En préambule, je souhaite revenir sur l'histoire de cette révision statutaire qui fait l'objet, depuis bientôt cinq ans, de vastes consultations et d'une réflexion menée en partenariat entre l'État et la Polynésie française. Dès 2014 – le statut avait alors dix ans –, M. Jean-Jacques Urvoas, qui présidait alors la commission des Lois, s'était rendu sur place dans le cadre d'une mission d'information afin d'analyser les pistes de révision. Je confirme donc les propos de la ministre et du rapporteur : ces projets de loi résultent d'un travail commun, d'un consensus local et national. Tant le conseil économique, social et culturel que les gouvernements successifs du territoire et l'assemblée de la Polynésie française se sont prononcés sur ce sujet et ont émis des avis pertinents, puisqu'un grand nombre des mesures proposées ont été soutenues par le Sénat. Mais tout est toujours perfectible : je souhaite que l'Assemblée nationale contribue à son tour à l'oeuvre commune.
La loi organique s'inscrit, bien entendu, dans le cadre de la Constitution. Elle forme véritablement le socle de la relation des Polynésiens avec l'État. Elle est en quelque sorte notre « petite Constitution », dans la mesure où elle règle l'organisation de notre territoire, consacré depuis 2004 comme un pays d'outre-mer.
Pour connaître les coulisses de l'élaboration de ces textes, je puis garantir qu'ils ne surgissent pas de nulle part : chaque ministère, chaque service administratif a été consulté. Ils sont l'aboutissement de plusieurs années de réunions et d'arbitrages, au niveau local, entre les services et à l'intérieur des services, entre les ministères, avec les communes, avec l'État. Je tiens à rendre hommage à toutes les personnes qui ont oeuvré à leur élaboration.
Vous l'avez dit, madame la ministre, le droit polynésien est complexe : il a été adapté dans presque tous les domaines. En effet, si l'État conserve les compétences régaliennes, la Polynésie française est compétente par principe, sous réserve des prérogatives dévolues par la loi statutaire à l'État et aux communes. Le territoire organise son fonctionnement fiscal et lève l'impôt. Ce sont bien les Polynésiens qui paient : il faut arrêter de croire qu'ils ne contribuent pas. Nous parlons ici d'un quasi autofinancement.
C'est donc un statut dit d'autonomie. Pour nous, ce qui compte, c'est l'autonomie économique, bien sûr – c'est ce vers quoi nous voulons tendre au maximum –, mais aussi l'autonomie politique, toujours dans le cadre d'un contrôle du bon fonctionnement des institutions polynésiennes.
Nous avons vécu une crise politique grave entre 2004 et 2013. Que les députés intéressés sachent que nous organiserons, dans les prochaines semaines, un rendez-vous d'envergure qui permettra de mieux comprendre l'histoire : le vice-président de la Polynésie française sera présent et nous recevrons une délégation de l'assemblée.
Nous revenons de loin. Sur le plan économique, nous avons su prendre nos responsabilités et redresser les comptes publics. Nous avons également réussi à sortir de la grave crise politique qui avait engendré le marasme économique. Nous y sommes parvenus grâce à un nouveau partenariat avec l'État, un partenariat responsable dans lequel chacun prend sa part. Comme vous le verrez, la plupart des contrats passés garantissent un financement partagé.
Les deux projets de loi sont l'aboutissement de tout cela. Le volet organique comporte une charge symbolique importante – je veux parler de ce qui touche à la question nucléaire. Nous aurons l'occasion, lors des débats, d'y revenir en détail. Je tiens à remercier d'ores et déjà tous ceux qui se sont exprimés. Nous serons attentifs car les dispositions ne sauraient être de pur affichage : le sujet est sensible pour les Polynésiens. C'est notre histoire commune – j'ose même dire notre passif commun ; il faut le solder pour avancer sereinement, ensemble, à l'avenir. Or, tout n'est pas terminé : comme cela a été dit, l'indemnisation des victimes doit être améliorée. Il a fallu travailler pendant près de dix ans, entre 2010 et 2017, pour arriver enfin à un dispositif qui « tienne la route ». En outre, il faut veiller à la sécurisation des sites de Mururoa et Fangataufa, mais aussi surveiller l'ensemble de l'archipel car on n'a pas encore cerné les retombées environnementales – sans parler des bouleversements socio-économiques que l'on commence à mesurer depuis une dizaine d'années. Voilà pourquoi, pour nous, certains éléments de ce partenariat sont porteurs de la haute charge symbolique que j'évoquais, y compris les dotations : ce n'est pas seulement une question financière ; cela participe d'un ensemble. Il faut reconstruire une relation de confiance mutuelle. Vous comprenez bien qu'après ce qu'ils ont vécu, il n'est pas évident pour les Polynésiens, quelle que soit leur orientation politique, de renouer sereinement notre relation.
L'article 1er du projet de loi organique est donc très important. Certains, peut-être, considéreront qu'il est insuffisant ou qu'on peut le retravailler. Je suis ouverte au débat, mais sachez que la rédaction proposée constitue d'ores et déjà une très grande avancée. Il est essentiel d'avoir pu inscrire la reconnaissance de la nation, d'avoir mis des mots sur des sujets pour nous fondamentaux, et de les avoir énumérés – car il y a la dimension sanitaire, la dimension environnementale, et d'autres encore dont il faudra parler.
Il y a aussi, dans les deux projets de loi, ce qui concerne le fonctionnement des institutions, notamment les relations avec les communes. Je ne m'y attarderai pas. Je vous l'ai dit à plusieurs reprises : la Polynésie française est un territoire isolé et éclaté sur une surface grande comme l'Europe, avec 118 îles dont plus de 70 sont habitées. Dans ces conditions, les communes ont un rôle majeur. Nous souhaitons leur donner la possibilité de se préparer à l'exercice de nouvelles compétences. C'est ce que propose le projet de loi organique, de même qu'il leur permet de faire usage d'outils tels que les sociétés publiques locales (SPL) et les sociétés d'économie mixte (SEM). Ces dispositifs sont très attendus ; ils vont faciliter la vie au quotidien, au bénéfice des citoyens – car c'est ce que nous visons en premier lieu.
Enfin – je m'arrêterai là mais les textes comportent une soixantaine d'articles ayant demandé cinq ans de travaux : je pourrais en parler longtemps –, un autre enjeu de taille était, selon moi, celui du foncier, particulièrement la sortie de l'indivision. Je vous avais annoncé, lors de la deuxième lecture de la proposition de loi de M. Serge Letchimy visant à sortir de l'indivision successorale, que nous renoncions aux dispositifs relatifs à la Polynésie en échange de l'engagement de Mmes les ministres des outre-mer et de la justice de résoudre le problème dans le véhicule législatif que nous examinons aujourd'hui. Je suis heureuse que nous y soyons arrivés. Je tiens à remercier la Chancellerie car nous voyons ainsi aboutir un long processus. Les six derniers mois ont été intenses : nous avons organisé des visioconférences avec l'ensemble des professions du droit. J'insiste d'ailleurs sur ce point : pour ce sujet non plus, rien ne s'est fait en catimini. Il y avait autour de la table les magistrats, les notaires, la direction des affaires foncières, le ministère, mais aussi les services de l'État. Il me semble que c'est ce qu'il faut faire pour aboutir – et je considère que ces textes constituent un réel aboutissement.