Cependant, il est important que soient représentés et entendus les arguments de ceux qui sont porteurs d'une autre vision de l'économie.
Aujourd'hui, il y a une plus grande tolérance à écouter cette différence qu'il y a encore quelques années. Après l'effondrement de l'Union soviétique, et, par conséquent, pensait-on, de tout ce qui s'y rattachait, de près ou de loin, on imaginait qu'il y avait un caractère quasi naturel à l'économie libérale telle que l'avaient auparavant professée et défendue, jusque dans ses ultimes conséquences, Mme Thatcher, M. Reagan et d'autres personnalités de cette époque.
Le doute est dorénavant entré chez tous ceux qui pensent les questions qui nous occupent aujourd'hui : « qu'est-ce qu'une entreprise ? » avez-vous dit, monsieur le rapporteur général ; comment peut-on imaginer une économie suffisamment stable pour que chacun des pays et des peuples y trouve son compte ?
S'il en est ainsi, c'est parce que tous, nous avons observé qu'au fil des années, le nombre des crises augmentait et qu'elles se rapprochaient les unes des autres. À l'heure à laquelle nous parlons, nous savons que selon certains observateurs – non seulement les superstitieux, qui repèrent des cycles là où, parfois, il n'y en a pas, mais aussi ceux qui regardent les tendances de fond – , nous sommes de nouveau devant une forme de bulle financière, qui met à l'ordre du jour une possibilité, totalement aléatoire – c'est ce qui fait tout le risque de la situation – d'explosion ici ou là.
Pour cela, ils combinent toutes sortes de facteurs : la récession ; les facilités bancaires qui ont été données, données et encore données, au point que l'on se demande aujourd'hui si une quelconque économie productive dans le monde est capable de fonctionner sans recevoir ces fonds que les banques centrales injectent massivement, que ce soit aux États-Unis ou en Europe.
Sur notre continent, nous avions dit que le procédé trouverait bientôt son terme. Mais on apprend que l'on va continuer, ce dont je félicite le banquier central européen – car sinon, ce serait la catastrophe. Nous sommes arrivés à une quasi-asphyxie, nos voisins allemands ayant eux-mêmes atteint la limite d'un modèle économique dont on avait dit cent fois que s'il continuait, cela tournerait mal. Que voulez-vous ? 20 % d'une économie occupés à fabriquer des voitures et à les vendre aux autres… À un moment, tout le monde en a assez des voitures en général et de celles-là en particulier, notamment à cause du diesel.
Du point de vue économique, nous sommes donc en train de marcher sur le bord du toit. Mais je n'entends pas me livrer à des spéculations sur le futur possible : j'ai la certitude que la crise aura lieu.
On dit « crise », parce qu'il faut bien donner un nom à ce genre d'événement. En réalité, à chaque fois, c'est une bifurcation de l'économie qui se présente. En 2008, on a cru prendre des dispositions qui empêcheraient qu'une nouvelle bulle ne se forme. C'est le contraire qui s'est passé. La situation est aujourd'hui pire qu'elle ne l'était à l'époque.
On peut donc dire que l'économie mondiale a encore connu une bifurcation. Elle s'est encore plus financiarisée. Elle est encore plus dépendante de circuits qui n'ont pas de rapports avec la production réelle.
Dans cette circonstance un peu exceptionnelle, permettez-moi de mentionner que dans cette discussion, M. Le Maire n'a jamais fait mystère de sa conviction idéologique – au sens le plus noble du terme, l'idée que l'on se fait d'un système. Il en va de même pour moi et pour vous, madame la présidente de la commission spéciale.
Quant à vous, monsieur le rapporteur général, vous avez été de l'autre côté de la barrière : vous avez été un acteur de la dynamique de notre temps, en gérant le plus grand fonds de pension canadien. Je suis certain que vous avez fait du mieux que vous pouviez dans vos fonctions. Vous incarnez en quelque sorte le mythe du capital qui s'alloue, de la meilleure des manières possibles, en partant de l'intérêt de l'investisseur. Je le dis car cela se trouve ainsi. Nous sommes en présence de visions différentes, que l'on peut comparer. Chacun d'entre nous a des choses concrètes et précises à dire sur le modèle économique.
Pour en finir avec le projet de loi, pour ne m'en tenir qu'à un seul point – mes amis diront, tout au long du débat, ce qu'il y a à dire – , je déplore que la question des tribunaux de commerce, sur laquelle nous avons fait des propositions, ait été si peu et si mal traitée.
Le problème de ces tribunaux vient du fait que les décisions économiques qu'ils prennent conduisent souvent à s'interroger sur le sens de ce qu'ils font. D'innombrables cas ont occupé notre assemblée – pas seulement maintenant, mais surtout dans le passé.
Je voudrais rappeler ici ce que disaient François Colcombet, président socialiste de la commission qui traitait de ce sujet, M. Montebourg, M. Peillon ou, plus récemment encore, Mme Untermaier : tout le monde sait qu'il y a un problème et qu'il va falloir le régler, dans des conditions de modernité qui ne peuvent pas être la reproduction éternelle du vieux modèle selon lequel celui qui juge en matière de boulangerie connaisse quelque chose à la boulangerie, mais sans approcher de trop près le boulanger.
J'en viens au fond. Nous allons parler de privatisation, et celle-ci occupe le devant de la scène de l'actualité, à juste titre me semble-t-il.
Il y a dans la privatisation des éléments idéologiques. J'entends souvent dire que ce n'est pas à l'État d'organiser tel ou tel domaine, par exemple la production de voitures ou la gestion d'aéroports. Pourquoi ? Qu'est-ce que l'État aurait vocation à faire d'une façon plutôt que d'une autre ? Pourquoi n'aurait-il pas à gérer une frontière, comme c'est le cas avec les aéroports internationaux qui se trouvent dans la balance ?