« Je préfère ce sentiment d'inquiétude et d'inconfort au désespoir qui m'a traversé depuis ma naissance à l'ombre du régime algérien ». Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, ces propos, que je me permets d'emprunter à Kamel Daoud, disaient au plus fort des manifestations pacifiques, toute la complexité et les antagonismes qui enserrent l'Algérie. La protestation de tout un peuple, d'une jeunesse débarrassée de la peur dans ce pays où 70 % de la population a moins de 40 ans, de femmes écartelées entre la Constitution et le code de la famille, s'appropriant l'espace public, de familles tout entières venues dire leur colère contenue et surtout leur fierté retrouvée, leur espoir de pouvoir penser une transition démocratique, tout cela, monsieur le ministre, ne peut nous laisser indifférents.
En effet, la richesse de l'Algérie, nous le savons, n'est pas seulement dans son sous-sol, son potentiel agricole, son enseignement supérieur, qui diplôme 63 % de femmes, dans la diversité de ses intellectuels, artistes et chefs d'entreprise ; la richesse de ce pays réside sans doute avant tout dans l'énergie de sa jeunesse, qui entrevoit, dans un scénario aux contours encore très flous, la promesse d'un avenir meilleur.
Tout reste à faire, et cet espoir ne peut être balayé par un pouvoir oligarchique incapable d'imaginer une succession, distillant savamment la peur d'un retour du chaos et la possible confiscation de ce printemps algérien. Aujourd'hui, devant ce moment de l'histoire qui semble faire écho aux attentes de tout un pays, on peut en effet craindre que le renoncement de l'actuel président à un nouveau mandat, que le report de l'élection et la mise en place d'une conférence nationale préparant une nouvelle constitution n'aboutissent pas à la transition profonde et sans violence dont rêve l'Algérie, à l'instar des milliers de femmes et d'hommes qui ont choisi la France pour y vivre et y voir grandir leurs enfants.
Parce que l'histoire de ce pays nous importe, parce qu'il nous faut apaiser nos mémoires communes, parce que nos trajectoires si particulières rendent toute parole sensible, nous partageons, en responsabilité, la prudence avec laquelle vous vous êtes exprimé. Toutefois, monsieur le ministre, entre l'enthousiasme de la joie et le poids du doute, sans ingérence mais sans indifférence, prêterez-vous la voix confiante et amicale de la France à un chant d'espoir partagé sur le chemin que dessine librement le peuple algérien ?