agglomérez dans ce texte sont en sous-investissement chronique depuis des années. Ils n'ont pas besoin d'un nouveau sigle ; ils ont besoin d'argent et de moyens ! Je fais miens les mots de M. de Nicolaÿ, rapporteur de la commission du développement durable du Sénat : « Le risque est bien établi de voir l'agence représenter "un arbre de plus dans la forêt" des établissements publics et opérateurs de l'État. » Voilà ce que vous nous proposez aujourd'hui : une nouvelle usine à gaz bureaucratique.

En effet, l'ANCT est un truc, un machin, un bidule, censé nous faire oublier que les services de l'État souffrent des politiques de rabot budgétaire.

L'ANCT est un truc, un machin, un bidule, censé cacher le fait que les personnels des opérateurs de l'État souffrent d'une gestion chaotique et austéritaire.

L'ANCT est un truc, un machin, un bidule, qui empêche de se demander pourquoi le pilotage national de nos politiques est en roue libre, pourquoi les financements sont à la dérive et pourquoi la transition écologique est menacée par un gouvernement qui navigue à vue, sans aucune visée planificatrice.

La seule chose que permet votre proposition de loi, c'est d'ajouter du flou et de la complexité.

Le texte annonce des « conventions pluriannuelles » à établir dans les trois mois après promulgation. Nous allons donc débattre alors qu'on ne sait même pas quelle sera la nature des relations de l'agence avec les établissements publics en ce qui concerne le financement et la collaboration. Vous nous proposez en réalité de débattre les yeux bandés.

Il y aurait pourtant mieux à faire qu'un coup de communication : réaffirmer, par exemple, notre attachement à la commune, au département et à l'État. Notre groupe ne veut pas d'une agence éloignée des citoyens et contrôlée d'une main de fer par un gouvernement sous contrôle de l'Union européenne, sans que jamais ne soient consultés les élus de terrain.

Certains opérateurs sont absolument essentiels pour garantir la transition écologique de notre société. Celle-ci nécessite un effort immense que seule une ingénierie publique peut remplir, mais c'est évidemment contraire au programme action publique 2022 que votre gouvernement propose et qui, lui aussi, appréhende l'action des opérateurs uniquement à travers des plans comptables de réductions d'effectifs. De plus, si l'intervention de l'agence auprès des collectivités locales est essentielle, alors il faut garantir la gratuité de son intervention. Ce n'est pas aux collectivités de payer les frais de la transition écologique. Pas plus que l'aménagement du territoire, ce n'est pas un produit à vendre.

Nous voulons que les différents opérateurs soient entendus. Leurs conseils d'administration doivent pouvoir valider les conventions pluriannuelles. Peut-être qu'en leur donnant la parole, vous vous rendrez compte du mal que vous faites à la fois aux personnels de ces opérateurs mais aussi à l'intérêt général.

Vous l'aurez compris, nous ne pensons que la question de la création d'une nouvelle agence, d'une nouvelle usine à gaz, soit la solution aux problèmes graves rencontrés par notre pays. Si les missions de l'agence sont d'intérêt général, ce doit être un établissement public, avec des personnels de droit public, le recours à l'emploi public doit être la norme, et ses différentes missions, comme l'aménagement du territoire, ne doivent pas être soumises à des préoccupations de rentabilité.

Voilà pourquoi le groupe La France insoumise vous propose de renvoyer en commission cette proposition de loi à laquelle il s'oppose en l'état, comme il s'oppose à tout enfumage et à tout camouflage de la politique inégalitaire et productiviste du Gouvernement, une politique qu'aucune agence n'arrivera à corriger.

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