Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Madame la présidente, vous m'interrogez sur les conséquences du nouvel accord ALENA. Cet accord ne remet pas en cause les éléments que l'Union européenne a obtenus dans le cadre du CETA, par exemple sur les indications géographiques ou les produits laitiers. La Commission étudie attentivement ce que les États-Unis ont obtenu, mais notre propre dispositif est inchangé. Notre dispositif d'arbitrage n'est d'ailleurs pas remis en cause.

Il est vrai, cependant, que le Canada a souscrit à un texte avec les États-Unis, qui peut nous préoccuper sous certains aspects. Je pense plus particulièrement à deux mesures.

Tout d'abord, d'après la lecture que nous en faisons, ce texte induit une forme d'autolimitation des exportations automobiles, qui pourrait être contraire aux règles de l'OMC. Une sorte de quota est en effet évoquée. Même si ce quota n'affecte pas les exportations actuelles du Canada, l'introduction par principe d'une telle disposition peut nous interroger. La Commission partage cette interrogation et suit ce sujet de très près.

Ensuite, le Canada a souscrit au devoir d'informer les États-Unis de l'ouverture éventuelle de discussions ou de négociations avec certains États qui ne respecteraient pas tel ou tel principe. En d'autres termes, si le Canada voulait négocier avec la Chine, il devrait en référer aux États-Unis. Ce n'est bien évidemment pas neutre. Là encore, notre analyse converge avec celle de la Commission.

J'en viens à l'Iran. Je n'ai pas évoqué ce sujet spontanément dans mon exposé liminaire, car il est traité dans l'enceinte de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) au titre du plan d'action global commun,– Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA). Je vous livrerai cependant tous les éléments dont je dispose à ce sujet. Federica Mogherini, haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a annoncé en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, fin septembre 2018, la mise en place d'un véhicule dédié – Special Purpose Vehicle (SPV) – pour faciliter les échanges entre les entités économiques européennes et l'Iran. Il s'agit d'une sorte de mécanisme de « troc » perfectionné fondé sur les exportations de pétrole iranien, face auxquelles une créance pourra être instituée afin de financer diverses exportations européennes vers l'Iran. Ce véhicule est en train d'être affiné. L'Union européenne a la volonté affirmée de le mettre en vigueur dans les meilleurs délais. Nous considérons en effet que nous devons aider tout particulièrement les PME et les entreprises de taille intermédiaire – qui ne sont pas nécessairement exposées aux États-Unis – à maintenir leurs flux. Je connais des cas très concrets de PME françaises dont 30 % à 50 % du chiffre d'affaires est lié au marché iranien. Nous devons leur apporter des réponses.

Le Brexit sera évoqué dans les prochaines heures par les chefs d'État et de gouvernement au Conseil européen. La France souhaite l'obtention d'un accord de retrait, mais doit se préparer à toutes les éventualités. Elle se met en position, avec le recrutement programmé de 700 douaniers supplémentaires et la désignation d'un coordinateur national par le Premier ministre. Quoi qu'il en soit, le Brexit aura indéniablement des conséquences. Selon les estimations, elles pourraient atteindre jusqu'à 0,5 point de PIB pour la France d'ici à 2030. Quant au Royaume-Uni, il pourrait subir une baisse de 3 % à 6 % de son PIB à la même échéance.

Le projet de loi d'habilitation traitera de sujets très concrets, comme le statut des résidents britanniques en France ou les passations de marchés publics aux infrastructures frontalières. Il convient de se préparer à faire face à tout type de situation.

S'agissant de l'impact sur la politique commerciale, le Brexit ne remet pas en cause l'attractivité du marché européen, qui possède une taille critique. Des pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, traditionnellement liés au Royaume-Uni à de nombreux égards, ont d'ailleurs ardemment souhaité engager des négociations avec l'Union européenne.

Le Brexit implique par ailleurs de s'accorder sur une méthodologie pour répartir les contingents qui ont été consentis dans divers accords, sur la base de leur utilisation historique par l'Union européenne et le Royaume-Uni. Un processus de négociation s'est enclenché à cet effet. Il pourrait ne pas être conclu avant la sortie effective du Royaume-Uni de l'Union européenne. Pour parer à tout éventuel retard des négociations, l'Union européenne adoptera un règlement qui permettra de modifier unilatéralement les contingents tarifaires existants dès la sortie du Royaume-Uni ou la fin de la période de transition, pour s'adapter à la réduction de la taille du marché européen. Car pour une filière, un volume de quelques dizaines de milliers de tonnes n'est évidemment pas neutre.

J'ai noté un consensus de votre commission sur la nécessité de réformer l'OMC. Vous évoquez notamment l'organe de règlement des différends. Si ce dernier ne comptait plus que deux juges, il serait paralysé. C'est pourquoi des réflexions ont cours sur l'éventuelle mise en place d'un organe qui n'inclurait pas les États-Unis mais permettrait de régler tous les autres différends, si les parties en étaient d'accord. Il faudra redoubler de créativité pour faire face à cette situation inédite.

Monsieur Herbillon, vous vous interrogez sur l'échéance à laquelle nous pouvons attendre des résultats concrets des discussions engagées entre l'Union européenne et les États-Unis. Le président Trump souhaite manifestement que nous parvenions à une convergence de vues d'ici à la fin de l'année 2018. Nous devons néanmoins prendre le temps nécessaire. La négociation ne se fera pas sous la menace. Nous nous réjouissons pour le moment d'avoir assoupli le calendrier grâce à ces discussions préliminaires.

Sur la proposition de résolution que vous évoquez, monsieur Herbillon, je ne me retrancherai pas derrière l'argument des rôles respectifs des pouvoirs exécutif et législatif, mais derrière un principe résolument européen, celui de la subsidiarité.

N'ayant pas à traiter au quotidien du déclenchement de l'article 7 du traité sur l'Union européenne, je reconnais devant vous mes limites. La ministre chargée des affaires européennes, Nathalie Loiseau, pourra en revanche vous éclairer sur cette question. Je ne me prononcerai pas davantage sur le débat interne qui semble avoir cours sur ce sujet à l'Assemblée nationale.

Sylvain Waserman évoquait le respect de l'accord de Paris par les futurs accords commerciaux, principe que le président de la République a réaffirmé à la tribune de l'ONU fin septembre. Notre position est claire : nous ne souhaitons pas signer des accords globaux avec des États qui se seraient retirés de l'accord de Paris. C'est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas conclure un accord global avec les États-Unis en matière commerciale. Nous espérons que le retrait américain ne fera pas d'émules, et que la question ne se posera pas pour d'autres États. Je retiens quoi qu'il en soit l'idée que vous proposez, monsieur Waserman.

Je ne suis pas le meilleur interlocuteur pour vous éclairer sur la taxation des géants de l'Internet. Ce sujet n'est pas traité au sein du Conseil « Commerce ». Je m'attacherai néanmoins à ce qu'une réponse vous soit apportée.

S'agissant du MERCOSUR, la sensibilité agricole est exacerbée. Notez toutefois que nous ouvrons aussi des marchés à nos agriculteurs et à nos filières. Le Japon en est un, la Chine également, puisque le président Macron et d'autres dirigeants européens ont obtenu la levée d'un embargo de la part de cette dernière. Nous devons mettre en oeuvre un plan de bataille méthodique afin de nous saisir de toutes les opportunités qu'offrent ces marchés dès leur ouverture. Nous y travaillons au sein d'une instance dédiée réunissant les filières.

Monsieur Leroy, j'aurai plaisir à traiter plus en détail du tourisme, peut-être à l'occasion d'une audition conjointe avec la commission des affaires économiques.

Monsieur David, vous m'interrogez sur le report du processus de ratification du CETA. Le Parlement a souhaité être pleinement éclairé, et les études d'impact qui sont lancées constituent en quelque sorte une révolution copernicienne, loin des pratiques qui ont prévalu après la réforme constitutionnelle de 2008. L'objectif est de mettre au point une méthodologie qui puisse être déclinée à d'autres accords. Tant que celle-ci n'est pas aboutie aux yeux du Parlement, ce serait un outrage que de vous transmettre une loi de ratification insuffisamment documentée. Il ne s'agit aucunement d'une mesure dilatoire qui serait motivée par les élections européennes. Avec ou sans ratification formelle du CETA, les accords commerciaux seront au coeur des débats, et nous mènerons ces derniers les yeux dans les yeux.

J'en viens à la désignation de Mme Mushikiwabo au secrétariat général de l'OIF. Cette désignation a été faite par acclamation, par l'ensemble des chefs d'État et de gouvernement. Par définition, un secrétaire général endosse l'histoire et les textes fondateurs de l'institution dont il prend la direction. À ce titre, la charte de la francophonie est un texte engageant prônant des valeurs. Elle est complétée par les déclarations très précises adoptées à Bamako ou à Saint-Boniface. La secrétaire générale de l'OIF a vocation à faire vivre tous ces principes. Du reste, elle ne parle pas au nom de son pays d'origine dès lors qu'elle accède à cette fonction. Je ne doute pas un seul instant que la secrétaire générale nouvellement élue aura à coeur d'accomplir la mission pour laquelle elle a été mandatée par les chefs d'État et de gouvernement.

Le Rwanda a fait le choix du plurilinguisme : on y parle français, anglais et kinyarwanda. Or, les institutions rwandaises ont affirmé le souhait de relancer l'enseignement de la langue française dans son système éducatif.

Madame Autain, nous mettons d'ores et déjà en oeuvre, ici et maintenant, une transparence vis-à-vis des citoyens. Nos réunions sont en effet diffusées publiquement. J'ose espérer que les citoyens s'en emparent pour se forger une opinion. Le Parlement aura à se prononcer sur l'accord MERCOSUR, qui est mixte. Ce sujet sera donc bel et bien débattu.

Quant aux études d'impact, elles doivent être précisément étayées. C'est tout l'honneur du Gouvernement que de vouloir fournir, à la demande du Parlement, des éléments plus consistants que ceux qui étaient communiqués jusqu'à présent.

Hervé Berville évoquait l'accueil par les pays émergents des pistes de proposition émises sur la réforme de l'OMC. Un certain nombre d'« amis » de l'OMC se sont manifestés dans la zone ASEAN. En revanche, les pays émergents africains, l'Inde ou encore l'Afrique du Sud restent très mobilisés dans le programme de Doha et demandent des ouvertures agricoles ou autres exceptions aux règles multilatérales. C'est un enjeu à l'égard duquel nous devons faire preuve de prudence, car il n'est pas sans effet pour nos propres filières.

Madame Clapot, vous évoquez le fait que des composants européens entrent dans la production aéronautique américaine. L'inverse est d'ailleurs également vrai. Notez incidemment que cette situation confère un pouvoir aux États-Unis, où des instances permettent de contrôler les exportations. À ce titre, Airbus devait solliciter des autorisations pour exporter vers des marchés sensibles, notamment en Iran. Quoi qu'il en soit, votre remarque, madame Clapot, illustre à quel point les chaînes de valeur sont éclatées dans la mondialisation. C'est pourquoi les hausses de droits de douane pratiquées par les États-Unis n'ont, me semble-t-il, pas grand sens. Les décisions prises par les États-Unis peuvent d'ailleurs pénaliser les acteurs nationaux. Ainsi, les industriels américains n'étaient guère favorables aux mesures édictées par leur pays en matière d'acier et d'aluminium, et certains ont annoncé des délocalisations à la suite d'annonces d'augmentations des droits de douane.

Monsieur Portarrieu, les dispositions anti-corruption devant figurer dans le futur accord commercial avec le Mexique sont bienvenues. Ce texte permettra de renforcer les liens entre l'Union européenne et le Mexique sur le plan politique. Nous pensons que le calendrier des négociations sera respecté.

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