Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs au statut d'autonomie de la Polynésie française, dont l'élaboration a été partagée avec les élus de Polynésie, résultent d'un engagement fort de l'État. Comme je l'ai indiqué lors de leur examen au Sénat, ces textes sont le pendant législatif de l'accord de l'Élysée signé le 17 mars 2017, qui a marqué le renouveau des relations entre l'État et la Polynésie française. Cet accord a pour pierre angulaire la reconnaissance du fait nucléaire et de ses conséquences. Outre sa portée symbolique, car c'est un signal fort que la nation adresse à la Polynésie française, cette reconnaissance s'accompagne de trois engagements.
En érigeant ceux-ci au rang de dispositions organiques, l'État les inscrit dans la durée. Le premier engagement concerne le dispositif d'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Les échanges qui ont eu lieu au Sénat m'ont donné le sentiment qu'une information était nécessaire sur ce point. Aussi permettez-moi de rappeler en quelques mots qu'une profonde réforme du système d'indemnisation a été élaborée sous l'impulsion de la sénatrice de Polynésie française Mme Lana Tetuanui. Reprenant à son compte une grande partie, pour ne pas dire l'essentiel, des recommandations émises, dans un rapport remis au Premier ministre, par une commission rassemblant parlementaires et experts, le Gouvernement a inscrit cette réforme dans le projet de loi de finances pour 2019. Ainsi, l'instruction des dossiers obéit désormais à une nouvelle méthodologie, leurs délais de dépôt pour les ayants droit ont été prolongés et le budget du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), présidé par M. Alain Christnacht, a été augmenté. En parallèle, l'État et le pays de Polynésie française consentent de nombreux efforts pour accompagner les victimes ou leurs ayants droit dans la constitution des dossiers. Les avancées sont donc réelles et concrètes.
Le deuxième engagement concerne la sécurité des atolls touchés par les essais nucléaires ; là encore, il s'agit d'un engagement sur le temps long. L'État, je le rappelle, vient d'investir 100 millions d'euros dans le programme Telsite 2, inauguré en juin 2018, pour surveiller en permanence la stabilité de la couronne corallienne, qui suscitait l'inquiétude des élus polynésiens.
Enfin, le troisième engagement concerne la reconversion économique de la Polynésie française. De nombreux outils financiers visent ainsi à accompagner les projets locaux et à en faire émerger de nouveaux. Ce soutien au développement local – que j'espère, du reste, pouvoir traduire dans un contrat de convergence et de transformation – s'inscrit, lui aussi, dans la durée.
Mais les projets de loi qui vous sont soumis portent également sur d'autres thématiques. Ils visent notamment à toiletter le statut du territoire, afin que la Polynésie française bénéficie d'institutions stables et de politiques publiques efficaces, et à apporter des réponses adaptées à des enjeux locaux. En cela, ils sont une belle illustration de la différenciation voulue par le Président de la République, qui doit trouver à s'exprimer outre-mer plus qu'ailleurs.
J'en veux pour preuve les dispositions organiques et ordinaires qui résultent du travail de fond engagé depuis près d'un an pour répondre de manière concrète et adaptée aux enjeux fonciers. Le Parlement s'est depuis longtemps saisi de cette question essentielle pour le développement des outre-mer. La loi de programmation du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle outre-mer comportait ainsi certaines avancées, complétées par la loi relative à la sortie de l'indivision successorale outre-mer, adoptée en 2018. Sous l'impulsion des élus, et en lien étroit avec la Chancellerie et le ministère des outre-mer, un dispositif particulier, adapté aux difficultés propres à la Polynésie française, a été élaboré.
J'en veux également pour preuve les avancées notables en matière d'intercommunalité rendues possibles par ces deux lois. En effet, en adaptant le cadre national aux réalités locales et à une répartition des compétences qui n'est pas identique à celle de la métropole, nous surmontons un blocage juridique qui, depuis longtemps, rend particulièrement difficile la constitution d'intercommunalités en Polynésie française.
Cette volonté commune d'adapter le droit aux réalités locales se traduit également par les dispositions prévues pour permettre au pays de créer des sociétés publiques locales. Il fallait rendre cet outil opérant en Polynésie française ; des idées concrètes pour y parvenir ont été proposées. Il en va de même pour les autorités administratives indépendantes créées par le pays : il nous fallait entendre les attentes locales tout en préservant, bien entendu, les garanties d'indépendance indispensables à ces autorités – je crois que nous y sommes parvenus.
Les projets de loi qui vous sont soumis procèdent enfin, et c'est loin d'être négligeable, au toilettage de certaines dispositions et procédures institutionnelles afin de remédier à des malfaçons ou à des lourdeurs administratives. Dans la répartition des compétences entre l'État et le pays, certaines frontières étaient implicites. Le projet de loi organique met fin à ce silence en explicitant, par exemple, la compétence de l'État dans la gestion de son domaine privé ou celle du pays dans l'exploitation des terres rares. Par ailleurs, d'importantes malfaçons, concernant notamment les modalités de renouvellement de l'assemblée de la Polynésie française, sont corrigées afin d'assurer la stabilité des institutions locales. D'autres corrections portent sur l'application du droit aux fonctionnaires et agents publics de l'État ou sur la rémunération des enseignants. Certaines dispositions améliorent également la rédaction du statut en matière de délégation de signature, de protection fonctionnelle et de prise en charge des frais de mission des élus de Polynésie française.
En marge du statut, les discussions préparatoires ont permis d'identifier une difficulté structurelle relative aux dotations du pays. La collectivité de Polynésie française est en effet apparue comme la seule collectivité de la République dont la principale dotation, votée en loi de finances, pouvait fluctuer en gestion. Aussi le Gouvernement a-t-il décidé de sécuriser et sanctuariser cette dotation en la faisant sortir du cadre budgétaire. Je vous confirme donc son engagement en la matière : dans le cadre du prochain projet de loi de finances, la dotation générale d'autonomie (DGA) sera transformée, à l'instar de la dotation globale de fonctionnement (DGF), en un prélèvement sur recettes de l'État d'un montant identique, qui deviendra donc intouchable.
Ces textes s'inscrivent plus largement dans une relation dynamique entre l'État et la Polynésie française qu'il nous faut encourager et amplifier. Ils démontrent enfin, et c'est une réflexion qu'il nous faudra conduire collectivement pour l'avenir, que les statuts organiques des collectivités de l'article 74 de la Constitution doivent demeurer vivants et être régulièrement revus.
À l'heure où d'autres territoires caressent l'idée de bénéficier d'un statut organique – je pense en particulier à la Guyane –, nous devons interroger nos pratiques juridiques dans les territoires d'outre-mer. Les élus polynésiens, les acteurs économiques et les professions du droit considèrent assez unanimement que le droit applicable en Polynésie est d'une telle complexité qu'il n'est plus intelligible par le particulier ou le chef d'entreprise qui cherche à connaître et à faire valoir ses droits.
Les causes de cette complexité sont multiples. Le droit applicable en Polynésie est un véritable patchwork qu'il faut recomposer en permanence. Dans les semaines à venir, le Gouvernement lancera donc, sur ce thème, une mission dont les conclusions intéresseront au premier chef la Polynésie française mais seront également utiles, j'en suis certaine, à l'ensemble des outre-mer.
Je conclurai en rappelant que les projets de loi organique et ordinaire ont été adoptés à l'unanimité au Sénat, après de riches débats. Nous avons tous su travailler dans l'intérêt général et la volonté d'agir au bénéfice de la Polynésie française.