La situation au Yémen est épouvantable, en particulier au plan humanitaire. Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faut examiner l'ensemble des paramètres.
Je rappelle qu'il s'agit au départ d'un coup d'État mené en 2015 par les Houthis contre le président du Yémen, le président Hadi, qu'ils renversent après s'être emparés de Sanaa. Je rappelle également que, financés et aidés militairement par l'Iran, les Houthis ont procédé à des tirs de missiles sur l'Arabie Saoudite.
Bien que la résolution 2216 sur la situation au Yémen adoptée par Conseil de sécurité des Nations unies ne lui ait donné aucun mandat, une coalition arabe se constitue à la demande du président légitime pour le rétablir dans ses fonctions. Tels sont les faits. Depuis la violence s'est perpétuée, provoquant une véritable catastrophe humanitaire, et ce d'autant plus qu'elle est alimentée par Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et DAECH, dont les combattants ont rejoint les forces en présence, passant des alliances tactiques avec les uns ou les autres.
Il est clair qu'on ne peut espérer d'issue militaire au conflit qui déchire le Yémen et qu'il faut donc trouver une solution politique, soutenue par les acteurs de la région. C'est en tout cas ce que nous disons aux Saoudiens, aux Émiriens et, indirectement, aux Iraniens, afin que le nouvel envoyé spécial pour le Yémen des Nations unies, M. Martin Griffiths, parvienne à amorcer un processus politique. Une tentative a eu lieu à Genève, il y a une dizaine de jours, mais les Houthis ne s'étant pas déplacés, elle s'est soldée par un échec. Il faut poursuivre dans cette voie si l'on ne veut pas que le conflit s'éternise, sachant que, si des divergences d'appréciation sont aujourd'hui perceptibles entre les Émirats et l'Arabie Saoudite, cela ne suffira pas.
La France soutient M. Griffiths sur l'ensemble des mesures qu'il a proposées aux différents acteurs, comme le contrôle par les Nations unies du port de Hodeida. Notre ambassadeur se rend en parallèle régulièrement à Sanaa où il a des contacts avec les uns et les autres, et notamment les Houthis, tâchant de les convaincre d'accepter une solution politique sous l'égide de l'ONU.
Je vais à présent aborder le second point de mon intervention, la question du multilatéralisme, qu'il est d'autant plus crucial d'évoquer que nous sommes à la veille de l'assemblée générale des Nations unies.
La coopération internationale est aujourd'hui en crise, et la France se bat, avec d'autres, pour la défense d'un multilatéralisme efficace. C'est une nécessité pour deux raisons, et d'abord parce que on ne peut régler les crises hors d'un cadre multilatéral et sans l'action des Nations unies, même si celles-ci doivent se réformer. Il est essentiel de préserver la dynamique et la capacité d'action de l'institution ; c'est le sens du message que délivrera le Président de la République dans son discours, la semaine prochaine.
Le multilatéralisme est ensuite une nécessité, car il est la seule solution pour répondre aux défis globaux face auxquels les solutions nationales sont vouées à l'échec : sans multilatéralisme, pas de lutte contre la catastrophe climatique qui s'annonce, pas de régulation de l'espace numérique, pas de gestion des flux migratoires, pas de régulation du commerce mondial.
Nous sommes donc des militants du multilatéralisme. Or force est de constater que, depuis l'arrivée au pouvoir du président Trump, les États-Unis se sont employés méthodiquement et systématiquement à déconstruire toutes les formes de multilatéralisme. Sans me livrer à un inventaire exhaustif, je citerai simplement la sortie de l'accord sur le climat, la sortie de l'accord de Vienne, la fin de l'aide à l'UNRWA – l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient –, la dénonciation des accords commerciaux…
Les États-Unis considèrent que le monde s'organise autour d'une série de rapports de force bilatéraux, au point de faire parfois de leurs alliés des adversaires privilégiés – je pense en particulier à la politique commerciale de la nouvelle administration et, j'irai même plus loin, à son attitude vis-à-vis de l'Alliance atlantique. Certains peuvent s'en réjouir, d'autres s'en inquiéter, mais la réalité, c'est que, si le sommet de l'OTAN de Bruxelles, au mois de juillet, s'est en apparence déroulé convenablement, il n'empêche que le président Trump s'est ouvertement interrogé sur la pérennité de l'article 5 du traité, qui énonce le principe de la défense collective au sein de l'Alliance, s'en prenant notamment au Monténégro, après sa récente adhésion.
Ces incertitudes sur la place et l'engagement des États-Unis dans l'OTAN nous conduisent à nous interroger à plus long terme sur notre souveraineté stratégique et notre capacité à nous défendre nous-mêmes.
Face aux menaces qui pèsent sur le multilatéralisme, la France se doit donc d'être aux avant-postes du combat pour sa modernisation.
D'autres partenaires le défendent de manière ambiguë. La Chine, par exemple, où je viens d'effectuer mon quatrième voyage en tant que ministre des affaires étrangères connaît une dynamique formidable et nous devons travailler avec elle. Si elle défend le multilatéralisme classique par ses discours, elle entretient une position ambiguë, qu'il nous faut clarifier. Le concept des routes de la soie peut donner lieu à deux interprétations différentes : la première, qui est la nôtre, est celle d'investissements destinés à créer des synergies entre les pays qui le souhaitent pour renforcer leur connectivité et leurs infrastructures – nous y sommes favorables à condition que soient respectés les normes internationales, l'accord de Paris, le principe de transparence et la soutenabilité financière des acteurs concernés. Cette interprétation que le président Macron a exposée dans son discours à Xi'an est désormais reprise dans le discours officiel de la Chine, qui se trouve par ailleurs en difficulté dans son dialogue avec les États-Unis. Seconde interprétation : ce concept couvre en réalité une volonté de réorganisation du monde autour de la Chine, qui en deviendrait le centre – ce serait alors une autre histoire. Nous devons donc entretenir avec la Chine une relation franche – c'est le cas – et faire valoir l'intérêt européen. J'ai été frappé par le discours qu'a tenu Xi Jinping lors du 19e Congrès du Parti communiste chinois (PCC), dans lequel il a annoncé que la Chine se fixait comme objectif de devenir une nation de « moyenne aisance » d'ici à 2021, pour le centenaire de la création du PCC – rappelons que la Chine se désigne encore aujourd'hui comme un pays en voie de développement – puis, en 2049, pour le centenaire de la fondation de la République populaire, celui de devenir une nation moderne, prospère et forte, et la première au monde. Quoi qu'il en soit, nous devons être exigeants avec la Chine et défendre la place de l'Europe.
À l'égard de la Russie, nous devons mener une politique tout à la fois d'ouverture et de fermeté. Nous souhaitons qu'elle devienne un véritable partenaire de la gestion des crises internationales, comme c'est déjà le cas dans certaines crises – mais pas dans d'autres. Tant que la situation perdurera telle quelle en Ukraine, dans le Donbass et en Crimée, les difficultés persisteront. L'affaire Skripal, les actes de manipulation de l'information et les tentatives de fragilisation de l'Union européenne nous obligent constamment à tenir un langage de vérité, de fermeté et de clarté.
La Russie n'est pas forcément un partenaire en faveur de la refondation du multilatéralisme, un enjeu majeur pour lequel nous devons jouer un rôle moteur. Nous voulons y parvenir de trois manières : en revitalisant les institutions existantes, en particulier l'ONU et l'Organisation mondiale du commerce (OMC), dont l'Union s'emploie à renouveler les règles afin de les adapter à la situation actuelle du monde, mais aussi en créant de nouveaux formats multilatéraux ad hoc concernant telle ou telle situation, comme nous l'avons fait pour la COP21 ou au Sahel. Quand la complexité de la situation l'exige, nous nous employons à agir dans un cadre multilatéral. Troisième point : ne peut-on pas former de nouvelles alliances avec les puissances de bonne volonté qui sont profondément attachées au multilatéralisme et qui s'interrogent sur la crise de la coopération internationale – je pense au Japon, à l'Inde, au Brésil, au Canada, au Mexique, à l'Australie et à d'autres démocraties, avec lesquelles l'Union européenne doit sans doute prendre des initiatives.