Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, comme ma collègue Agnès Buzyn l'a rappelé, améliorer l'accès et la qualité des soins sur l'ensemble de nos territoires demande une stratégie globale. La question des études en santé, parce qu'elle détermine tant le nombre que la qualité des professionnels de santé qui oeuvrent chaque jour aux côtés de nos concitoyens, est bien évidemment au coeur de ce projet de loi.
Intégrer la transformation des études de santé dans ce projet de loi, c'est aussi lui donner une profondeur de long terme. C'est pourquoi cet enjeu fait tout naturellement l'objet de tout le titre premier de ce texte.
Bien évidemment, tout n'est pas dans la loi. Une concertation est en cours pour préfigurer les contours du premier cycle des études de santé et mobilise les universités, les étudiants et les professionnels. Toutefois, comme cette transformation forme un tout cohérent, il est bien évidemment indispensable de vous présenter l'architecture d'ensemble des intentions du Gouvernement.
Chacun le sait, former un médecin prend du temps : une douzaine d'années minimum. Notre système de formation est à la fois excessivement sélectif et très peu diversifié. Le numerus clausus et l'examen classant national tendent à rigidifier l'ensemble du parcours de formation et empêchent de former plus de soignants. Il ne correspond plus à ce que nos concitoyens attendent de notre système de soins. Faire évoluer notre modèle de formation des professionnels de santé autour des enjeux de la médecine de demain et des déséquilibres territoriaux déjà identifiés nous a ainsi conduits à vous proposer la suppression du numerus clausus à l'article 1er et une profonde révision de l'accès en troisième cycle à l'article 2.
Concernant l'accès aux études de santé, nous devons nous conformer à une double exigence.
Chacun en conviendra, il n'est pas acceptable que pour 1 000 étudiants inscrits en PACES, 600 doivent le plus souvent tout recommencer après deux échecs ou que deux tiers des étudiants admis dans les filières santé soient des redoublants. C'est une réalité à laquelle de nombreux parents ou étudiants ont été confrontés.
Ma première exigence est de faire réussir les étudiants qui s'inscrivent à l'université : cela a été le fil conducteur des transformations que j'ai conduites à la tête du ministère dans le cadre tant de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE, que du nouvel arrêté de licence.
Il s'agit également de recruter autrement les futurs étudiants des filières de santé pour maintenir, dans un environnement qui change, l'excellence de nos formations tout en les ouvrant à une plus grande diversité de profils et de parcours afin d'enrichir le service rendu aux patients et à l'ensemble de la société.
Il nous faut donc travailler sur deux dimensions : comment installer les études de santé dans un parcours favorisant la réussite du plus grand nombre tout en mesurant les compétences et les connaissances dont nous aurons besoin à long terme pour faire vivre notre système de soins partout sur le territoire ?
La suppression du numerus clausus ne saurait répondre rapidement, dans l'urgence et l'immédiateté, aux demandes légitimes concernant les moyens de lutter contre les déserts médicaux que vous avez tous déjà entendues.
La situation dans laquelle nous nous trouvons est le résultat de décisions prises pendant les années 1990 qui se sont traduites par la réduction drastique du nombre de médecins formés alors : deux fois moins qu'aujourd'hui en moyenne, trois fois moins dans certaines facultés. Supprimer le numerus clausus, c'est donc proposer de déterminer le nombre de professionnels formés au plus près du terrain, à partir des besoins des territoires et des capacités de formation, afin d'éviter de répéter les erreurs passées. C'est ce que propose l'article 1er du projet de loi. Dans chaque région, les universités et l'agence régionale de santé (ARS) devront arrêter ensemble les objectifs en matière d'accueil et de capacité de formation.
Penser le temps long, c'est aussi se demander de quelles compétences notre société et notre système de santé auront besoin en 2030. Certaines évolutions sont déjà perceptibles ou prévisibles ; pour y faire face, nous devons former des étudiants qui savent apprendre et qui savent prendre une décision dans un contexte d'incertitude.
Ainsi, la population sera plus âgée et des patients porteurs de polypathologies complexes souhaiteront vivre et être soignés dans leur environnement ; la capacité de collaborer au service d'un projet commun avec d'autres professionnels, le patient et ses proches sera donc une des compétences clés attendue des professionnels.
De son côté, l'intelligence artificielle transformera certains processus de diagnostic ; la capacité à comprendre leurs principes et à dialoguer avec des informaticiens et des ingénieurs constituera elle aussi une compétence clé.
C'est sur le fondement de notre vision de long terme que nous travaillons à transformer dès maintenant la formation des étudiants en santé en premier cycle. Ce travail de réflexion a commencé il y a déjà plusieurs années : les expérimentations antérieures comme les AlterPACES et les PACES adaptées, développées notamment par les universités parisiennes, en sont la preuve.
Si la PACES est très critiquée, elle n'en présente pas moins des avantages en proposant dès la première année un cursus centré sur les sciences de la santé. Au cours de la concertation est rapidement apparue l'idée d'un portail santé, qui serait conçu non comme une année de sélection des étudiants mais comme une année de formation utile à tous ceux qui intégreront les filières de santé comme à tous les autres. Ce portail, nous pourrons le construire en utilisant les qualités de la PACES et en prévoyant des orientations plutôt que des réorientations en cas d'échec. Nous pourrons également le construire en développant en son sein des formations à de nouveaux métiers et à de nouvelles compétences, notamment dans les domaines de la bio-informatique et du numérique.
Cette transversalité, c'est l'esprit de la loi « Orientation et à la réussite des étudiants » et de l'arrêté de licence. Jusqu'ici les étudiants inscrits en PACES, qui peuvent représenter de 20 à 40 % des néo-entrants dans les universités comprenant une composante santé, n'étaient pas inclus dans cette dynamique. Ils le seront désormais.
L'enjeu est de créer un système d'accès multiples qui permettra à d'excellents étudiants, venus d'horizons pluriels, de réussir. Nous souhaitons faire un pas supplémentaire et proposer partout plusieurs voies d'accès, y compris en dehors du portail santé. Nous mettrons ainsi en place un cadre de formation permettant de compléter certains parcours de formation avec des mineures en santé. Cela impliquera d'informer les lycéens que l'inscription dans tel ou tel cursus de licence donnera la possibilité, dans certaines conditions, de candidater pour les études de santé.
Cette offre devra bien sûr être disponible aussi dans les universités qui n'ont pas de composante santé. Elle permettra de prolonger et d'améliorer des dispositifs qui ont déjà été mis en place dans les antennes PACES comme au Havre, au Mans, à Pau ou à Mulhouse. Elle pourra s'articuler avec l'offre d'accès aux autres métiers de la santé.
Un décret en Conseil d'État fixera le cadre réglementaire nécessaire à ces évolutions en application de l'article 1er de la loi et introduira une souplesse nécessaire dans les parcours de formation.
Cette souplesse ira de pair avec une exigence dans l'admission aux études de santé afin de garantir un haut niveau de formation et en conséquence une haute qualité des soins prodigués à nos concitoyens. Ces nouvelles modalités d'admission doivent assurer une équité de traitement sur le territoire tout en sortant de la logique actuelle du « tout QCM » (questionnaire à choix multiples). Elles offriront à des étudiants de différents profils des chances de réussir. Un groupe de travail national a été mis en place à cette fin.
La clé de voûte de ce nouveau cadre reposera sur une distinction entre d'une part, l'acquisition de crédits et la validation d'une année universitaire et, d'autre part, le recrutement dans les filières de santé, qui demeurera sélectif. L'une des pistes actuelles consiste à distinguer une phase d'admissibilité fondée sur le niveau d'excellence académique et une phase d'admission qui sera construite pour évaluer des compétences principalement transversales que des étudiants de profils disciplinaires divers peuvent démontrer. La possibilité de se présenter à deux reprises à ce processus de sélection sera garantie à tous les étudiants, à condition qu'ils progressent dans leur parcours. Bien évidemment, des mesures transitoires adaptées aux étudiants inscrits en PACES en 2019 seront proposées.
L'enrichissement des profils dans le premier cycle est appelé à se traduire dans le deuxième cycle et dans l'accès à l'internat.
Refondre le cadre de l'ECN, c'est tout l'enjeu de l'article 2.
Ce qui change, c'est à la fois l'esprit et la méthode. L'État continuera à réguler la répartition des internes par spécialité et par territoire mais dans le sens d'une plus grande ouverture sans mettre en tension tout le déroulement du deuxième cycle.
En effet, la préparation de l'examen classant national tend aujourd'hui à envahir toute la formation de second cycle, ce qui est bien compréhensible puisque ce seul examen détermine pour une large part les conditions d'insertion professionnelle d'étudiants qui ont investi plusieurs années de leur vie pour devenir médecin. Ce qui changera, c'est que la régulation par spécialité et par territoire ne se fera plus sur le seul fondement du critère couperet qu'est actuellement la note obtenue à l'ECN.
L'accès au troisième cycle sera organisé selon trois ensembles de critères qui viseront à mettre en cohérence les profils des étudiants, le bilan de leur formation, leurs aspirations ainsi que les besoins de nos territoires et de l'ensemble de la société.
Bien évidemment, le niveau académique et scientifique restera un élément clef. Une épreuve de connaissances, probablement située en fin de cinquième année, sera conservée. Ce que nous attendons de cette épreuve, c'est qu'elle distingue les connaissances socles, avec une exigence de niveau, des connaissances supplémentaires qui pourront avoir un poids différencié pour le choix de groupes de spécialités : des questions d'anatomie, par exemple, pourraient peser plus lourd pour le choix de spécialités chirurgicales ou des questions de biologie pour les disciplines biologiques.
Les savoir-faire et les savoir-être doivent également prendre leur juste place dans les critères de régulation mis en oeuvre par l'État. En fin de sixième année, une épreuve de compétences, qui se déroulera en partie en simulation, sera donc instituée sur le principe de l'examen clinique observé et structuré, largement utilisé en Europe comme en Amérique du Nord. Ce type d'épreuves permettra notamment d'analyser l'interaction avec un patient simulé. Recentrer tout le second cycle sur le coeur du métier et l'acquisition de compétences opérationnelles, telle est la raison d'être de ce deuxième critère.
Enfin, nous souhaitons que le parcours de l'étudiant dans sa globalité puisse être pris en compte dans l'accès au troisième cycle. Les parcours de stages devront être valorisés. Dans le même ordre d'idée, l'attrait des étudiants en médecine pour la recherche sera encouragé.
L'entrée dans la carrière scientifique et l'attractivité du métier de chercheur est au coeur de l'un des groupes de travail constitué dans le cadre de la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
Ces nouvelles modalités d'accès au troisième cycle ne garantiront peut-être pas à chaque étudiant d'obtenir son premier choix, en revanche, elles permettront à terme de mieux orienter le contenu et surtout la façon dont est vécue la formation vers plus d'ouverture et de sérénité. Nous en attendons également une diversification significative des terrains de stage, en milieu hospitalier et en ambulatoire. Cet enrichissement des parcours sera nourri par la diversification des profils des étudiants en premier cycle et permettra ainsi de former des professionnels de santé mieux en phase avec les attentes de nos concitoyens et les défis que nous devrons relever pour transformer notre système de santé.
Voilà, en quelques mots, les contours de la transformation de nos études de santé.