Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 19 septembre 2018 à 16h45
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères :

Je suis ravi de vous retrouver. Lors de ma précédente audition, qui a eu lieu au mois de juillet, nous avons surtout évoqué les questions européennes : je les traiterai donc de manière un peu plus synthétique aujourd'hui. J'aborderai surtout la recherche de solutions durables aux crises complexes qui font rage aux portes de notre continent, et je dirai aussi quelques mots sur l'état du multilatéralisme, alors que la semaine de haut niveau de l'Assemblée générale des Nations unies commencera la semaine prochaine à New York, où j'aurai le plaisir d'accompagner le Président de la République. Tous ces sujets sont évidemment liés, car nous devons agir dans le sens de l'intérêt national mais aussi pour le bien commun qui est celui de l'ensemble de la communauté internationale.

Lors de chaque crise, nous nous efforçons d'exercer les responsabilités qui nous reviennent en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et parce que nous sommes la France – nous portons un certain nombre de valeurs –, tout en défendant nos propres intérêts. En toutes circonstances, nous cherchons à inscrire nos actions, militaires ou diplomatiques, dans une stratégie d'ensemble qui vise à aboutir à des solutions politiques inclusives et concertées. Nous réalisons, en parallèle, des efforts substantiels en matière de développement : il y aura d'autres occasions d'en parler, notamment lors des discussions budgétaires, mais je voudrais rappeler dès à présent que le Président de la République a décidé de porter notre aide publique au développement à 0,55 % de notre richesse nationale, cet engagement devant commencer à prendre effet dès l'année 2019.

En ce qui concerne la Syrie, j'ai déjà eu l'occasion d'indiquer devant vous que nous sommes dans une phase de mutation du conflit. Des progrès considérables ont été enregistrés dans la lutte contre DAECH : seuls quelques îlots, dans la partie Nord-Est du pays, à la frontière irakienne (le ministre s'appuie sur la projection d'une carte), n'ont pas été complètement repris, mais cela devrait arriver assez rapidement – c'est une question de semaines. Néanmoins, DAECH n'est pas éliminé en Syrie, et il en est de même en Irak. Ce mouvement est battu sur le plan territorial, mais il conserve des capacités de résurgence et de lutte clandestine, qui se manifestent régulièrement par la commission d'attentats, en particulier en Irak. J'ai évoqué cette question hier devant le groupe d'études sur les chrétiens d'Orient : ce sont généralement les minorités qui sont visées par les attentats de DAECH.

En Syrie, la bataille contre ce groupe est en train de se terminer, je l'ai dit, mais nous sommes passés à une situation nouvelle : en l'absence de solution politique, une mutation du conflit a lieu. Cinq pays sont désormais présents dans la zone, avec leurs propres armées, qui se regardent et se frottent parfois les unes aux autres, ce qui rend la situation extrêmement explosive et dangereuse. Les dernières semaines ont été marquées par des préparatifs du régime et de ses alliés en vue d'une action d'ampleur contre Idlib, qui est situé au Nord-Ouest de la Syrie. Cette zone compte 3 millions de civils, dont la moitié est constituée de personnes déplacées qui dépendent exclusivement de l'aide internationale. Il y a aussi un nombre significatif de combattants terroristes, qui serait compris entre 10 000 et 15 000 personnes, de toutes origines : certains sont liés à al-Qaida et d'autres à l'ex-Jabat al-Nosra, aujourd'hui renommé HTC – Hayat Tahrir al-Cham. À côté de ces groupes terroristes, dont l'histoire, les pratiques et l'orientation varient, on trouve également des groupes d'opposition au régime. J'ajoute qu'il y a des Français dans cet ensemble : ils sont quelques dizaines tout au plus mais, au-delà, on imagine aisément le risque que représenterait pour l'Europe la dispersion des 10 000 ou 15 000 terroristes dont nous parlons.

Il y a eu un début d'offensive du régime et de ses alliés, russe et iranien, dans des conditions qui rappellent celles d'Alep et de la Ghouta, puisque des bombardements ont touché des civils et des hôpitaux. De telles actions, comme j'ai eu l'occasion de le dire la semaine dernière, sont susceptibles de constituer des crimes de guerre. Les opérations qui ont commencé sur le terrain, jusqu'à hier, se sont accompagnées d'une intense propagande russe visant à jeter le doute sur la responsabilité du régime dans le cas où des armes chimiques seraient employées à Idlib. Cette préparation psychologique a été réalisée depuis une dizaine de jours par différents outils médiatiques dont dispose la Russie : il s'agissait d'accréditer l'idée que des groupes terroristes étaient sur le point de se doter d'armes chimiques. C'est une manipulation par rapport à ce qui pourrait se produire : vous savez que nous avons une position très claire en ce qui concerne l'usage des armes chimiques – c'est une ligne rouge à ne pas franchir. Voilà quelle était la situation jusqu'à il y a deux jours. La volonté manifeste de Bachar el-Assad est d'obtenir un succès militaire, quoi qu'il arrive, et d'aller jusqu'au bout, même si cela prend du temps.

Il apparaît que la réunion organisée il y a dix jours à Téhéran entre les présidents Rohani, Poutine et Erdogan n'a pas permis d'aboutir à un accord au sujet d'Idlib. On comprend très bien quelles ont été les raisons du côté de la Turquie : ce pays a une présence dans la zone et serait confronté à une migration très forte en cas d'attaque contre Idlib, qui se trouve quasiment à sa frontière. Il y a donc eu une tension extrêmement forte et les Turcs se sont sentis très isolés pendant un certain temps. L'accord qui a été finalement conclu lundi soir entre MM. Erdogan et Poutine est positif, puisqu'il permet d'éviter que les combats se poursuivent à l'heure actuelle et qu'un désastre s'engage. La mise en oeuvre de l'accord, qui n'est peut-être pas dépourvu de lien avec l'Assemblée générale des Nations unies, fait l'objet de nombreuses discussions. Je me suis ainsi entretenu très longuement hier soir avec mon collègue turc.

Très concrètement, il a été convenu entre les deux chefs d'État qu'une zone d'une quinzaine de kilomètres de largeur, allant jusqu'à une autre zone qui est tenue par les Turcs, serait complètement démilitarisée d'ici au 10 octobre. Cela signifie le retrait des armes lourdes et, sinon l'élimination des groupes réputés terroristes, en particulier HTC, du moins leur transfert vers l'intérieur de la zone d'Idlib, qui devra rester une zone de désescalade. Vous savez qu'elle l'a déjà été, avec d'autres zones en Syrie. L'accord prévoit aussi la réouverture progressive de deux routes majeures, la M4 et la M5. La surveillance de la zone doit être assurée par des patrouilles coordonnées russes et turques, et les Russes s'engagent à ce qu'il n'y ait pas d'offensive majeure.

Tout cela paraît très bien, ne serait-ce que pour éviter un drame de grande ampleur, mais il reste à mon avis quelques difficultés, que j'ai évoquées avec mon homologue turc. D'une part, la Turquie est un peu prise en étau, car il lui revient de démontrer qu'elle est capable de faire en sorte que la zone visée soit effectivement démilitarisée. Une deuxième question est de savoir si Bachar el-Assad est d'accord. On m'a répondu que les Russes vont le convaincre, et il faut le souhaiter. Autre sujet, que se passera-t-il ensuite à Idlib ? Restera-t-on dans le cadre d'une zone de désescalade, ce qui voudrait dire que l'on s'oriente vers une espèce d'abcès de fixation dans la durée ?

Les Turcs nous ont demandé de les aider à obtenir une validation de l'accord par le Conseil de sécurité, ce qui permettra peut-être de convaincre d'autres acteurs, et les Russes ont fait la même démarche auprès de nous. À nos yeux, l'élément central sera l'articulation entre une future résolution du Conseil de sécurité sur ce sujet et le processus politique, afin de permettre à la Syrie d'avoir une feuille de route politique et non pas uniquement militaire, comme c'est le cas aujourd'hui. Les Turcs sont apparemment d'accord pour intégrer cette dimension. Pour la première fois depuis très longtemps, nous sommes dans une spirale très positive, malgré les interrogations dont je vous ai fait part. Nous aurons l'occasion d'en reparler la semaine prochaine à New York, puisqu'une partie des acteurs seront présents, en particulier les ministres des affaires étrangères concernés.

Cette affaire montre plusieurs choses. D'abord, il faut continuer à avoir des liens avec la Turquie. Nous avons des différends majeurs avec le Gouvernement de M. Erdogan sur un certain nombre de points, mais il faut parler avec les Turcs, qui ont été très isolés et se trouvent très en danger. Il faut aussi préparer avec la Turquie et la Russie la base de ce qui pourrait constituer un texte politique au Conseil de sécurité. Autre enseignement, il est essentiel de parler fort sur ce sujet : c'est sans doute parce que nous l'avons fait, avec d'autres, en appelant l'attention sur ce qui pouvait se produire, comme l'a également fait la société civile, que tout le monde a regardé ce qui se passait à Idlib et que l'on a abouti à une solution qui permet au moins d'éviter le pire pendant un certain temps. J'espère qu'après avoir fait monter la pression nous pourrons arriver à un processus politique. Je n'en ai pas la certitude, mais il y a aujourd'hui une étape positive qu'il faut souligner.

Un incident s'est également produit lundi dernier, sans qu'il y ait de lien avec les discussions que je viens de mentionner : un avion de patrouille maritime russe a été abattu par la défense antiaérienne syrienne, à la suite d'une action menée par l'aviation de chasse israélienne contre le Hezbollah en Syrie. Cette action n'était pas la première du genre, puisque Israël en a mené deux cents, depuis quelques semaines, contre des cibles spécifiques – le Hezbollah, surtout, et des dépôts d'armes. Les médias russes ont fait croire, un moment, qu'une frégate française était à l'origine de cette affaire, ce qui était quand même un peu gros… Quand il y a tant d'acteurs, tant d'armes et tant de tensions dans un territoire donné, des événements de ce type se produisent inévitablement. On voit bien à quel point toute cette zone est inflammable, et il donc faut saluer la nouvelle donne que je viens de présenter. Il reste à espérer qu'elle sera durable, malgré les interrogations que l'on peut avoir et les risques de provocations.

Le Président de la République a fixé quatre priorités en ce qui concerne la Syrie : continuer à lutter contre le terrorisme – vous savez qu'il y a des combattants issus de DAECH dans la zone d'Idlib, dont beaucoup viennent d'Asie centrale, notamment des Tchétchènes et des Ouïghours, mais on trouve aussi des Tunisiens ; assurer la protection des populations civiles, en particulier sur le plan humanitaire ; maintenir notre position très ferme sur l'usage des armes chimiques ; rechercher, par tous les moyens, une solution politique. Les paramètres en sont connus : il s'agirait de s'entendre sur une Constitution et d'organiser des élections, avec la participation de tous les Syriens, y compris les déplacés et les réfugiés, dans un environnement impartial permettant de s'assurer que le régime ne préempte pas les résultats du processus. On sait quelle est la voie de sortie, et le moment particulier que nous sommes en train de vivre permettra peut-être de trouver une ouverture pour l'atteindre. Il y aura en tout cas des réunions importantes lors de l'Assemblée générale des Nations unies. Vous savez qu'il existe deux cadres de travail sur le processus politique : le groupe d'Astana, qui comprenait la Russie, l'Iran et la Turquie avant de se disloquer, et celui que l'on appelle le Small Group, que nous coprésidons avec les États-Unis et qui inclut la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Égypte, la Jordanie et l'Arabie Saoudite. Après la rencontre qui a eu lieu entre le président Poutine et le président Macron à Saint-Pétersbourg, les acteurs de ces deux groupes essaient d'avancer ensemble dans la définition d'un processus politique qui pourrait ensuite être reprise par les Nations unies – mais nous n'en sommes pas encore là.

En Irak, des élections législatives se sont tenues en mai. Les bulletins ont été recomptés, dans la mesure où il y a eu des suspicions de fraude, et aucune majorité ne se dessine pour l'instant : des tractations sont en cours pour former une coalition. La liste soutenue par Moqtada al-Sadr, qui est un religieux chiite allié à des partis de gauche, est arrivée nettement en tête. La liste emmenée par Hadi al-Hameri, un chiite proche des milices et de l'Iran, est arrivée en deuxième position, devant celle du Premier ministre sortant, Haïdar al-Abadi. Tous ne souhaitent pas briguer le poste de Premier ministre : M. al-Sadr a fait savoir d'emblée qu'il souhaitait rester en retrait, et M. al-Hameri a indiqué hier qu'il n'était pas candidat non plus. Nous souhaitons simplement qu'une solution soit trouvée rapidement, car le pays est sans gouvernement depuis plusieurs mois, alors qu'un mouvement de contestation sociale se déroule au Sud, dans la région de Bassorah.

Cette région a été préservée de DAECH, mais elle a assumé une part importante de l'effort de guerre, ce qui explique les revendications qui se font jour et qui s'expliquent par la situation économique et la corruption endémique.

La contestation a pris ces dernières semaines un tour particulièrement violent, ce qui nous conforte dans l'idée que l'Irak doit se doter d'un gouvernement qui soit un gouvernement inclusif et intègre l'ensemble des minorités sans discrimination, car les populations sunnites, si elles étaient exclues du processus politique, pourraient être tentées de refaire confiance à DAECH.

La situation en Irak sera déterminante pour la stabilité de la région, et nous ferons tout pour que le redressement et la reconstruction de l'Irak soient menés à leur terme ; nous resterons à ses côtés dans la paix, comme nous l'avons été dans la guerre.

Dans cette optique, nous avons participé en février dernier à la conférence internationale du Koweït sur la reconstruction de l'Irak, car rien ne serait pire que de laisser aujourd'hui l'Irak livré à lui-même, compte tenu notamment de la situation dans le nord du pays où se sont déroulés les combats – je pense en particulier à Mossoul, où nous avons décidé de mobiliser des moyens pour contribuer à la rénovation de l'université.

Pour l'heure la situation reste globalement toujours incertaine, DAECH, bien que désormais dans la clandestinité, représentant encore une menace pour la stabilité. Pour conforter cette dernière et assurer le futur de l'Irak, la France, qui, contrairement aux États-Unis n'est pas comptable des conflits antérieurs, a une carte à jouer et peut capitaliser sur le respect dont elle jouit dans le pays.

Sur le sujet de la reconstruction, il faut également dire un mot de la Syrie et de la question politique cruciale qui s'y pose concernant les acteurs sous l'égide desquels elle se fera. La position française consiste à affirmer que le processus de reconstruction et le retour des réfugiés ne doivent pas être engagés tant qu'une ligne et une solution politiques claires n'auront pas été dessinées. C'est à cette condition que l'Union européenne s'impliquera dans la reconstruction du pays, y mettant les moyens financiers nécessaires.

Ceci m'amène au Liban. De même que l'Irak, le Liban attend toujours son gouvernement après les récentes élections. Nous souhaitons vivement que les acteurs politiques libanais puissent se mettent d'accord sur la composition d'un gouvernement inclusif, sachant que nous avions, avant les élections, pris l'initiative de trois conférences en soutien au pays. La plus importante d'entre elles, la conférence CEDRE, a permis de lever 11 milliards d'euros de promesses de contributions pour la revitalisation économique du Liban, sous réserve, d'une part, de la formation d'un gouvernement et, d'autre part, que celui-ci engage les réformes économiques indispensables au redressement du pays, qui subit, outre ses propres difficultés, le poids du nombre de réfugiés syriens – un million et demi – installés sur son territoire.

J'ajoute que, pour aider le Liban à prendre ses responsabilités, s'est également tenue à Rome une conférence à laquelle la France était partie, organisée en soutien aux forces de sécurité intérieure, c'est-à-dire destinée à donner aux forces armées libanaises (FAL) les moyens financiers pour se reconstituer et assurer la sécurité du pays. Enfin, la conférence de Bruxelles. II a également permis de mobiliser des financements en faveur des réfugiés.

Le Liban a donc à sa disposition tous les moyens pour se reconstruire. Nous souhaitons que cela se fasse le plus rapidement possible, sachant que le pays, en parvenant à se tenir, comme il l'a fait, éloigné du conflit syrien, peut prétendre être un acteur de stabilité dans la région.

Il est prévu que le Président de la République se rende au Liban au début de l'année prochaine, mais il ne pourra le faire que s'il y a un gouvernement constitué, ce que nous appelons de nos voeux.

Deux mots également sur la Libye. Un processus de paix a été initié lors de la rencontre de La Celle-Saint-Cloud, en juillet 2017 et lors de la réunion internationale qui s'est tenue à l'Élysée le 29 mai dernier. Ce processus prévoit une phase de préparation électorale et une phase électorale avant la fin de l'année.

Il a été cependant largement perturbé ces jours derniers par des affrontements entre milices, qui se sont traduits par de violents conflits à Tripoli, lesquels ont fait une cinquantaine de morts.

Ce type d'événements menace la crédibilité même du gouvernement de M. el-Sarraj, même si le représentant du secrétaire général des Nations unies, M. Salamé, s'est montré très efficace et a permis un retour au calme par la voie diplomatique. La situation reste néanmoins fragile, d'autant plus fragile que DAECH, dont on avait un peu oublié la présence en Libye, s'est de nouveau manifesté en perpétrant un attentat contre le siège de la Compagnie nationale de pétrole. Cela étant, les Libyens sont las de ces milices et de leurs prévarications, à telle enseigne que nombre d'entre eux se sont inscrits sur les listes électorales pour participer aux élections prévues d'ici la fin de l'année et devant permettre la mise en place d'un gouvernement stable et reconnu à la fois par les Libyens et par la communauté internationale.

Je me suis pour ma part rendu en Libye à trois reprises, la dernière fois à la fin du mois de juillet. Ayant rencontré l'ensemble des acteurs, je puis dire qu'ils ont beau tous prétendre être d'accord avec les orientations validées à Paris, ils s'emploient surtout à dire du mal les uns des autres – ce qui se conçoit –, sans faire grand-chose pour mettre en oeuvre les accords de Paris.

Il importe donc de ne pas relâcher la pression. Une réunion spécialement consacrée à la Libye, à laquelle participera le président el-Sarraj, doit se tenir à l'Assemblée générale des Nations unies, et nous mobilisons tous nos moyens politiques et diplomatiques pour faire en sorte que le processus de paix aboutisse. Les difficultés sont nombreuses mais j'espère que nous réussirons, car il n'y pas pour l'instant d'autres solutions sur la table, malgré les déclarations de nos amis italiens, qui, pour l'instant, ne se sont pas traduites dans les faits.

La prochaine étape est que le parlement de Tobrouk valide une loi électorale qui permette la tenue, d'ici la fin de l'année, d'élections qui devront être contrôlées et validées par les acteurs impliqués, notamment l'Union africaine, avec qui nous travaillons en totale synergie. Pour l'instant, le parlement a du mal à s'entendre, ce qui est compréhensible. L'élaboration d'une loi électorale étant déjà une tâche difficile en démocratie, c'est encore plus compliqué pour un pays qui n'a jamais connu la démocratie, ni sous la domination ottomane ou italienne, ni sous le roi Idris, ni sous Kadhafi.

Quoi qu'il en soit, l'avènement en Libye d'un gouvernement légitime et reconnu comme tel est un préalable à la stabilisation d'une zone qui est un enjeu majeur de la paix en Méditerranée.

J'en viens à l'Iran, puis au Sahel.

Sur l'Iran, va se tenir à New York une réunion majeure du Conseil de sécurité en présence des chefs d'État, y compris du président Trump.

Comme je l'ai déjà dit devant votre commission, notre position diverge de celle des États-Unis. Nous considérons toujours valide l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPoA) et ce d'autant plus que, le 31 août dernier, l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) a, dans son douzième rapport, constaté que l'Iran respectait les engagements du traité, c'est-à-dire la limitation de l'usage du nucléaire à des fins civiles et non militaires. Nous appelons fermement Téhéran à poursuivre dans cette voie et à continuer de respecter l'ensemble de ses obligations.

Les signataires de l'accord – l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine – se réuniront de nouveau à New York pour envisager les moyens de permettre à l'Iran de toucher les bénéfices économiques de son respect de l'accord. Je pense évidemment en premier lieu au produit financier de ses ventes d'hydrocarbures, compromises par la décision des États-Unis de faire jouer l'extraterritorialité de sa législation. Nous travaillons avec l'Allemagne et le Royaume-Uni à mettre en place des canaux financiers en euros, indépendants du dollar, rendant possibles ces échanges commerciaux et permettant à l'Iran d'acquérir des biens essentiels pour l'activité du pays. Cela ne pourra se faire qu'en accord avec les Chinois et les Russes.

Nous estimons que les États-Unis font une erreur d'appréciation en étant convaincus qu'à force de pressions et de sanctions, Téhéran finira par modifier son comportement. Ce n'est pas notre avis, ce qui ne nous empêche pas, au-delà de la question du nucléaire militaire, d'avoir d'autres griefs contre l'Iran, au sujet notamment de son rôle dans les conflits régionaux, et en particulier en Syrie. Nous n'acceptons pas qu'elle livre des missiles aux Houthis ou au Hezbollah, et tous ces points doivent faire l'objet de discussions mais cela ne doit pas remettre en cause l'accord sur le nucléaire, lequel est un élément essentiel de la non-prolifération. C'est en tout cas notre position et celles des autres Européens.

En ce qui concerne le Sahel, au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keïta, « IBK », sera réinvesti dans ses fonctions samedi prochain, et je dois assister à la cérémonie. Il a souhaité reconduire dans ses fonctions l'ancien Premier ministre, M. Maïga, et la situation semble mûre à présent pour que les autorités maliennes mettent en oeuvre l'accord d'Alger et le processus « démobilisation, désarmement, réinsertion » (DDR) ainsi que les mesures de décentralisation et de revalorisation du nord et du centre du pays.

La reconduction de M. Maïga est à cet égard une bonne chose, car il porte cette ambition. En parallèle, il est indispensable de renforcer la force conjointe du G5 Sahel, ainsi que cela a été évoqué lors d'une réunion qui s'est tenue à Nouakchott au mois de juillet, au moment du sommet de l'Union africaine, le but du G5 Sahel étant, je le rappelle, de faire en sorte que, progressivement, les États et les armées du G5 prennent en charge eux-mêmes leur propre sécurité.

Bien qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, le processus progresse : d'importants fonds ont été mobilisés, un état-major a été constitué et des opérations menées contre les groupes terroristes. L'alliance Sahel enfin a été créée pour soutenir le développement de la région. Ce dispositif de soutien imaginé par la France, d'autres pays de l'Union européenne et la Banque mondiale doit permettre au G5 de mobiliser 7,5 milliards d'euros voués à financer les initiatives prises dans les zones « libérées » de l'influence des groupes terroristes, pour relancer l'activité économique et l'accompagnement des populations.

Les acteurs sont très mobilisés sur ce point, et un nouveau forum aura lieu au début du mois de décembre en Mauritanie pour engager l'Alliance Sahel dans une phase opérationnelle, dédiée à la mise en oeuvre de projets concrets soutenus et contrôlés par chacun des États, sachant que c'est actuellement au Burkina Faso, où s'est produit l'attentat de Ouagadougou, que se concentrent les plus grosses difficultés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.