Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation. Comme vous l'avez souligné, l'actualité européenne est particulièrement dense. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères vous a présenté, la semaine dernière, la situation politique, les dissensions qui peuvent menacer l'unité de l'Europe ainsi que les défis qu'elle doit surmonter, et sur lesquels nous sommes mobilisés à Bruxelles, sous l'autorité du Président de la République et du Gouvernement.
Vous m'avez demandé de présenter les dossiers qui apparaissent prioritaires dans nos travaux. Si vous le permettez, je vais commencer par quelques éléments sur le contexte, qui est marqué par trois grandes caractéristiques.
Tout d'abord, l'Union européenne se trouve dans une période législative particulièrement productive. Après avoir surmonté des crises très sérieuses ces dernières années, elle s'est engagée dans un effort important d'adaptation de ses politiques et de ses instruments. Nous voyons que les Européens prennent progressivement conscience des défis que le ministre vous a présentés. Ils réalisent que des évolutions sont nécessaires s'ils souhaitent protéger l'essentiel : leur sécurité, leur modèle et leurs valeurs, dans un moment qui est historique par la transformation des équilibres que l'on observe, et qui appelle une pensée plus stratégique. Ce sont, sujet par sujet, des « éléments de souveraineté européenne », comme l'a dit le Président de la République, qui se renforcent ou prennent forme. C'est aussi ce qui explique le très grand nombre de législations qui sont en cours de négociation – j'y reviendrai rapidement –, en bonne partie en réponse aux initiatives de la France, à un effort d'unité politique et, en même temps, à un travail qui s'engage pour la définition du programme des institutions européennes, lesquelles, vous le savez, seront renouvelées l'année prochaine.
À cela s'ajoutent les deux grandes négociations majeures que vous avez rappelées : la préparation de la sortie du Royaume-Uni, qui doit aboutir d'une manière ou d'une autre dans les prochains mois, et l'élaboration du budget européen pour la période 2021-2027, dont les enjeux sont complexes.
La deuxième caractéristique est le défi politique inédit auquel l'Union européenne est confrontée avec la montée en puissance, au coeur du continent et au-delà du Royaume-Uni, de mouvements qui contestent les principes essentiels de l'Union, comme l'État de droit – on le voit en Pologne, mais pas seulement –, et l'esprit même de la coopération européenne. Il y a donc une forme de paradoxe. Aujourd'hui, ce sont les fondations de l'Union européenne qui peuvent être affectées, avec une menace quotidienne pour la confiance entre les États membres et donc la capacité d'unité et d'action de l'Union européenne. Aujourd'hui la question des migrations et de l'asile cristallise ce défi.
La troisième caractéristique, comme vous l'avez dit, c'est que, dans cette période particulière, la France est amenée plus que jamais à jouer tout son rôle, avec sa capacité d'initiative, de direction politique et de rassemblement, alors qu'un certain nombre d'États membres connaissent des fragilités politiques.
Je reviens, si vous le permettez, sur l'agenda législatif. Aujourd'hui, à quelques mois des élections européennes, près de 280 textes sont sur la table, sans compter les mesures d'application. Cela constitue une gageure pour le Parlement européen et le Conseil. Ces textes continuent à refléter les priorités qui avaient été définies par la Commission, dont le plan « Juncker », qui était emblématique et se traduit par un succès. Ils découlent également des leçons tirées des crises. Et désormais des initiatives portées par la France, par le Président de la République, depuis le discours de la Sorbonne, qui nourrissent très largement cet agenda.
Plusieurs initiatives nous occupent ainsi plus spécifiquement.
En matière de défense, le Fonds européen en voie de constitution, combiné à la coopération structurée permanente, traduit une volonté d'autonomie stratégique pour l'industrie militaire européenne. Cette volonté demande à être vérifiée en permanence, mais le fonds, par ses innovations, peut changer la donne.
En ce qui concerne la sécurité intérieure, les Européens se sont progressivement dotés, sous l'impact des attentats terroristes, d'un corpus législatif extrêmement dense qui vise à assurer le contrôle les frontières extérieures de Schengen, à assurer la sécurité de l'espace intérieur et à priver les terroristes de toute capacité d'exploiter cet espace - je reviendrai sur le sujet des migrations. Ces initiatives se poursuivent : la Commission fera d'autres propositions à la rentrée, par dérogation au principe selon lequel elle compte désormais limites ses initiatives. Il s'agira notamment d'étendre les compétences du parquet européen à la lutte contre le terrorisme et d'obliger les plateformes au retrait des contenus appelant à la haine sur Internet.
Un troisième axe concerne l'Afrique et la Méditerranée. Nous sommes en train de renouveler profondément les instruments de coopération avec ces deux régions, tout en renégociant le partenariat avec les pays dits ACP – Afrique, Caraïbes et Pacifique. Le Conseil vient d'adopter un mandat pour la négociation, qui s'engagera dans les prochaines semaines.
Le quatrième axe porte sur la lutte contre les pratiques déloyales, les abus, les fraudes et les contournements. Cela vaut en matière sociale : comme vous le savez, nous avons adopté une directive révisée sur le détachement des travailleurs, et nous travaillons à la création d'une Autorité européenne du travail, qui sera chargée de faire respecter les règles. C'est également vrai dans le domaine fiscal, puisque le très grand chantier qui a été lancé à propos de l'évasion fiscale se poursuit. Vous savez aussi que la Commission a présenté une proposition de taxation des activités numériques, mesure emblématique qui constitue une priorité française. À cela s'ajoute la question de l'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, qui a fait l'objet à Meseberg d'une proposition détaillée de la France et de l'Allemagne. Cela vaut enfin en matière de commerce. L'Union européenne vient de renforcer ses instruments de défense commerciale et elle travaille sur un outil inédit pour elle : le filtrage des investissements étrangers, qui vise à vérifier leur caractère bienveillant et constitue une avancée importante.
Je ne reviens pas sur tout le travail réalisé à propos de la transition écologique, de la transition numérique, de l'innovation, notamment l'innovation de rupture et des universités européennes, sauf pour rappeler que des avancées sont réalisées sur tous ces sujets, qui forment un agenda positif, même si certains textes sont sensibles : il y a eu ainsi un vote difficile au Parlement européen sur le droit d'auteur dans l'espace numérique et, de manière différente, une négociation délicate sur les règles du transport routier. Nous y sommes vigilants.
Quelques mots, bien sûr, sur la zone euro. Nous avons connu une période de stagnation des initiatives : alors que beaucoup avait été fait en réponse aux crises – la crise des dettes souveraines, la crise bancaire et la crise grecque, jusqu'en 2015 –, il n'y a eu que peu d'évolutions depuis. Là aussi, la France a redonné une impulsion. C'est toujours plus difficile en l'absence de crise immédiate, mais chacun comprend bien que la zone euro a besoin d'un approfondissement. Notre pays a rallié l'Allemagne à ce projet, dans le cadre de la déclaration de Meseberg, le 19 juin dernier, puis l'ensemble des États membres de la zone euro, lors d'un sommet qui s'est tenu fin juin et qui a conduit à un programme de travail. Ce programme, qui se fonde sur la déclaration de Meseberg et qui a été complété dans le cadre de l'Eurogroupe, par une lettre de son président, vise à donner plus de stabilité, plus de convergence et plus de compétitivité à la zone euro, en travaillant sur 4 volets.
Tout d'abord à l'achèvement de l'Union bancaire, qui constitue un dispositif fondamental, nous avons transféré, il y a quelques années, la supervision du secteur bancaire au niveau européen, complétée par un mécanisme et un Fonds de résolution. Il sera appuyé par un filet de sécurité public, fourni par le Mécanisme européen de stabilité (MES). Par ailleurs, nous mettrons en place une nouvelle feuille de route pour la garantie des dépôts. La logique d'ensemble est de réduire les risques, par exemple par les exigences prudentielles ou la limitation des prêts non performants, et progressivement de les partager, afin d'assurer la stabilité du système bancaire et lui permettre de jouer tout son rôle dans le financement de l'économie.
Le deuxième volet est lié aux instruments de crise. Le Mécanisme européen de stabilité, qui est doté de 80 milliards d'euros, reste utile en cas de crise mais il mérite d'être adapté à la période qui s'ouvre en premier lieu en développant de nouveaux instruments à vocation plus préventive.
Le troisième volet concerne le reste des instruments financiers, que l'on appelle à Bruxelles l'Union des marchés des capitaux. Il s'agit de donner au système financier européen une régulation plus harmonisée, au-delà des banques, de décloisonner le financement des entreprises, d'attirer des investissements et de tirer les conséquences de la sortie du Royaume-Uni. La City, d'une manière ou d'une autre, ne sera plus le principal financeur des entreprises en Europe.
Il y a enfin, et c'est la percée politique la plus importante, le budget de la zone euro, qui vise à soutenir les investissements et à fournir un instrument de stabilisation au niveau macroéconomique. Ce budget sera alimenté par des recettes et fera l'objet d'une gouvernance spécifique. La France et l'Allemagne ont fait, là aussi, des propositions. Ce ne sera pas simple, mais les travaux des prochains mois, qui iront jusqu'à la fin de l'année, viseront à atteindre deux objectifs. Le premier est de convaincre tous les États membres de la zone euro. Il existe de fortes réticences au sein des 19 pays concernés, en particulier ceux du Nord, comme les Pays-Bas et la Finlande. Le second objectif est de rendre opérationnelles l'ensemble des pistes ouvertes à la fin du mois de juin. Nous y travaillerons de nouveau dans un cadre franco-allemand et au sein de l'Eurogroupe.
À cet agenda très dense s'ajoutent donc les deux négociations majeures que sont la sortie du Royaume-Uni et la négociation du budget européen pour la période après 2020.
En ce qui concerne le Royaume-Uni, la négociation se trouve désormais dans une phase critique puisqu'il doit quitter l'Union européenne dans huit mois. Pour assurer un retrait ordonné, nous devons trouver un accord d'ici à l'automne, c'est-à-dire dans quelques semaines : le Conseil européen devrait en discuter en octobre. Un tel accord, comme vous le savez, doit porter sur les modalités de la séparation et il doit s'accompagner d'une vision partagée de la relation future entre l'Union européenne et Royaume-Uni, laquelle doit faire l'objet d'une déclaration politique conjointe.
S'agissant du retrait, nous avions beaucoup avancé au mois de décembre dernier : il y avait un accord avec le Royaume-Uni sur les droits des citoyens installés de part et d'autre, sur les obligations financières du Royaume-Uni à l'égard de l'Europe et sur les principes concernant le règlement de la question frontalière en Irlande, ce qui est un enjeu extrêmement sensible et sans solution complète à ce jour. La garantie donnée était que l'Irlande du Nord pourrait rester dans l'union douanière, bénéficier d'un certain alignement réglementaire et donc éviter une frontière « dure », dont il est admis qu'elle pourrait remettre en cause les accords de paix en Irlande. C'est sur la base de ces avancées du mois de décembre que les Européens ont accepté, en mars, d'octroyer une période de transition, allant de mars 2019 à fin 2020, pour permettre une sortie sans choc. La difficulté est que, depuis cette période, les négociations avancent au ralenti. Jusqu'à présent, les Britanniques ont été incapables de présenter une vision des relations futures avec l'Union européenne qui soit, en tout cas sur le plan économique, compatible avec les principes fixés par les Vingt-Sept.
Ces principes sont intangibles car ils visent à préserver l'intégrité du marché intérieur et le fonctionnement même de l'Union européenne : il s'agit de l'indivisibilité des quatre libertés, du rôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), de l'équilibre entre les droits et les obligations, et de l'autonomie de décision de l'Europe.
Le Livre blanc qui a été adopté par le gouvernement britannique, il y a quelques jours, dans les difficultés politiques que l'on sait, ne respecte aucun de ces principes. Au fond, le Royaume-Uni ne parvient pas à trancher entre deux options fondamentales, qui n'avaient pas été anticipées au moment de la campagne référendaire : soit le pays reste dans le marché intérieur et l'Union douanière, en préservant les avantages qui y sont liés, mais en acceptant d'appliquer leurs règles de manière unilatérale, ce qui représente une perte de souveraineté au regard de sa participation actuelle à la décision – c'est le modèle norvégien –, soit le Royaume-Uni entend sortir du marché intérieur et de l'Union douanière avec la mise en place d'un un accord de libre-échange, des réorganisations économiques et le coût à en attendre pour l'économie britannique. Si l'on procède à une lecture attentive du Livre blanc, il apparaît que non seulement il ne respecte pas les principes des Vingt-Sept, mais aussi qu'il permettrait au Royaume-Uni de gagner un avantage économique en mettant en place une forme de dumping, au moyen d'une déréglementation des services, de biens en libre circulation et d'intrants venant de pays tiers à plus bas coût. Le Royaume-Uni bénéficierait d'une politique commerciale autonome et devrait appliquer un système, infaisable, de double contrôle douanier à sa frontière extérieure. Ce n'est pas une base acceptable, ce dont l'ensemble des Européens conviennent.
En l'absence de majorité claire au Royaume-Uni pour une option ou une autre, qui soit compatible avec nos principes, une incertitude est créée. Michel Barnier a proposé au Conseil « affaires générales » vendredi dernier de continuer à travailler, sans relâche, avec le Royaume-Uni pour essayer de voir s'il y a des marges de négociation, c'est-à-dire si les Britanniques peuvent évoluer vers l'une ou l'autre des options que j'ai évoquées, et pour les amener à respecter les principes européens. En l'absence d'une majorité claire à Londres sur un choix déterminé, il ne faut plus exclure l'hypothèse d'une sortie sans accord en mars. Ce n'est pas nécessairement une issue prédéterminée, mais elle est désormais plausible, soit que la question irlandaise ne trouve pas de solution, soit que nous n'arrivions pas à nous mettre d'accord, de manière claire, sur les relations futures.
Même si ce n'est bien sûr pas notre objectif ou notre préférence, il faudra alors se préparer à un scénario de rupture. C'est ce que le Conseil européen a demandé en juin. La France, comme les institutions européennes le font : la Commission vient de présenter une communication qui commence à répertorier les différents sujets. . Il faut voir avec tous les acteurs ce qu'il faut préparer, en particulier à la frontière. Que le Royaume-Uni sorte de l'Union de manière brutale ou avec une transition, il faudra réintroduire des contrôles frontaliers et donc préparer des infrastructures physiques et informatiques pour gérer la frontière extérieure de l'Union européenne. Il faudra trouver des solutions juridiques et vérifier que tous les acteurs ont minimisé autant que possible leur exposition, à un coût qui sera certes moins élevé pour les Européens, mais qui peut toucher certaines industries ou certaines régions.
J'en viens à la négociation sur le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027. Cette négociation, qui revient tous les sept ans, vise à arrêter l'ensemble des plafonds de dépenses, année après année, globalement et par catégories, ainsi que les recettes, qui sont largement constituées de contributions nationales à l'heure actuelle, et enfin à réviser, à cette occasion, toutes les politiques, tous les instruments et tous les programmes ayant une traduction budgétaire. Les principales dépenses restent consacrées à la politique agricole commune (PAC) et à la politique de cohésion.
L'équation est, cette fois, particulièrement complexe, car il faut tenir compte de deux nécessités. La première est la volonté de développer de nouveaux programmes et de nouvelles priorités en matière de défense, de sécurité, de frontières, de migration, d'innovation, de mobilité des jeunes, d'espace, de recherche, d'enseignement supérieur et d'action extérieure. Cette volonté se traduit par des moyens supplémentaires alors que le Royaume-Uni se retire et que disparaît, avec lui, sa contribution nette. Elle est importante puisqu'elle représente environ 12 milliards d'euros par an, sur un budget compris entre 150 et 160 milliards d'euros. Il en résulte donc un manque à gagner très significatif.
La Commission s'est engagée dans cet exercice au mois de mai, en proposant un cadre composé de 52 textes qui organisent le budget dans sa définition d'ensemble, ses dépenses sectorielles et ses ressources. La Commission a largement répondu à la commande s'agissant des nouvelles priorités ; elle a travaillé à rendre le budget plus lisible, plus simple et plus réactif - l faudra le vérifier dans le cadre des négociations -, mais l'effort de réforme est réel. ; la Commission a également prévu des innovations sur lesquelles les précédents Collèges avaient reculé : sur la zone euro, pour laquelle elle propose un instrument spécifique, sur la conditionnalité relative à l'État de droit, ce qui n'était pas un choix facile pour la Commission, sur les recettes, pour lesquelles elle propose de supprimer les rabais, à l'occasion de la disparition du « chèque » qui bénéficie au Royaume-Uni - ce qui est dans l'intérêt de la France -, et de mettre en place de nouvelles ressources propres. Les difficultés principales tiendront à la résolution d'une équation budgétaire qui est donc redoutable : compte tenu des différentes contraintes, la Commission propose à la fois de rehausser les contributions nationales – il y aura donc un coût supplémentaire pour chaque État membre, ce qui est le prix de la sortie du Royaume-Uni, ne serait-ce que pour maintenir les dépenses à vingt-sept – et de réaliser des économies sur la PAC et la politique de cohésion.
La France a salué l'entreprise de modernisation du budget, mais a considéré que les économies proposées sont excessives en ce qui concerne la PAC, puisqu'elles affecteraient les paiements directs, et donc les revenus des agriculteurs, d'une manière totalement injustifiée. Elle a réuni une vingtaine d'Etats sur cette ligne S'agissant de la politique de cohésion, l'évolution est plus naturelle, en raison de l'enrichissement d'un certain nombre de régions dans les pays de l'Est. Nous devons bien sûr être attentifs aux régions françaises, qui ont été dans l'ensemble correctement traitées : ainsi l'extension de la catégorie des régions en transition a permis de maintenir la plus grande partie des régions françaises dans cette catégorie.
Dans ces conditions, la négociation sera donc complexe. L'Autriche, à qui revient la présidence pour ce semestre, cherchera à faire avancer tous les textes sectoriels. Le Parlement européen voudra également procéder aussi rapidement que possible, mais les choix budgétaires viendront vraisemblablement plus tard – la plupart estiment que ces décisions seront prises après les élections européennes. L'échéance ultime sera fin 2019 ou début 2020.
Au-delà de ce travail de négociation législative et réglementaire, l'Europe doit faire face à un certain nombre de crises – j'en mentionnerai rapidement deux.
Il s'agit, sur le volet externe, des crises commerciales. Les Européens cherchent à répondre de la manière la plus ordonnée possible aux offensives de l'administration Trump. Celles-ci ne visent pas seulement l'Union européenne, mais elles la concernent aussi : le président Trump considère, en effet, que l'Union européenne constitue une adversité, parfois même qualifiée d'ennemie, qui agit au détriment des Etats-Unis, en particulier en matière commerciale, mais pas uniquement.
Les Américains ont engagé, il y a quelques mois, une série d'attaques qui visent tous leurs partenaires commerciaux dans le domaine de l'acier et de l'aluminium. Les Européens ont réagi en appliquant un principe de fermeté, car il s'agit de défendre leurs intérêts, un principe de proportionnalité, afin d'éviter l'escalade, un principe de légalité, parce que nous agissons dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), et un principe d'ouverture au dialogue dès lors qu'il ne s'agirait pas de négocier sous la menace.
Cette ouverture au dialogue n'a pas été saisie par l'administration Trump, qui a imposé de nouveaux tarifs sur l'acier et l'aluminium, ce qui a amené l'Union européenne à répliquer au moyen de mesures dites de « rééquilibrage » à hauteur de 3 Mds€ et de mesures visant à sauvegarder son marché intérieur contre la diversion des flux ainsi que pour l'ouverture d'un contentieux à l'OMC. Les tarifs sur l'acier et l'aluminium étaient à peine en place que l'administration Trump ouvrait une enquête sur l'automobile : les Américains examinent des mesures dans ce domaine, pour des montants qui seraient beaucoup plus importants, car les flux concernés s'élèvent jusqu'à 50 milliards d'euros par an.
L'administration Trump a par ailleurs multiplié les différends dans le cadre l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), ainsi qu'avec la Chine, le Japon et la Russie.
Le président Juncker se rendra demain à Washington, non pas pour négocier un accord complet, car il n'a pas de mandat pour le faire, même s'il pourra explorer des options pour des discussions ultérieures. Il expliquera que l'Union européenne n'est pas une menace pour la sécurité américaine – c'est, en effet, le motif invoqué pour ces taxes –, que les États-Unis seront finalement perdants, puisqu'ils subiront le coût des sanctions et celui des répliques aux sanctions, et qu'il y a d'autres moyens de traiter leurs préoccupations, lesquelles sont souvent légitimes. Nous verrons si M. Juncker parvient à convaincre M. Trump. Si ce n'est pas le cas, il faudra se préparer à des mesures concernant l'automobile, notamment à y répliquer – la Commission a déjà préparé un jeu de mesures à hauteur de 10 milliards d'euros dans un premier temps.
En parallèle, c'est le deuxième axe de la réponse européenne, nous nous efforçons de mettre en place un agenda prenant en compte les enjeux réels du commerce international. C'est la proposition de réforme de l'OMC que le Président de la République a faite : elle a été relayée par le Conseil européen et ce travail pourra désormais se développer.. Alors que les enjeux du commerce international sont surtout liés à la Chine – compte tenu des pratiques déloyales, des subventions aux entreprises, des transferts de technologie forcés à la protection et des questions liées à la propriété intellectuelle que vous connaissez –, il faut noter que les Chinois eux-mêmes, s'affichant en défenseurs du multilatéralisme, ont accepté de créer un groupe conjoint avec l'Union européenne, Une concertation existe aussi entre l'Union européenne, les États-Unis et le Japon. L'Union européenne, si elle est suffisamment active, peut se mettre au centre du jeu dans la perspective d'une réforme des règles multilatérales, si les États-Unis acceptent d'y contribuer.
Enfin, troisième axe, comme vous l'avez souligné, Madame la présidente, l'Union européenne cherche également à revoir sa politique commerciale. Elle développe des accords avec un certain nombre de partenaires dans le monde avec plus de fermeté, moins de naïveté et plus d'exigence en termes de réciprocité, de respect des normes et d'accès aux marchés des pays tiers. Par ailleurs, elle s'attache de plus en plus à la mise en oeuvre des accords – c'est une demande de la France. Il y a eu, avec le Parlement, un travail très important en ce qui concerne la mise en oeuvre de l'accord avec le Canada, et il faudra faire de même pour le Japon et les accords en cours de négociation.
La Commission revoit, en outre, ses méthodes : vous avez ainsi évoqué le renouvellement de l'architecture des accords. Certains d'entre eux ne seront plus mixtes et n'appelleront donc plus de ratifications nationales. Nous avons obtenu un certain nombre de garanties, en matière d'association et de transparence, et des conditions. Il a été convenu, de manière générale, une approche au cas par cas : le Conseil pourra décider s'il procède à une scission entre le volet communautaire, qui n'est donc pas mixte, comme aujourd'hui pour le Japon et demain pour l'Australie et la Nouvelle-Zélande ; ou bien si l'ensemble des dispositions restent conjuguées au sein d'un même texte, comme ce sera le cas pour le Mexique et le MERCOSUR. Vous avez eu raison de souligner qu'un travail d'anticipation devra être réalisé, dès le moment où l'on donne un mandat de négociation.
J'en viens à la question des migrations. C'est le sujet qui nous occupe le plus, à l'heure actuelle, et qui est le plus difficile et le plus tendu à Bruxelles. Le Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères vous a présenté la position de la France et les résultats du Conseil européen de juin dernier. Nous y travaillons tous les jours : des réunions du Comité des représentants permanents (COREPER) se déroulent deux fois par semaine sur ce sujet, afin de définir les moyens d'une mise en oeuvre rapide des résultats du Conseil européen du 28 juin et de préserver le consensus qui a été obtenu dans la difficulté, après 9 heures de négociation et avec un très fort engagement du Président de la République. Il n'était pas simple de parvenir à une approche consensuelle -en tout cas dans les textes où des divergences d'interprétation se sont rapidement exprimées-, coopérative et respectant nos valeurs, car un certain nombre de gouvernements recherchaient soit l'échec, soit d'autres solutions qui auraient été inacceptables pour nous. Nous travaillons à appliquer à la lettre ce qui est prévu et à définir les modalités de mise en oeuvre pour chaque sujet.
Le premier d'entre eux est la coopération avec les pays tiers. Dans ce domaine, nous avons progressivement acquis une certaine expérience avec les pays méditerranéens, les pays africains et la Turquie, en faisant appel à des moyens financiers, à différents instruments, tels que des centres, comme par exemple au Niger, et à des coopérations avec les pays d'origine, afin que les personnes puissent rester dans leur pays ou qu'elles y soient réadmises si elles sont arrivées de manière irrégulière en Europe. Il s'agit d'un travail permanent, car les routes se diversifient. Les flux ont fortement diminué en Méditerranée centrale, même s'il y a des bateaux qui passent et que chacun d'entre eux constitue une difficulté. Ils commencent à repartir un peu à la hausse en Méditerranée orientale, en provenance de la Turquie et, surtout, ils sont en train d'augmenter fortement en provenance du Maroc – nous constatons un doublement en un an. Nous avons besoin d'une approche plus structurée et plus permanente pour notre travail de coopération avec les pays de transit et d'origine, en ce qui concerne l'organisation de nos moyens et notre coordination. En même temps que nous essayons de traiter les urgences, nous travaillons donc à mettre en place un dispositif européen ordonné.
Le deuxième volet concerne les frontières extérieures. Nous avons créé un corps de garde-côtes et de gardes-frontières, dont la Commission proposera, début septembre, de renforcer le mandat et les ressources humaines. Elle a aussi proposé d'augmenter les moyens prévus pour le retour des personnes en situation irrégulière. Le sujet le plus difficile, et le plus politique, ce sont les débarquements. C'est ce thème qui a occupé les chefs d'État et de Gouvernement. Le nouveau Gouvernement italien ayant remis en cause les principes du droit de la mer en matière de sauvetage et de coordination des débarquements, il a fallu traiter ce sujet à chaud. La France a proposé de mettre en place des centres contrôlés, respectueux du droit de la mer en ce qui concerne les débarquements, mais permettant d'exercer une solidarité européenne en matière de moyens matériels et financiers, de traitement des retours des personnes qui ne peuvent pas rester et d'accueil de celles qui ont besoin d'une protection internationale, c'est-à-dire qui sont éligibles à l'asile. L'approche au cas par cas, qui est par nécessité pratiquer aujourd'hui, doit laisser la place à un dispositif prévisible.
La question est à la fois très complexe et très politique. La Commission a présenté une note qui essaie d'en définir les conditions juridiques et matérielles, ainsi que les obligations des uns et des autres. Nous y travaillerons cet été. En miroir, il y a une proposition, faite par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui consisterait à mettre en place des plateformes de débarquement dans des pays tiers, du Sud de la Méditerranée, lorsque des débarquements y ont lieu, afin qu'une solidarité européenne puisse s'exprimer là aussi. On voit bien, néanmoins, la sensibilité d'une telle approche dans les pays concernés.
Si nous n'avançons pas sur ce sujet, d'autres options pourraient réapparaître : certains États membres, comme l'Autriche et la Hongrie, ont proposé au Conseil européen de créer ce qu'ils appellent des centres de retour dans des pays tiers, qui ne sont ni de transit ni d'origine, afin de renvoyer des personnes en dehors de l'Union européenne,. Ce serait contraire au droit et à nos engagements politiques et moraux, mais les pays à l'origine de cette proposition n'y ont pas renoncé.
Le dernier sujet est la dimension interne. Après les crises de 2015 et de 2016, qui ont désorganisé les systèmes de Dublin et de Schengen, la Commission a proposé une réforme d'ensemble du régime d'asile européen commun (RAEC), qui permette d'harmoniser les normes, d'accélérer les procédures et de clarifier les responsabilités. Malgré des progrès, cette réforme est bloquée depuis un an sur les sujets les plus politiques, à savoir d'une part les relocalisations en cas d'afflux exceptionnel, que la Commission avait appelées des « quotas de réfugiés », et qui sont fortement refusées par les pays de l'Est en particulier, d'autre part la responsabilité des pays situés en première ligne qui, dès lors que l'on met en place un enregistrement obligatoire, devient plus lourde ; et enfin désormais la question des personnes sauvées et débarquées en Europe.