Je suis intimement convaincu qu'une programmation à long terme est nécessaire. Au cours de ma carrière au ministère de l'intérieur, j'ai eu à connaître la loi relative à la modernisation de la police nationale de 1985, puis la première loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure de 2002, qui comportait un volet technologique. De nombreux projets en ont découlé. À chaque fois, néanmoins, il s'agissait de « coups », après quoi le sujet restait en sommeil une décennie. On qualifie parfois le ministère de l'intérieur de « ministère de l'urgence ». Il lui manque une programmation de long terme. Les travaux auxquels j'ai contribué s'inscrivaient dans une temporalité de cinq ans, à l'instar de la loi de programmation militaire. Il est nécessaire qu'à leur issue soient effectués un bilan, un contrôle et une évaluation, afin de pouvoir enchaîner sur la loi suivante. Malheureusement, la France ne procède pas à cet exercice en matière de sécurité.
À l'heure où l'on parle de révision constitutionnelle, j'aimerais également que la sécurité fasse l'objet d'une commission spécifique au Parlement, afin que celui-ci bâtisse une expertise pérenne dans ce domaine et qu'il l'applique au contrôle et à l'exécution des lois. Une commission sur la sécurité intérieure, voire sur la sécurité intérieure et la justice, représenterait une avancée considérable pour développer l'expertise et le contrôle du Parlement sur ces sujets.
J'ajoute que les lois de programmation n'ont pas vocation à répondre à des événements dans l'urgence, mais à tracer une vision sur des projets au long cours. Le réseau de radio Acropol a par exemple mis quinze ans à se déployer sur le territoire. Paris accueillera les Jeux olympiques (JO) en 2024. Nous devrons être à l'heure de cet événement en matière de sécurité. Une loi pourrait viser ce terme.
Il est important que l'État s'implique dans les travaux des filières. Avec l'aide précieuse de Patrick Guyonneau, j'ai eu le plaisir de fonder en octobre 2013 le comité de la filière industrielle de sécurité (COFIS), qui a accédé il y a quelques mois au rang de comité stratégique. La sécurité est ainsi reconnue comme une filière à part entière, et est placée à ce titre sous la coordination du ministère de l'Économie et des Finances. Le ministère de l'intérieur doit absolument y jouer un rôle, comme il l'a fait ces cinq dernières années. Le premier comité de pilotage de la filière fut d'ailleurs coprésidé, en décembre 2015, par le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, Emmanuel Macron. Malheureusement, cette instance n'a pu se réunir à nouveau, l'événement ayant été plusieurs fois reporté.
En France, la filière de la sécurité représente 130 000 à 140 000 emplois industriels directs. Si l'y on ajoute les emplois indirects dans les secteurs public et privé, elle dépasse le million d'emplois. Son chiffre d'affaires atteignant 24 milliards d'euros en 2017, et était réalisé pour plus de la moitié à l'export. Il s'agit d'un secteur extrêmement dynamique, en très forte croissance. À la différence des entreprises de sécurité privée traditionnelles, fondées sur la ressource humaine, l'industrie de sécurité produit des solutions technologiques, orientées en particulier vers la cybersécurité et la sécurité physique et logique. L'État n'en est pas le premier acheteur. Le ministère de l'intérieur ne représente que 4 % ou 5 % des ventes réalisées sur le marché domestique. A contrario, le ministère des Armées est le client exclusif de la filière de l'armement, hors exportations. Cela constitue une différence majeure. La sécurité doit être pensée, aujourd'hui, dans le cadre de partenariats avec le monde privé. La vision stratégique et l'élaboration éventuelle de lois de programmation ne sauraient éluder cette dimension.
J'en viens au projet de numéro d'appel d'urgence unique, le 112 unifié, qui est envisagé depuis une décennie. Dix à douze États membres se sont dotés d'un tel dispositif. Les départements prennent des initiatives en ce sens. Il reste à savoir comment mettre en oeuvre des plateformes comparables à celles de nos voisins, et comment les harmoniser. Je ne saurais dire à qui devrait en être confié le pilotage. La délicate détermination de la gouvernance du dispositif est d'ailleurs l'un des freins du projet. Dans les départements, une autorité s'impose quoi qu'il en soit, le préfet. Il suffirait qu'une décision soit prise sur le pilotage d'une plateforme d'urgence dédiée à la réponse aux citoyens, pour que tous les acteurs se mettent en ordre de marche.