Intervention de Georges Malbrunot

Réunion du mardi 11 décembre 2018 à 17h05
Commission des affaires étrangères

Georges Malbrunot, journaliste au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient :

Merci, madame la présidente. Je suis honoré de m'exprimer devant les parlementaires.

Je vais commencer par l'Arabie Saoudite qui, hélas, a occupé une bonne partie de l'actualité depuis le 2 octobre avec cette calamiteuse affaire Jamal Khashoggi. Je n'aime pas me prononcer avec certitude car, au Moyen-Orient, on est souvent démenti par les faits. Cela étant dit, je pense que le prince héritier Mohammed ben Salman (« MBS ») va rester au pouvoir, même si la CIA l'accuse d'être derrière cet assassinat, mais il va devoir affronter de nombreux défis. Il va rester au pouvoir parce que c'est le souhait de son père. Le roi Salman a d'ailleurs emmené son fils en province pour rencontrer des tribus et renouer avec le terreau traditionnel du pays. C'est son fils préféré, celui qu'il pense être le seul capable de mettre l'Arabie Saoudite sur les rails d'une certaine modernité.

Fort du soutien de son père, « MBS » ne sera pas écarté du pouvoir. Il le sera d'autant moins que Donald Trump, son deuxième soutien, n'a pas haussé le ton d'une manière extrêmement franche alors même que la CIA est convaincue que cet assassinat n'a pu être exécuté sans qu'il l'ait ordonné. Quand on connaît un peu le régime saoudien – et d'autres régimes de la région – cela coule de source. J'ai été interdit de séjour en Arabie Saoudite pendant six ans, entre 2010 et 2016, après avoir écrit des choses qui avaient déplu au royaume. J'avais été mis sur la liste noire du ministère de l'intérieur où sont répertoriées les personnes accusées de choses extrêmement graves comme d'avoir porté atteinte à la sécurité de l'État ou d'avoir fait du trafic de drogue. Pour me faire enlever de cette liste, il a fallu l'intervention de l'ambassadeur d'Arabie Saoudite à Paris auprès du prince Mohammed ben Nayef, qui était à l'époque le prince héritier, le ministre de l'intérieur en charge de la lutte antiterroriste et le « chouchou » de la CIA. S'il faut en référer au prince héritier pour un journaliste lambda, on peut imaginer que son aval est nécessaire pour une opération de la nature de celle qui a conduit à l'assassinat de Jamal Khashoggi.

« MBS » restera au pouvoir tant que son père sera là. Que se passera-t-il si le roi Salman, qui est âgé de quatre-vingt-deux ans et dont la santé est fragile, meurt dans l'année à venir ? « MBS » aura probablement du souci à se faire car il s'est fait beaucoup d'ennemis au sein de la famille régnante. Il a mis en prison de nombreux princes de premier rang, notamment le prince Mohammed ben Nayef, l'homme de l'antiterrorisme en qui les Américains avaient toute confiance, celui qui a sauvé la famille régnante dans les années 2004-2005 lorsque al-Qaïda commettaient des attentats en Arabie Saoudite. MBS l'a humilié et l'a assigné à résidence chez lui, de même que le prince al-Walid ben Talal et le prince Metab ben Abdallah, fils de l'ancien roi. Mohammed ben Nayef ne peut pas quitter le territoire et, à l'intérieur du royaume, il est accompagné quand il veut se rendre à Djeddah ou ailleurs.

Même s'il y a beaucoup de ressentiment accumulé au sein de la famille à l'égard de « MBS », il est extrêmement difficile de rogner les ailes de ce jeune prince manifestement un peu impulsif : grâce à l'appui de son père, il a réussi à arracher tous les pouvoirs et il maîtrise en particulier l'appareil sécuritaire. C'est l'une des principales ruptures avec l'Arabie d'antan où était maintenu un équilibre entre les princes : le ministère de l'intérieur était entre les mains du clan Nayef ; la défense était confiée au clan Sultan avec lequel le ministère de la défense français a beaucoup travaillé pendant trente-cinq ou quarante ans ; le roi Abdallah avait sa garde nationale, une sorte d'armée bédouine. « MBS » a rompu l'équilibre qui existait entre les différents clans de la famille régnante pour mettre en place un système autoritaire à une seule ligne formée par son père et lui – dont il a restreint l'accès aux autres membres de la famille. En dessous, on trouve des individus dont certains étaient présents dans le commando qui est allé assassiner Jamal Khashoggi, notamment Saoud al-Qahtani qui est un peu l'éminence grise de « MBS » et le général Ahmed al-Assiri qui a fait Saint-Cyr et qui est le chef adjoint du renseignement saoudien.

Si le roi Salman venait à mourir assez rapidement, toutes ces haines – qui sont loin d'être apaisées – ressurgiraient. On pourrait alors assister à un nouveau changement dans la règle de succession d'autant plus que dans la foulée de cette affaire Khashoggi, qui a secoué la famille régnante, le demi-frère du roi, le prince Ahmed ben Abdelaziz, est rentré au royaume. Plus jeune que le roi Salman, Ahmed ben Abdelaziz a longtemps été vice-ministre de l'intérieur. Le roi pense probablement que s'il venait à mourir assez rapidement, il y aurait besoin de quelqu'un comme Ahmed ben Abdelaziz pour essayer d'équilibrer les différents clans de la famille régnante. En revanche, si le roi Salman ne meurt pas avant cinq ou six ans, « MBS » aura le temps d'asseoir son autorité s'il parvient à sortir de ce mauvais pas, ce qu'il s'efforce de faire : on l'a vu au G20 ; il a fait une tournée en passant par l'Algérie, un pays qui n'a pas forcément beaucoup de sympathie à l'égard de l'Arabie Saoudite.

Dans cette perspective, quelles relations noueront la France et les États-Unis avec « MBS » ? Aux États-Unis, la couverture médiatique de l'affaire Khashoggi a été intense et, tous les jours, il y avait au moins cinq ou six papiers au vitriol contre le jeune prince. Se pose la question des relations que l'on peut avoir avec un jeune homme qui, à trente-deux ans et avant même d'être roi, a accumulé un passif en un an et demi : il a kidnappé Saad Hariri, le Premier ministre d'un pays souverain ; il a lancé une guerre extrêmement risquée au Yémen ; il a embastillé la plupart des princes saoudiens au Ritz-Carlton de Riyad ; il a probablement cautionné l'opération Khashoggi. Quelles relations peut-on avoir avec ce personnage s'il devient roi ?

Il faut souligner que l'Arabie Saoudite n'est pas seule dans cette affaire. On assiste à l'émergence d'une nouvelle génération de dirigeants dans le Golfe. « MBS » entretient des relations d'amitié avec Mohammed ben Zayed (« MBZ »), l'homme fort des Émirats arabes unis, qui est un peu plus âgé que lui, et il est assez proche du roi de Bahreïn et de son fils. Au cours des différentes crises qui ont marqué la péninsule arabique depuis deux ou trois ans, nous avons découvert de nouvelles méthodes, de nouveaux modus operandi. Dans le passé, il y a eu des tensions entre l'Arabie Saoudite et le Qatar et, en 1993, les troupes saoudiennes sont allées près de la frontière qatarienne. À la fin, il y avait une conscience que tout cela devait se régler un peu à la manière bédouine, notamment au sein du Conseil de coopération du Golfe. On se réunissait sous la tente, à l'abri des regards indiscrets et on réglait les problèmes.

Les méthodes actuelles relèvent davantage d'opérations commando ou de services privés. Avec le piratage de l'agence nationale de presse du Qatar, la Qatar News Agency (QNA) – une affaire qui est à l'origine d'une crise entre ce pays et ses voisins – et le kidnapping de Saad Hariri, on est passé à une autre façon d'agir qui doit nous questionner. D'ailleurs, ce n'est pas tout à fait un hasard si l'on retrouve à Abou Dhabi le siège d'une société de sécurité privée dont vous avez beaucoup entendu parler : Blackwater, qui intervenait en Irak de 2003 à 2006 et qui est devenue Xe Services puis Academi. Ce sont des agents de cette société privée qui ont assuré la sécurité autour du Ritz-Carlton l'an dernier lorsque certains princes y ont été embastillés et probablement passés à tabac par ces gens-là. Ces nouvelles méthodes me semblent quand même borderline.

Pourquoi observons-nous le recours à ce type d'actions ? « MBS » et « MBZ » ont le sentiment qu'ils sont soutenus par Donald Trump et son gendre, Jared Kushner. Ce dernier entretient avec « MBS » des relations extrêmement anciennes, poussées, discrètes et efficaces. « MBS » et « MBZ » pensent qu'ils ont une couverture pour agir de manière discrétionnaire. Nous voyons d'ailleurs que dans l'affaire Khashoggi, Jared Kushner continue à envoyer des messages à MBS, contre l'avis du Conseil de sécurité nationale – National Security Council (NCS). Business as usual…

Nous sommes concernés à un autre titre : les Émirats arabes unis, l'Arabie Saoudite et Bahreïn peuvent réagir en bloc en cas de problème entre l'un de ces États et une puissance étrangère. Cet été, le Canada a eu un différend avec l'Arabie Saoudite qui s'est étendu aux Émirats arabes unis. Le ministère des affaires étrangères canadien avait publié un communiqué dénonçant les atteintes aux droits de l'homme en Arabie Saoudite. L'arrêt des négociations commerciales et la menace de sanctions émanaient de l'Arabie Saoudite mais étaient aussi appliqués par les autres pays. Citons un autre exemple qui nous concerne plus directement : dans quelques tweets, notre ambassadrice à Bahreïn, Cécile Longé, a dénoncé la manière dont les autorités bahreïniennes traitaient un opposant. Bahreïn est monté au créneau ; il a envoyé un émissaire au Quai d'Orsay ; il a annulé une visite que le roi devait faire à Paris. Aujourd'hui, l'un des principaux journaux du pays administre une leçon à la France et dénonce la manière dont sont traités les gilets jaunes. Ces pays acquièrent une force de frappe par rapport à ceux qui seraient tentés de les critiquer, ce qui n'est pas sans conséquence sur notre façon d'interagir.

Forte de l'appui de Donald Trump, l'Arabie Saoudite veut aller vite et pousser ses pions contre l'Iran, le grand rival. L'Iran est aussi l'obsession d'Abou Dhabi, mais beaucoup moins de Dubaï où j'étais il y a quinze jours. Dubaï était jadis une sorte de Hong Kong de l'Iran et les deux pays entretenaient des liens commerciaux importants.

Les sanctions vont-elles produire une révolte de la population iranienne contre le régime comme les Américains le souhaitent ? Les Américains ont d'ailleurs la même philosophie à l'égard de l'allié iranien au Liban, le Hezbollah. L'idée est de frapper les responsables politiques du Hezbollah mais aussi d'assécher le terreau des organisations caritatives, d'empêcher un député du Hezbollah d'avoir un compte en banque, etc. Les pressions exercées sur l'Iran sont extrêmement fortes et elles asphyxient l'économie iranienne. Je vais depuis une vingtaine d'années en Iran et je n'ai jamais vu le pays dans l'état où je l'ai trouvé en juillet dernier, lors de mon dernier séjour. Les commerçants et les hommes d'affaires sont asphyxiés ; ils ne peuvent plus importer de marchandises parce que l'accès aux banques étrangères leur est fermé, y compris dans des pays comme la Géorgie et d'autres qui, jusqu'à récemment, était plutôt complaisants à leur égard. L'équipe du président Rohani a mal géré cette période, se montrant notamment incapable de juguler la chute du rial. Les Iraniens manifestent parfois dans la rue et ils ont de bonnes raisons de le faire.

Les Américains veulent encore renforcer les sanctions contre l'Iran. Début novembre, ils ont publié une liste de 700 sociétés ou personnes qui sont accusées d'avoir contourné l'embargo et sont sanctionnées. En juillet, j'ai passé une dizaine de jours dans ce pays où la parole est relativement ouverte, ce qui marque une différence par rapport aux monarchies du Golfe. J'ai été frappé par le fait qu'il n'y avait pas de sursaut nationaliste face à ces menaces de la part d'un homme, Donald Trump, qui a décrié l'Iran, qui a mis les Iraniens sur liste noire et leur interdit l'entrée aux États-Unis. Lorsque je les interrogeais dans la rue, les Iraniens me répondaient qu'au moins Trump mène une politique pour son électorat, alors que les dirigeants iraniens ne songent qu'à eux-mêmes et à se maintenir au pouvoir.

Leur jugement est assez sévère à l'égard du régime iranien qui est un peu usé. En 2015, l'accord sur le nucléaire devait lui permettre de regagner du crédit en interne avec Rohani, ce qui a été fait. Il devait aussi et surtout lui permettre de regagner du crédit sur le plan économique et en termes de pouvoir d'achat, ce qui n'a pas été fait. Par conséquent, les Iraniens sont déçus. En outre, le régime est essoufflé sur le plan idéologique : il y a une chape de plomb et les événements de 2009 restent dans les mémoires. Le régime n'a probablement guère plus de 30 % de partisans : c'est le taux que l'on obtient en additionnant les scores des différents candidats issus du système lors du premier tour des élections présidentielles.

La population est sceptique mais elle est aussi réaliste. Elle sait que si elle passe de l'insatisfaction à l'action militante ou revendicative, elle se retrouvera face à des forces de l'ordre qui n'hésiteront pas à réprimer, comme elles l'ont fait en 2009 et 2010. Elle y regarde donc à deux fois. Elle sait aussi qu'il n'y a pas d'alternative. Les Moudjahidine du peuple, dont le siège se situe en banlieue parisienne, ne représentent pas grand monde en Iran et ne sont pas crédibles. Le fils du shah est tout à fait sympathique. Comme en Irak en 2003, il y a en Iran une espèce de nostalgie de la monarchie parce que c'était un temps où les femmes étaient en minijupe, etc. Mais ce mouvement ne va pas très loin et ne représente pas une menace pour le régime. Sachant tout cela et voyant l'environnement régional, les Iraniens sont dans une posture attentiste. Les pressions américaines pourront donc difficilement pousser le peuple à se soulever contre le régime : un tel mouvement serait une impasse et la population en serait la première victime.

Le régime n'est pas menacé à court terme. Grâce aux exemptions accordées par Donald Trump, l'Iran peut encore exporter encore un peu de pétrole – moins qu'avant – et il dispose de réserves assez importantes. En revanche, le régime sera confronté à de grands défis à moyen terme s'il n'arrive pas à rebondir.

Grâce à l'intervention syrienne, l'Iran a renforcé ses positions en Irak et en Syrie. Son allié, le Hezbollah, est en mesure aujourd'hui d'imposer sa loi au Liban – il pose des conditions draconiennes à Saad Hariri pour la composition du prochain gouvernement, et souhaite convertir, avec le temps, sa victoire militaire en Syrie en victoire politique. Vous avez fait allusion au conflit entre chiites et sunnites : rappelons que ces derniers ont subi revers sur revers depuis 2003 et la perte de Bagdad, l'un des phares du monde sunnite ; aujourd'hui, Bachar al-Assad va peut-être sauver sa peau alors que les pays du Golfe espéraient en 2011 en finir une fois pour toutes avec le seul régime arabe qui soit allié à l'Iran, cela se passe très mal pour la coalition saoudo-émirienne au Yémen et la diplomatie égyptienne n'est plus ce qu'elle était. Le monde sunnite souffre d'une crise de représentation et de leadership.

Pour affronter cet Iran considéré comme dangereux, Mohammed ben Salman a souhaité faire sortir l'Arabie Saoudite de sa léthargie traditionnelle. Parce que les sanctions ont mis l'Iran à genoux et qu'il a à ses côtés les États-Unis et Israël, MBS considère qu'il l'a emporté. Mais il ne faut pas se leurrer : comme le disait hier un sénateur américain, sans l'aide de Washington les dirigeants saoudiens apprendraient le farsi au bout de quinze jours ; les monarchies sunnites sont fragiles face à un Iran qui, malgré ses failles, peut se reposer sur une société civile active, éduquée, où les femmes sont très présentes et dont le potentiel est, disons, plus élevé.

L'Iran et le Hezbollah ont le sentiment d'avoir marqué des points au Moyen-Orient, notamment en établissant un « corridor » de Téhéran à Beyrouth, passant par Bagdad et Damas. Comme vous l'avez souligné, de nouveaux tunnels ont été découverts à la frontière israélo-libanaise, mais personne ne croit qu'un conflit puisse éclater prochainement entre le Hezbollah et Israël. Aucune des parties n'y a intérêt : la guerre serait dévastatrice pour Israël – Tel Aviv est à portée des missiles du Hezbollah – et, de son côté, le Hezbollah, qui a laissé des plumes dans l'aventure syrienne – plus de 2 000 de ses hommes y ont été tués, sans adhésion véritable de la population libanaise, même chiite –, cherche à convertir sa victoire militaire en gain politique, plutôt que de se lancer dans un conflit dont le Liban ferait une fois encore les frais.

Le Hezbollah ne se limite plus au Sud-Liban, occupé par Israël jusqu'en 2000, le bastion d'où partaient les tunnels et étaient lancés ses missiles. Il a acquis une profondeur stratégique grâce à son action en Syrie et à son alliance avec l'Iran et l'Irak. Les dirigeants iraniens du Hezbollah ne s'en cachent pas : si, demain, les Américains ou les Israéliens attaquaient l'Iran, des missiles partiraient d'Irak – où les milices chiites sont équipées d'armes. iraniennes –, de Syrie – où l'Iran et le Hezbollah ont renforcé leur capacité d'action d'armes – et du Liban. C'est la traduction concrète de ce corridor territorial auquel les Américains, et les Français, voudraient mettre un terme. Cela semble difficile. L'Irak et la Syrie ne se retourneront pas demain contre l'Iran. Il faut parvenir à ce que les Iraniens adoptent un profil bas en Irak et en Syrie et, dans une moindre mesure, au Yémen, qui n'a jamais représenté un enjeu stratégique à leurs yeux.

La guerre entre chiites et sunnites ne pourra se régler sans un partage de la sécurité dans les eaux du golfe Persique, ce que proposait Barack Obama en 2009-2010. Les chiites sont largement présents dans le Golfe : ils représentent 15 % de la population saoudienne, 60 % des Bahreïnis, une partie des Yéménites. Il faut donc parvenir à constituer une sorte d'équivalent local de l'OSCE, qui permette aux Arabes et aux Perses de se parler et de se partager la sécurité du Golfe. Il n'en est évidemment pas question aujourd'hui pour les sunnites, hormis pour le Qatar, qui s'est rapproché de Téhéran après la crise qui l'a opposé à l'Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis. Pour « MBS » et « MBZ », forts de l'appui de Donald Trump, ce partage n'est pas du tout d'actualité.

On parle moins de la Syrie dans les médias ces derniers temps. L'accord russo-turc de Sotchi a gelé l'opération sur Idlib, mais il n'est pas vraiment respecté : les Turcs, qui ne sont pas parvenus à soumettre les djihadistes, renforcent leurs positions au nord de Hama, tandis que l'armée syrienne se rapproche. Nous sommes probablement à l'avant-veille d'une nouvelle escalade de la violence. Hier, l'autoroute entre Alep et Lattaquié, qui devait être rouverte suite à l'accord, a été reprise par les djihadistes. Tout cela reste fragile et il est, hélas, fort à parier que les armes parleront de nouveau.

Idlib pourrait faire l'objet d'une sorte de marchandage entre Turcs et Russes : Ankara laisserait le régime syrien et les Russes reprendre une partie de la province, en contrepartie de quoi Moscou laisserait les Turcs venir à bout de la présence du parti de l'union démocratique kurde, le PYD, dans la province de Tal Abyad, à l'est de la frontière, comme ils l'ont fait à Afrin. Il ne faut pas exclure cette hypothèse.

Ankara, qui a envie d'avancer, fait fortement pression sur les États-Unis. Bien qu'ayant apporté leur appui aux Kurdes dans le nord-est en déclarant qu'ils installeraient des postes d'observation pour éviter une intrusion des militaires turcs, les Américains, gênés, expliquent qu'ils ne remettront pas en cause leur alliance avec la Turquie. Leur envoyé spécial a déclaré que si la coopération avec les Kurdes était tactique et temporaire, la coopération avec la Turquie était stratégique.

Pour ce qui est de la transition politique, les travaux pour la réforme de la constitution, engagés par l'envoyé spécial de l'ONU, Staffan de Mistura, sont gelés depuis la démission de ce dernier. Le régime se sent assez fort et n'acceptera rien d'autre qu'un comité constitutionnel qui lui serait favorable.

Les Russes parviendront-ils à convaincre Bachar al-Assad de quitter le pouvoir ? J'en doute fortement. Bachar al-Assad terminera son mandat en 2021 ; les Iraniens et le Hezbollah souhaitent ardemment qu'il reste parce car ils ont besoin de la présence d'Assad, de son entourage et de l'appareil sécuritaire pour contourner les sanctions américaines et acheminer des armes et du cash – le Hezbollah est un mouvement clandestin qui n'a pas de comptes en banque.

Le régime syrien repose sur un appareil sécuritaire qui, de tous temps, a arrêté, réprimé. Des Russes, proches du Kremlin et investis dans les think tanks à Moscou, avec qui je discutais du processus de Genève, m'ont expliqué qu'il était selon eux impossible de réformer cet appareil sécuritaire. Vous pouvez donc remplacer Bachar al-Assad par son frère, sa soeur, son cousin ou toute autre personne, cela ne changera rien ! Je ne crois pas que les Russes s'aventureront dans une opération qui consisterait à changer de régime – sans alternative crédible, ils n'y ont pas intérêt. Ils ont beau avoir des relais, notamment dans l'armée, changer le régime signifie changer 200 hommes, au moins.

Ce qu'il n'a pas été possible d'obtenir par la force peut-il l'être grâce aux pressions russes ? Cela me semble compliqué. Bachar al-Assad est probablement son meilleur ennemi ; les méthodes des services de renseignement n'ont pas changé, et même s'il est en passe de gagner la guerre, il aura beaucoup de mal à gagner la paix. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer la résilience et le cynisme de ce régime, monstre froid qui avait pour dessein, il y quatre ans, de vider la Syrie de 4 millions d'opposants. Il y parviendra probablement.

Pour autant, tous les réfugiés, j'en ai rencontré la semaine dernière au Liban, ne sont pas anti-Assad et certains rentreront au pays. Sans reprendre le débat sur l'erreur de diagnostic qu'a commise la France, je ne crois pas que le conflit se résume à celui d'un dirigeant contre son peuple : Bachar al-Assad a toujours eu 25 % à 30 % de sympathisants, et ils sont probablement plus nombreux aujourd'hui. Compte tenu de la nature du régime syrien, et alors qu'il se félicite d'avoir gagné la guerre, il sera difficile de le pousser vers la sortie.

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