Vous avez raison, Madame la Présidente, mais cela renverse la charge de la preuve. Nous verrons quel sera l'avis de la Cour de justice. La Commission européenne défendra l'accord et le Conseil aussi puisque le texte a été signé par tous les États membres. Il y a des arguments dans les deux sens. La Cour de justice s'est déjà prononcée une fois dans un avis sur l'accord entre l'Union européenne et Singapour. Les juristes font l'analyse que les problèmes se posent différemment pour l'accord avec le Canada, mais la décision de la Cour est difficile à prévoir.
La frontière commerciale est un enjeu majeur. Un certain nombre de produits entrent dans le marché intérieur sans respecter les normes. Pour une part, il faut y voir une concurrence entre les points d'entrée et les ports, pour une autre part, des défauts de surveillance au sein du marché intérieur. On a vu récemment qu'au Royaume-Uni, un système de sous-évaluation des coûts des textiles venant de Chine existait, ce qui a causé à l'Union européenne un préjudice d'environ 3 milliards d'euros. Cela nous conduit à penser que le système douanier complexe qu'il a proposé pour l'avenir ne fonctionnera pas. La maîtrise et le contrôle du marché intérieur sont donc un enjeu très important. De manière générale, la question du marché intérieur fera l'objet d'un travail programmatique pour la prochaine Commission européenne et pour les institutions après 2019, soit pour l'approfondir et le renforcer, soit pour en revoir les règles. La France prépare des propositions sur la surveillance du marché intérieur et l'équité des règles au sein de ce marché.
S'agissant de la reconquête de l'opinion, l'Union européenne a des opportunités très importantes dans le domaine du commerce international. Elle n'aurait jamais pu conclure cet accord avec le Japon – qui est perçu comme un bon accord – si les États-Unis ne s'étaient pas retirés du Partenariat transpacifique. L'Union est aujourd'hui capable de négocier dans un rapport de forces favorable, mis à part avec la Chine et les États-Unis. Elle a donc une possibilité d'étendre ses normes. Avec le Japon, par exemple, que ce soit en matière d'indications géographiques ou de normes industrielles et automobiles, ce sont les normes européennes qui ont prévalu. Cependant, la politique commerciale européenne ne pourra se développer si les opinions publiques, les parlements et les États ne suivent pas ou s'ils ne sont pas d'accord avec la manière dont les accords sont négociés. Un travail doit être mené pour renforcer les exigences figurant dans les mandats de négociation, s'agissant aussi bien de l'architecture que de la mise en application de ces accords pour s'assurer que ces derniers répondent aux intérêts des Européens. L'Union européenne peut ainsi agir pour reconfigurer les échanges commerciaux internationaux et la mondialisation. Il s'agit d'un travail de longue haleine car on n'est pas passé loin de la rupture lors de la négociation de certains accords commerciaux.
En ce qui concerne l'Etat de droit, la difficulté est très sérieuse car elle porte sur le sens même de l'Union européenne dès lors que cette dernière tolérerait des atteintes aussi graves en son sein. Vous avez raison de dire que certains gouvernements sont passés d'une approche nationale de protection de leurs propres orientations à une affirmation européenne de ces choix. Ils sont désormais favorables à une Europe qui réponde à leurs objectifs, ce qui amène à des contradictions. C'est tout le débat sur l'immigration et l'asile : au Conseil européen de juin dernier, le Premier ministre hongrois, avec le Chancelier autrichien, entre autres, a plaidé en faveur d'une solution certes européenne mais contraire à nos valeurs. La proposition de renvoyer des migrants dans des camps ou centres situés en Albanie et en Égypte a bel et bien été formulée. Un risque existe, même dans les États membres qui ne sont pas dirigés par ce type de partis ou de mouvements. Les élections suédoises, qui sont les prochaines en date, pourraient malheureusement confirmer cette pression. Il nous faut donc être d'autant plus clairs dans nos choix et intransigeants dans les moyens de faire en sorte que ces évolutions ne soient pas tolérées dans l'Union européenne. C'est ce que nous faisons en nous appuyant sur l'article 7, qui est un instrument délicat du fait des règles de vote applicables mais qui permet d'exercer une pression permanente. La Commission européenne elle-même a plutôt courageusement saisi la Cour de justice – elle vient de le faire s'agissant de la Pologne et de la Hongrie. La France, avec d'autres, a proposé de conditionner l'obtention des fonds européens à des dispositions liées à l'Etat de droit, ce que la Commission a repris. Ces clarifications pourraient intervenir lors du débat préalable aux élections de 2019.
Nous sommes également très mobilisés sur la question de la pêche. Les enjeux sont connus, l'inquiétude des pêcheurs et de toute l'industrie de la pêche également. Dans la position des vingt-sept, nous avons fait figurer la pêche en tête des exigences de l'Union européenne. Cela veut dire que nous souhaitons conditionner, un accord de libre-échange, ou toute autre coopération, à un règlement satisfaisant de cette question. Nous l'avons demandé avec d'autres États concernés par la pêche pour que la chose soit bien comprise du côté britannique et que les négociateurs défendent cette exigence. Cela ne sera pas évident car le Royaume-Uni a la position contraire. Lors de la campagne pour le référendum de 2016, la question de la reprise du contrôle sur les eaux britanniques par les pêcheurs britanniques était très importante. Les pêcheurs sont ainsi très mobilisés aussi de l'autre côté de la Manche, ce qui a amené la Première ministre britannique à dire qu'elle ne renoncerait jamais à recouvrer le contrôle de ses eaux en faveur des pêcheurs britanniques. Un rapport de force devra donc être exercé mais dans la position européenne, cette condition est bien mise en tête des priorités