Ces deux projets de loi, organique et ordinaire, attendus depuis plusieurs années par la Polynésie française, marquent une évolution importante en assurant la nécessaire adaptation du statut de 2004. Ils permettent de renforcer la cohérence des trois éléments qui déterminent la place de la Polynésie au sein de notre République : il s'agit d'un « en même temps » qui lie l'identité polynésienne, son intégration dans l'ensemble institutionnel et sa légitime singularité au sein de celle-ci. C'est l'essence même de l'article 74 de notre Constitution, auquel est rattachée la collectivité de Polynésie Française et qui en garantit l'autonomie.
Ces textes s'inscrivent dans un double contexte. II s'agit, en premier lieu, d'écrire une nouvelle page de l'histoire polynésienne au sein de la République en rénovant et en modernisant son fonctionnement institutionnel. Cette écriture commune et partagée doit nous permettre de conforter une nouvelle dynamique dans les relations entre la métropole et la Polynésie. Il s'agit, ensuite, d'apaiser et de stabiliser le débat public dans ce territoire, et d'en finir avec cette période d'incertitude durant laquelle les institutions ont connu de profondes remises en question.
Ces projets de loi, je l'ai dit, étaient attendus, en particulier parce qu'ils viennent concrétiser – d'aucuns diront couronner – un travail considérable de co-construction. Co-construction d'abord au sein même de la société polynésienne – mais je laisserai aux élus du territoire le soin de le décrire s'ils le souhaitent. Co-construction ensuite, entre le gouvernement territorial et le gouvernement de la République. Co-construction, enfin, grâce à un Parlement proactif et au rôle essentiel des élus du territoire polynésien.
Ainsi les textes que nous étudions ont d'ores et déjà fait l'objet de discussions approfondies en amont de leur examen par le Sénat. Je tiens, à cet égard, à saluer le travail de l'Assemblée de la Polynésie française : ses représentants se sont attachés à en définir les grands enjeux aux côtés du Gouvernement et, aujourd'hui, avec les parlementaires. Les deux textes, organique et ordinaire, que notre commission examinera à la fin du mois ont d'ores et déjà fait l'objet de nombreuses améliorations. Les débats qui se sont tenus au Sénat ont permis d'en nourrir la rédaction. Il en ressort un assez large consensus sur un nombre conséquent de dispositions. Le rôle des navettes parlementaires est particulièrement bien illustré par l'examen de ce texte. C'est maintenant à l'Assemblée nationale de faire sa part du travail. L'analyse de certaines dispositions a en effet encore besoin d'être approfondie afin de parvenir à une rédaction qui permette d'atteindre l'ensemble des objectifs de ces textes – je ne doute pas que nos collègues polynésiens en particulier s'y emploieront.
Les premières auditions que j'ai pu mener témoignent de réactions positives. Les quelques aménagements, corrections et compléments que je pourrais vous soumettre lors de l'étude de ces textes en commission feront écho aux remarques que j'ai pu entendre lors de ces auditions.
J'en viens au contenu du projet de loi organique, qui nous offre avant tout l'occasion d'écrire une nouvelle page de la « dette nucléaire » française à l'égard de la Polynésie. Il s'agit non seulement de reconnaître le fait nucléaire, mais aussi d'en comprendre les conséquences à long terme, sur le plan sanitaire d'abord, sur le plan social ensuite, et sur le plan du développement du territoire enfin. Je souhaitais, madame la ministre, vous interroger sur les suites de ces dispositions, mais vous avez très largement répondu à ma question dans votre propos liminaire.
En ce qui concerne la répartition des compétences entre le pays, les communes polynésiennes et les intercommunalités, la géographie de la Polynésie française et les grandes étendues qui séparent chacune de ses îles soulèvent des problématiques particulières en matière de développement et de fourniture des services publics aux habitants de cette collectivité. Pouvez-vous nous indiquer dans quelle mesure les dispositions du projet de loi organique seront de nature à améliorer l'organisation de l'action administrative sur place et à accroître l'intercommunalité de projet, propice à une mutualisation des moyens, à la réalisation d'économies d'échelle et à l'amélioration des prestations fournies aux usagers ?
L'article 43 de la loi organique statutaire confie aux communes la compétence en matière de transports communaux, alors que les problématiques que j'évoquais rendent nécessaire l'intervention du pays ou appellent de sa part un rôle de coordination des initiatives locales. Dès lors, ne jugez-vous pas utile de préciser que la compétence communale s'exerce « sans préjudice de la compétence exercée par la Polynésie française » en matière de transports ?
Par ailleurs, je souhaiterais évoquer un élément du statut qui n'est pas modifié par le projet de loi organique mais qui pourrait soulever quelques problèmes de gouvernance. Il s'agit de l'article 86, qui fixe une double limite au nombre de collaborateurs de cabinet du président, du vice-président et des membres du gouvernement de la Polynésie. Cette exigence de rigueur, qui s'explique par un passé parfois un peu pittoresque, si elle doit être maintenue, peut sans doute être aménagée pour rendre à la Polynésie sa capacité de gérer ses institutions. En effet, la règle actuelle ne permet manifestement pas d'accompagner l'exécutif polynésien dans sa gestion de la collectivité. Le nombre de collaborateurs est faible – soixante-dix-huit – et la rémunération de ceux-ci trop contrainte. De fait, sept personnes par cabinet, c'est peu. C'est même inférieur aux recommandations de la mission d'assistance des inspections générales des finances, de l'administration et des affaires sociales menée en 2010, qui préconisait que les cabinets soient composés de huit personnes. Le Gouvernement est-il disposé à engager une discussion sur ce thème ? Ne pourrait-on pas, par exemple, s'inspirer des règles qui prévalent en métropole ?
Passons maintenant au projet de loi ordinaire, qui prévoit un prélèvement sur recettes de l'État au profit de la Polynésie française. Il a en effet été proposé d'instituer une dotation unique sous forme d'un prélèvement sur recettes au sein de la loi complétant le statut afin que les garanties de stabilité et de pérennité affirmées devant les Polynésiens soient effectives et ne soient plus remises en cause par un simple article de la loi de finances. Quelle est votre appréciation de ce dispositif, madame la ministre ? Plus généralement, pouvez-vous nous rappeler comment s'articule la contribution de l'État au financement de la Polynésie française ?
Enfin, le foncier est un domaine dans lequel la commission sera particulièrement allante, dans la mesure où elle a suivi les débats sur la proposition de loi de M. Serge Letchimy, devenue la loi du 27 décembre 2018. Celle-ci avait pour objet, je le rappelle, d'adapter les règles de sortie des indivisions successorales pour permettre la libération d'une part importante du foncier ultramarin. Cependant, la singularité de la situation de la Polynésie, liée à la représentation par souche, avait conduit le législateur à exclure cette dernière de la proposition de loi. Le texte que nous examinerons vise à combler cette lacune. Sur ce point, je me bornerai à une seule question, qui concerne le retour intégral des biens de famille aux collatéraux d'un défunt quand le législateur national, en 2006, avait souhaité faire primer, comme on disait alors, « le mariage sur le lignage » en faisant du conjoint un héritier privilégié. Pouvez-vous nous rassurer sur la constitutionnalité du dispositif qui ne laisse au veuf ou à la veuve qu'un usufruit conditionnel sur la résidence principale, à condition que celle-ci soit bien possédée et non louée ?
Notre objectif général est d'aboutir à une rédaction qui offre la perspective d'un examen serein en commission mixte paritaire avec, si cela est possible, le vote conforme d'un nombre significatif d'articles. Même s'il ne s'agit pas d'un critère absolu, je veux souligner qu'une adoption rapide de ces textes serait bienvenue pour le développement du territoire. Leur nécessaire mise en application prochaine doit être prise en compte dans notre travail parlementaire.
En conclusion, je dirai que ces deux textes s'inscrivent dans une dynamique nouvelle entre l'État et la Polynésie française, dynamique qui a vocation, vous l'avez souligné madame la ministre, à se poursuivre avec l'engagement d'un travail portant renouvellement de la convention par laquelle l'État soutient le régime de solidarité de la Polynésie française, avec la volonté de conclure un plan de convergence dans la lignée de la loi relative à l'égalité réelle outre-mer et de préparer le sommet France-Océanie qui doit se tenir à Papeete d'ici à la fin de l'année.
Enfin, il nous reste à relever un défi : voter ces textes à l'unanimité !