Mesdames les ministres, nous abordons aujourd'hui un projet de loi qui se veut la déclinaison d'une partie du plan « Ma santé 2022 » annoncé par le Président de la République au mois de septembre 2018. Cette réforme est très attendue, tant le monde de la santé est en crise, comme nous l'avons constaté à l'occasion de notre tour de France des hôpitaux. Nos hôpitaux publics et leurs personnels sont en souffrance depuis de trop nombreuses années à cause de multiples cures d'austérité et de la course à l'activité. L'offre de soins se raréfie dans nos territoires, en raison d'une pénurie de médecins, notamment généralistes et d'un numerus clausus trop longtemps insuffisant. Il en résulte des inégalités d'accès à la santé qui progressent, et de plus en plus de renoncement aux soins pour nos concitoyennes et concitoyens. Ces constats sont connus et partagés désormais, tout le monde en convient. Il est urgent d'agir pour préserver notre système de santé et garantir l'égal accès aux soins.
Loin d'instaurer des mesures d'urgence pour l'hôpital, cette réforme est d'abord une réforme d'organisation au moment où le système de santé est confronté à une crise de financement majeure. Ce sous-financement chronique de la sécurité sociale et de l'hôpital public est organisé depuis des années par les gouvernements successifs. La Fédération hospitalière de France estime à 8,6 milliards d'euros les plans d'austérité de ces quatorze dernières années.
Les deux premiers projets de loi de financement de la sécurité sociale du quinquennat prolongent la compression des dépenses d'assurance maladie avec un objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) fixé successivement à 2,3 % et à 2,5 % quand les besoins en santé nécessiteraient une progression annuelle de 4,5 % des dépenses de soins. Il en résulte des économies drastiques pour le secteur hospitalier : 1,6 milliard en 2018 et 900 millions en 2019. L'amélioration des comptes de la sécurité sociale ne s'est donc faite qu'au prix de coupes dans les dépenses.
Faire mieux avec moins que ce qu'il faudrait tous ensemble, telle pourrait être finalement la philosophie de ce projet qui s'inscrit dans la continuité des politiques des derniers gouvernements : fuite en avant dans les groupements hospitaliers de territoire, poursuite du virage ambulatoire, objectif des dépenses de santé bridé au regard des besoins, décloisonnement entre le public et le privé – logique d'open space qui pourrait très rapidement se transformer en logique d'open bar…
D'autres mesures vont dans le bon sens : c'est le cas de la fin du numerus clausus que nous réclamons depuis longtemps, ou l'encouragement à l'exercice regroupé des médecins. Des mesures intéressantes, mais de faible ampleur, visent à répondre de manière conjoncturelle à la désertification médicale : encouragement au contrat d'engagement de service public, recours au médecin adjoint. Mais nous craignons que, sans moyens financiers en face, les résultats sur l'amélioration de l'accès aux soins ne soient décevants. La démocratie sanitaire est donc nécessaire.
Le plus inquiétant est certainement ce qu'il n'y a pas dans ce projet de loi. Par plusieurs techniques habiles, comme le renvoi à des ordonnances – il y en a six – ou à des décrets, vous sortez finalement du débat parlementaire les sujets essentiels : la refonte de la carte hospitalière sera dessinée dans les cabinets du ministère, le recours aux ordonnances vous exonère au passage d'études d'impact sur le nombre d'hôpitaux menacés par les restructurations liées à la mise en place des hôpitaux de proximité.
Combien d'hôpitaux seront déclassés, perdront leur service de chirurgie et de maternité ? On parle de 200 à 300 hôpitaux. Vous renvoyez également à des ordonnances la réforme des conditions d'emploi des praticiens hospitaliers et les conditions de rectification des compétences des médecins. Enfin, vous renvoyez à des décrets la réforme des études médicales. Si nous sommes favorables à la suppression du numerus clausus, nous ne connaissons pas les contours exacts du système qui aura vocation à le remplacer. Beaucoup de questions se posent : quel pouvoir pour les ARS dans ce système, quels moyens pour les facultés, quels objectifs, quelles ambitions ? Nous avons besoin de professionnels du soin et de la santé en nombre beaucoup plus important dans notre pays. Enfin, à quoi ressemblera la première année des études de santé, et le passage aux années suivantes ? À ce stade, de nombreuses questions restent sans réponses. Nous aimerions pouvoir en discuter dans le cadre du débat parlementaire qui devrait nous mobiliser.
La réforme de la santé aura donc lieu pour l'essentiel en dehors de ce projet de loi, en dehors de nos discussions. Si cela ne nous empêche pas de formuler des propositions, il nous semble que ce n'est pas la bonne manière de discuter et de prendre les bonnes décisions ensemble.
Aristote disait que l'homme est un animal politique…