On n'a pas réquisitionné tous ceux qui avaient collaboré, car il aurait fallu tout réquisitionner ou à peu près. Les décisions de cette époque étaient encore extrêmement mêlées.
En 1981, l'intention politique et idéologique était complète. Il y a eu de longs débats sur le sujet, qui reflètent l'état du pays à ce moment. Si vous en avez le temps, je vous invite à lire le rapport de l'époque. Vous serez frappés de voir que les préoccupations étaient à peu près les mêmes qu'aujourd'hui, avec à peu près les mêmes mots : retard de la France, nécessité de s'adapter à l'innovation, de trouver des innovations, de s'adapter dans les domaines qui avancent. Le rapport évoque même les biotechniques – pour estimer que la France n'est pas au niveau dans ce domaine.
Mais la bataille a porté sur le fond. C'est encore à ce niveau-là que nous la voyons. Quand vous parlez de privatisations, vous faites comme si le statut normal d'une entreprise était d'être privé. Mais pour qu'il y ait une privatisation, il faut qu'il y ait eu une dénationalisation. Or la nationalisation est l'appropriation collective d'un bien, souvent en situation de monopole. La privatisation est donc une privation de propriété pour le très grand nombre, au profit d'un très petit nombre – les actionnaires.
Il ne faudrait pas en perdre de vue le sens. Pour quelle raison cette opération s'opère-t-elle ? Parce que l'on suppose que ce très petit nombre sera plus efficace pour régler les problèmes de la production que le très grand nombre, représenté par les gestionnaires, eux-mêmes placés sous le contrôle de l'intérêt général par l'État. C'est une vision totalement idéologique.
En effet, ce petit nombre peut prendre des décisions performantes, mais le même petit nombre, nommé par l'État, en est tout aussi capable. Ce n'est pas à ce niveau que la question se joue. Privatiser est donc une vision idéologique.
À l'inverse, la nationalisation suppose que, dans le mécanisme général d'orientation de l'économie, c'est l'intérêt général, dont on pense qu'il est incarné par l'État et par le très grand nombre du peuple, qui devient propriétaire, qui est le bon guide pour prendre les bonnes décisions et choisir la meilleure manière d'orienter la production et l'échange.
Voilà où se confrontent deux visions des choses : les uns pensent que la loi de l'offre et de la demande, le mécanisme spontané du marché, est en état de produire les meilleures décisions possibles pour la collectivité. Naturellement, ils ne vont pas dire « les meilleures dispositions possibles pour les personnes qui possèdent l'entreprise », mais ils le pensent très fort. C'était d'ailleurs le paradigme de base de Mme Thatcher, selon laquelle la société n'existait pas : seuls existent des individus pris dans des liens d'interdépendance. S'ils optimisent ceux-ci, tout ira pour le mieux dans la société toute entière.
Les autres pensent comme nous que l'intérêt général ne peut pas être édicté autrement que par la volonté générale, c'est-à-dire par le vote et les institutions républicaines.