… qui mettait beaucoup d'énergie à convaincre ses collègues qu'il n'y avait rien d'autre à faire que de vendre, vendre et vendre encore. On totalise ainsi 8 milliards d'euros de privatisations, parmi lesquelles celles des aéroports de Toulouse, de Lyon et de Nice.
Ce rappel pour montrer que le processus de privatisation qui a paru naturel pendant si longtemps à tant de gens différents commence aujourd'hui à sembler moins naturel, à juste titre. Un bilan a-t-il été établi ? Si les effets étaient si évidents, nous devrions disposer d'un bilan : un bilan des nationalisations montrant que ce n'était pas une bonne idée, car, la preuve en est, cela s'est passé abominablement mal. Nous ne disposons pas d'un tel bilan, mais nous savons que cela ne s'est pas passé abominablement mal. Au contraire, on vante les nationalisations qui ont permis de recapitaliser des industries, de les remettre d'aplomb et de les revendre parce que le capital privé était incapable de le faire à notre place. Voilà ce que j'ai entendu, et il faut bien admettre que les faits le confirment.
Mais surtout, qu'en est-il du bilan des privatisations précédentes ? Vous allez dire que cela n'a rien à voir, mais comment se fait-il que les vagues de privatisations correspondent à la période de la désindustrialisation de la patrie ? N'y a-t-il pas un rapport entre les deux ? Ceux qui s'étaient empressés d'acheter ne se sont-ils pas empressés de vendre ? Je n'ai pas l'intention de dresser la liste de toutes les entreprises, mais certaines d'entre elles nous restent en travers de la gorge.
Vous souvenez-vous de la Compagnie générale d'électricité, privatisée en 1986 ? Elle était présente dans les domaines ferroviaire, maritime – elle possédait les chantiers de Saint-Nazaire – , énergétique, des câbles électriques, des télécommunications et de l'électronique. C'était une entreprise industrielle.
Après sa privatisation, elle a été découpée en morceaux. Plusieurs beaux et gros morceaux – les plus juteux – sont passés sous contrôle étranger. Par exemple, Alcatel a été racheté par Nokia, et avec elle, l'entreprise qui posait les câbles sous-marins, activité ô combien stratégique. Alstom a été racheté par General Electric, à la faveur d'une torsion du bras et de menaces de toutes sortes contre les dirigeants, si nos renseignements sont bons – direction la poubelle. Les entreprises installées dans notre pays sont parties en emportant les activités qu'elles exerçaient. Auparavant, General Electric les aura liquidées. Je pense à l'usine de Grenoble qui fabriquait les turbines pour les barrages – 25 % des turbines dans le monde étaient ainsi des machines françaises. Tout ceci a été rayé de la carte.
Dans le cas des Chantiers de l'Atlantique, après avoir changé de main sans que nous sachions pourquoi, mais avec la certitude d'arrangements bienvenus, ce ne sont pas les armateurs français qui ont racheté l'entreprise, laquelle ne présente pourtant aucun risque, puisque son carnet de commandes est plein pour dix ans. L'entreprise a été vendue à l'italien Fincantieri. J'ai interrogé les armateurs français en les gourmandant : « pourquoi ne pas avoir racheté alors que vous avez les sous ? C'est dans votre pays, le carnet de commandes est plein et la plus grande forme pour construire un navire se trouve à Saint-Nazaire – elle fait 90 mètres de long, vous ne risquez rien. En cas de problème, il suffit que l'État passe une commande, et c'est reparti ! ». Disons-le, les commandes de l'État sont bienvenues ; sans elles, peu d'entreprises vivraient. Ils m'ont répondu : « on ne peut pas vous dire, mais on s'est arrangés », ce qui signifie qu'on les a convaincus qu'il était préférable de laisser les Chantiers à l'acquéreur italien.
Comment expliquez-vous que le premier actionnaire de Nexan, qui fabrique des câbles, est un Chilien, charmant au demeurant – il a fait le tour des présidents de groupe pour exposer son activité en France ? Tout cela nous appartenait auparavant.
Quant à Usinor-Sacilor, tout le monde se souvient que l'entreprise était le grand fournisseur d'acier de ce pays. Ce n'est pas une activité anodine pour un pays qui prétend être industriel, mais il fallait inventer l'Airbus de l'aciérie. Voilà comment a été créée cette grande entreprise, tout en sachant très bien qu'il ne serait plus possible de faire un nouvel Airbus, parce que l'Europe interdirait le paiement d'avance, pratiqué autrefois, en l'assimilant à une subvention susceptible de fausser la libre concurrence. En attendant, Usinor-Sacilor, privatisée en 1993, est devenue la propriété de l'Indien Mittal et les hauts fourneaux français ont fermé les uns après les autres.
En ce qui concerne Matra, la branche transports a été vendue à Siemens, la branche logiciels à IBM et la branche télécommunications à une dizaine d'entreprises différentes. C'était l'époque où certaines têtes d'oeuf, sorties des grandes écoles, croyaient qu'elles avaient inventé le nouveau modèle de l'économie performante. Selon elles, la production industrielle n'avait aucun intérêt. Seule l'économie de services comptait.
C'est ainsi que M. Serge Tchuruk – qui a ruiné plusieurs entreprises de notre pays avec la même arrogance et la même impunité – avait inventé le concept des entreprises sans usines. Son modèle était Nike – une entreprise qui prétend ne pas produire de chaussures et s'appuyer sur des carnets de commandes, des dollars et une licence. Voilà comment fonctionne Nike, dont les administrateurs sont au nombre de treize, une multinationale dont chacun connaît à la fois la férocité sociale et les comptes en banque astronomiques.
Forts de cette vision du monde, ces gens ont vendu, ils ont tout dépecé, tout mis en morceaux, tout laissé partir à vau l'eau, faisant tomber la part de l'industrie de 21 % en 1979 à 11 % à peine de la richesse produite dans notre pays.
Dans le même temps, les entreprises privées, notamment celles en situation de monopole ou ayant accès aux réseaux – à savoir l'eau – perdent la moitié de la flotte en route et les tarifs ne cessent d'augmenter – c'est un pillage incroyable.
Parlons du gaz, puisqu'il en sera question une nouvelle fois dans ce texte. On nous avait dit que la privatisation était bénéfique, car elle stimulait la concurrence et faisait baisser les prix – hourra, hourra ! Les gens n'ont qu'à descendre dans la rue et sauter de joie parce que leur facture va baisser. Depuis la privatisation, non seulement les factures ont augmenté de 50 %, mais les géniaux gestionnaires privés ont réussi à endetter l'entreprise à hauteur de 25 milliards d'euros – elle n'en avait pas tant sur le dos jusque-là – ; la valeur de l'action s'est effondrée de 75 % en dix ans ; et, entre 2007 et 2018, Engie a supprimé 10 000 emplois dont 2 500 en France.