Intervention de Jeanine Dubié

Réunion du mardi 5 mars 2019 à 16h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié :

En préambule, je voudrais vous faire part de mon étonnement de constater que nos trois rapporteurs sont médecins spécialistes de profession. Sans remettre en cause les compétences de nos collègues et leur capacité d'écoute, dont je ne doute pas, je considère que la santé est bien sûr affaire de médecins, mais pas seulement, et qu'elle doit s'inscrire dans une vision globale et collective. Je veux croire que ce choix est totalement fortuit ; mais il est pourtant très chargé de symboles.

C'est avec une certaine déception que nous avons pris connaissance de ce projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, une déception à la hauteur des attentes qu'avait suscitées l'annonce de votre plan « Ma santé 2022 », et surtout à la hauteur des enjeux actuels de notre système de santé. Soyons honnêtes, les difficultés que connaît notre système de soins ne sont pas d'aujourd'hui. Elles sont la résultante de politiques successives assises essentiellement sur des réductions budgétaires sans prendre en compte les évolutions sociétales à long terme, je pense au vieillissement et aux maladies chroniques. Une transformation en profondeur est donc nécessaire, compte tenu de la crise de démographie médicale dans laquelle notre pays est en train de s'installer durablement. Nous avons tous bien conscience de l'urgence de lutter contre les déserts médicaux et des limites des dispositifs mis en oeuvre jusqu'ici pour lutter contre ces inégalités.

Le groupe Libertés et Territoires ne peut accepter que des Français soient mieux ou moins bien soignés selon l'endroit dans lequel ils vivent, alors que l'accès aux soins est un droit constitutionnel. Or, aujourd'hui, il faut dix-huit mois pour un rendez-vous chez un cardiologue, six mois chez un ophtalmologiste, trois mois chez le dentiste, sans parler des praticiens qui refusent de nouveaux patients – notamment les gynécologues. Dans notre circonscription, nous sommes tous et toutes témoins de drames humains pour des personnes souvent fragiles ou âgées dont les moyens sont modestes et qui rencontrent les pires difficultés pour être prises en charge. Nous voyons également des médecins accablés par une charge de travail considérable, en proie à un véritable malaise. Ce constat est d'autant plus préoccupant que, nous le savons, la situation va s'aggraver dans les dix années à venir : les évolutions le confirment, un médecin sur deux a ou aura bientôt plus de soixante ans, les jeunes médecins ont des aspirations différentes, le temps médical disponible baisse. Or la population française vieillit, son niveau d'exigence augmente, tout comme les maladies chroniques. Elle ne va pas s'aggraver seulement pour les territoires ruraux, les villes moyennes et les banlieues, dans lesquels il y a déjà urgence, mais aussi dans les métropoles, qui connaissent actuellement leurs premières difficultés.

Par conséquent, notre groupe considère que la progression des déserts médicaux ne pourra être enrayée que si notre politique de santé est profondément repensée. Or votre plan ne répond malheureusement pas à l'urgence. Les mesures proposées, qui vont dans le bon sens, mais pas assez loin ; et surtout, elles ne trouveront pas leur plein effet avant plusieurs années. Le numerus clausus n'est pas supprimé, contrairement à ce qui est annoncé, mais seulement relevé. La suppression des épreuves nationales classantes et la prise en compte des critères régionaux dans la détermination des effectifs sont des mesures intéressantes, mais là encore trop timides ; nous proposerons de créer de véritables internats régionaux. Le projet de loi aurait gagné à prendre en compte toutes les professions intervenant auprès des patients dans une approche pluridisciplinaire et en faisant évoluer le cadre légal des infirmiers, notamment en pratique avancée, pour mieux fluidifier l'exercice coordonné.

D'une manière générale, c'est le flou qui règne la plupart du temps. La définition et les missions des hôpitaux de proximité ne sont pas précisées. La généralisation des CPTS est certes abordée, mais sans indications sur leur forme juridique et leur financement. De même, sur la révision de la carte hospitalière, c'est la méthode que vous employez que nous déplorons fortement, méthode qui entretient ce flou et qui ne nous permet pas vraiment de nous positionner sur ce projet. En effet, la lisibilité de la loi est entravée par les nombreux recours aux ordonnances, aux décrets, aux conventions ou encore au prochain PLFSS. Non seulement cela revient à remettre au lendemain ce que l'on doit faire maintenant, mais ce n'est pas compatible avec la tenue d'un dialogue social de qualité, à tous égards indispensable.

Certains recours aux ordonnances sont difficilement compréhensibles : pour certaines d'entre elles, les délais de mise en oeuvre pourront atteindre dix-huit mois… Le prétexte de l'urgence ne tient pas. Une fois de plus, les parlementaires sont mis à l'écart, alors que ce sujet mérite que nous soyons tous concertés. Comment comptez-vous garantir que nous prendrons part aux côtés des professionnels de santé et des usagers à la construction de ces ordonnances ?

Enfin, quand ils ne sont pas flous, certains points essentiels ne sont tout simplement pas abordés. Je pense au financement des hôpitaux, aux besoins d'investissement. Certains de nos hôpitaux connaissent d'importants déficits ; beaucoup réclament une revalorisation de leurs tarifs, et je salue votre décision de les augmenter de 0,5 %, mais c'est bien insuffisant. Le texte ne mentionne pas les nécessaires investissements en matière de matériel hospitalier et la situation des personnels n'est pas non plus abordée.

Beaucoup d'incertitudes, donc, sur ce projet de loi pourtant attendu, et beaucoup de déception. Les députés du groupe Libertés et Territoires seront force de proposition pour améliorer notre système de santé.

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